vendredi 31 août 2018

Foin du cléricalisme

Entre diagnostic et thérapie

Non ! Je ne veux pas rajouter une couche à l’interminable litanie des lamentations. Même si, à propos des abus sexuels commis par des membres du clergé catholique, il faut continuer d’exiger compassion et compensation à l’égard des victimes, et une juste punition à l’égard des coupables.
A la suite du pape François, il est maintenant urgent de dresser un diagnostic précis pour promouvoir une thérapie efficace.
Le 4 mai 1877, l’homme d’Etat français Léon Gambetta proclamait devant l’assemblée nationale : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » Curieusement, le pape François a repris cette formule presque mot à mot pour fustiger la détestable culture ecclésiastique qui a gangréné certains milieux d’Eglise. Un diagnostic qu’il convient d’expliciter, pas pour tenter d’excuser mais pour essayer de comprendre… et surtout corriger !
Le cléricalisme, c’est s’estimer au dessus des autres chrétiens -  a fortiori au dessus des autres humains-, parce qu’une consécration mystérieuse nous a imprégnés d’un sceau sacré.
Le cléricalisme, c’est manifester un pouvoir pesant en vertu d’une mission reçue, avec d’autant plus d’arrogance que la responsabilité semble confiée d’en haut.
Le cléricalisme, c’est dominer sans partage sur une communauté en revendiquant l’obéissance aveugle des brebis à l’égard du « bon pasteur » qui les guide « au nom du Seigneur ».
Le cléricalisme, c’est abuser de la faiblesse des autres, en oubliant la sienne, sous prétexte que la grâce divine nous investit d’une force surnaturelle.
Le cléricalisme, c’est se croire dispensé des règles humaines de la justice et du respect parce que nous sommes au service d’une Eglise qui a ses propres traditions immémoriales.
Le cléricalisme, c’est se distinguer de toutes les manières pour accréditer une position de surplomb sur le commun des mortels, du moment que nous sommes « mis à part » en vue d’une mission supérieure.
Le cléricalisme, pour certains, c’est estimer que les frustrations dues à la pratique d’un célibat vécu comme une obligation insupportable, autorise des compensations secrètes que l’Eglise saura bien camoufler pour préserver sa réputation dans le grand public.
Le cocktail de plusieurs de ces pratiques peut conduire au pire, comme on doit hélas ! le déplorer, dans les larmes de notre pénitence collective.
Il est temps de passer à des thérapies de choc…évangéliques.
Il y a certainement, du côté des formateurs des futurs prêtres, des prises de conscience qui les ont rendus plus lucides et plus prudents dans le discernement et l’accompagnement des candidats.
On ne fera pas l’économie d’une nouvelle mentalité parmi les serviteurs de l’évangile et de l’Eglise, que sont les prêtres. La fragilité des autres n’autorise aucun abus dans le ministère. Le caractère sacré de la mission reçue requiert la plus douce humilité. En régime chrétien, l’autorité n’est-elle pas le contraire du pouvoir qui impose, autrement dit un service qui aide l’autre à grandir dans la vraie liberté ? Faut-il se distinguer par des apparences clinquantes ou par le rayonnement des charismes les plus humbles ?
Le dialogue et le partage entre les prêtres et les autres membres du peuple de Dieu n’est-il pas une meilleure garantie de communion dans l’animation de la communauté, plutôt que l’imposition hiérarchique et sacrale de décisions purement cléricales ?
Ne faut-il pas revoir les conditions humaines et spirituelles dans lesquelles les prêtres vivent leur célibat, surtout quand ce célibat semble, du moins à certains, un lourd fardeau à porter plutôt qu’une grâce qui les porte ?
Il nous faut re-méditer ces textes du concile Vatican II. « Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité communes à tous les fidèles dans l’édification du corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. » Lumen gentium
no 32.
Foin du cléricalisme !

Claude Ducarroz
3960 signes


vendredi 17 août 2018

Homélie eucharistique

Homélie
19 août 2018

Encore !
Ceux qui, parmi vous, participent à la messe chaque dimanche l’auront peut-être remarqué : durant 5 dimanches de suite, l’évangile de la liturgie ne nous parle que de l’eucharistie. En réalité, c’est la lecture continue, par tranche, du 6ème chapitre de l’évangile de Jean qui compte, à lui tout seul, 72 versets.

Bien sûr, je pourrais rajouter une couche de commentaire sur le mystère eucharistique, ne serait-ce qu’à partir du premier verset de l’évangile d’aujourd’hui : « Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. »

Permettez que je m’attache plutôt à une autre phrase : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui. » Et la question se pose alors :   Comment les chrétiens qui communient si intimement à Jésus peuvent-ils devenir eux-mêmes « eucharistiques », et si possible dès-ici bas ? Car finalement, si la communion au corps et au sang du Christ -réellement présent dans l’eucharistie- nous fait « demeurer en lui », ça devrait se manifester dans notre vie, au point que même les autres devraient pouvoir le remarquer.

Quand on relit tout ce chapitre 6 de saint Jean, on pourrait baliser ainsi le cheminement du chrétien eucharistique : partir de la nature respectée, œuvrer dans la culture sous toutes ses formes et participer pleinement au culte qui culmine justement dans l’eucharistie.
Vous vous en souvenez ! La promesse de l’eucharistie a commencé par ce qu’on appelle la multiplication des pains.
Le pain -et le vin évidemment-  y compris à la messe, c’est d’abord le fruit de la nature. On le sait bien, à l’heure de la moisson, de la vendange …ou de la sécheresse. D’ailleurs Jésus avait rassemblé les foules au bord du lac et il fit asseoir les gens, dit l’évangile, « là où il y avait beaucoup d’herbe ». L’état d’esprit eucharistique commence par un certain regard contemplatif sur la nature, une certaine mentalité écologique, un respect des biens de la terre. Le pape François nous le rappelle dans son encyclique Laudato si : « L’eucharistie est source de lumière et de motivation pour nos préoccupations concernant l’environnement. Elle nous invite à être gardien de toute la création. » (no 236).

Et puis il y a évidemment la culture, au sens premier du terme : cultiver la terre et gérer ses richesses pour les mettre au service des hommes, de tous les hommes.  Pour nourrir les foules comme pour célébrer l’eucharistie, il faut le pain « fruit du travail des hommes et des femmes. » D’ailleurs Jésus a aussi dit à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Et pour accomplir son miracle, il a eu besoin des cinq pains d’orge et des deux poissons qu’un enfant à bien voulu offrir pour les partager.
Vous aurez aussi remarqué que les disciples sont mis à contribution pour la suite de l’évènement, y compris pour ramasser les morceaux qui restaient afin que rien ne soit perdu.

Il faut donc étendre le principe de culture à tout ce que les hommes font à partir de la nature, par le travail sous toutes ses formes, y compris par les arts, les sciences, les techniques les engagements socio-politiques, etc…
Mais à condition que tout cela respecte la nature, favorise la solidarité et organise le partage, avec priorité pour celles et ceux qui sont encore victimes des injustices et des inégalités.

Rien n’est plus contraire à l’eucharistie qu’une société où les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Le consumérisme à outrance, le pillage et le gaspillage des biens de la terre, le matérialisme arrogant : voilà l’ennemi. Une fois de plus, le pape nous le rappelle. Il nous presse de passer de la culture des déchets à la culture du partage. En somme : à la table eucharistique.

Je n’oublie pas le culte, à savoir la vie spirituelle, qui culmine dans la liturgie, à commencer par l’eucharistie. Là tout se rassemble, se noue et s’offre dans le divin et humain sacrifice. Quand nous nous rassemblons pour la messe, nous prenons avec nous la nature cosmique, nous portons en nous et avec nous toute l’humanité en quête de justice et de paix, nous constituons l’Eglise universelle autour de Jésus mort et ressuscité.

L’eucharistie épouse toutes ces dimensions. La nature est au rendez-vous, car, dit le pape, « l’eucharistie est en soi un acte d’amour cosmique ». La culture brille aussi sous toutes ses facettes, y compris dans les scintillements de la beauté esthétique, et le vrai culte pascal est re-présenté « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Avons-nous conscience de tout cela ? Sommes-nous disposés à nous investir, dans la société et dans l’Eglise, pour que cette riche alliance de tant de beaux mystères soit plus visible, plus crédible, plus fraternelle, plus désirable ?
Sommes-nous prêts à devenir davantage eucharistiques ?
Claude Ducarroz


mardi 14 août 2018

Assomption de marie 2018

Assomption 2018
« Actuellement, on ne parle que d’elles ! », me disait un homme sans doute un brin jaloux.  Et c’est un peu vrai : depuis certaines révélations particulièrement sordides, on parle beaucoup de la femme et des femmes. A juste titre, elles ne manquent  aucune occasion de faire parler d’elles quand il s’agit de rappeler leur égalité foncière en humanité, de revendiquer le respect de toute leur dignité ou d’exiger leur juste promotion partout où le sexisme continue de sévir.

On pourrait dire que, aujourd’hui, à la faveur de cette fête, l’Eglise catholique s’y met aussi. Elle place en évidence, jusque dans sa liturgie, une Femme -avec f majuscule- « ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles. » Qui dit mieux ? serait-on tenté de répéter aux féministes de toutes couleurs.

C’est la fête de l’assomption de la vierge Marie, la mère de Jésus. Dans la théologie et la piété catholiques, portées par d’antiques traditions, tant en Orient qu’en Occident, ceci est devenu très tôt évident : la mère du Christ ressuscité, la femme toute sainte, que toutes les générations doivent proclamer bienheureuse, a été enlevée et élevée au ciel pour partager, dès sa mort, la gloire de Jésus, le premier né d’entre les morts.
Cette merveille réjouit le peuple de l’Eglise, heureuse d’acclamer dans la lumière pascale, celle que Jésus nous a donnée pour mère du haut de sa croix.

Aujourd’hui, et spécialement dans cette église qui est consacrée à Notre-Dame, c’est un peu la fête de famille autour de la maman bienheureuse, entièrement absorbée en Dieu, avec tout ce qu’elle fut et tout ce qu’elle est, à savoir aussi son corps en qui l’Esprit saint a fait germer et grandir le corps de Jésus, le Verbe fait chair au milieu de nous.
Rien en Marie ne s’opposait à cette transfiguration immédiate. Et c’est ce qui lui est arrivé, par pure grâce évidemment.
Encore faut-il en tirer quelques conséquences pour nous aussi aujourd’hui.

La première, c’est que l’assomption de Marie est un privilège, mais pas une exception. Elle nous précède dans cette grâce toute pascale, mais nous n’en sommes pas exclus. Au contraire, ce qui est arrivé à Marie d’abord nous est promis aussi à nous, selon l’engagement formel du sauveur : « Je vais vous préparer une place… Là où je suis, vous serez aussi avec moi. »
Et saint Paul le rappelait aux Corinthiens qui avaient de la peine à le croire : « De même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous revivront pour la vie éternelle par la résurrection …quand ce Christ aura anéanti la mort. »
L’assomption de Marie, c’est donc l’assurance que nous serons un jour et pour toujours avec Jésus vivant, comme elle et avec elle, et tous les autres aussi. En un mot : quelle que soit notre vie actuelle, le meilleur est encore devant nous. Marie la bienheureuse, Marie la glorieuse, nous aide à y croire et, en priant pour nous,  à le vivre, même imparfaitement.

Et comment, me direz-vous ?
Entre autres en respectant la beauté et la dignité du corps, et singulièrement du corps de la femme, de toutes les femmes. Car ce qu’il y a d’extraordinaire –sans être unique-, c’est justement que l’assomption de Marie, comme nous le rappellent tant de peintures et d’images, implique pleinement son corps sexué lors de son entrée en gloire. Ne serait-ce pas justement ce qu’on pourrait nommer une magnifique originalité mariale du christianisme :  le destin éternel du corps ?
Comme le sauveur a passé par le corps d’une femme, Marie de Nazareth, pour venir jusqu’à nous en pleine humanité, de même le salut impactera aussi notre corps.
Car il est vrai que Dieu dans le Christ, et avec la collaboration physique et croyante de Marie, veut emmener dans sa gloire tous les hommes et tout l’homme, y compris notre corporéité un jour récupérée.
La manière dont nous regardons et à fortiori traitons le corps de la femme mesure notre degré de foi en notre vocation à la résurrection bienheureuse. Il y a aussi un juste féminisme chrétien et, si j’ose le dire, un féminisme marial.

J’ajoute enfin que le culte marial, comme on le nomme parfois, si développé dans cette basilique, ne doit pas servir de prétexte à justifier sournoisement un certain sexisme qui sévit parfois ou peut toujours revenir. On pourrait en effet croire que les chrétiens –et surtout les catholiques- ont déjà beaucoup donné à la femme à travers la figure de Marie glorieuse ou par la piété mariale. Dès lors ça pourrait autoriser, à l’égard des autres femmes - certes moins saintes qu’elle, mais tout aussi sainte que les hommes sinon plus-, des attitudes  de discrimination rampante.

Respecter le génie féminin, apprécier ses charismes et qualités spécifiques, ce n’est pas soumettre la femme et les femmes à des exclusions ou des barrières. Il faut leur permettre partout de déployer, pour l’enrichissement de notre humanité, les valeurs et les beautés qu’elles recèlent, pour les mettre au service de tous, tant dans la société que dans l’Eglise.

Il me semble que Marie, élevée toute entière au ciel, aujourd’hui, nous dit aussi cela…sur la terre !
Ainsi soit-il !
Claude Ducarroz