mercredi 25 décembre 2019

+ Pierre Huwiler

Homélie
+ PIERRE HUWILER

La vie est une chanson. Surtout la vie d’un compositeur de musique et de chants. Pierre nous a tellement aidés et incités à chanter. Sa vie chante encore pour nous. Il est en personne un chant. Aujourd’hui et au-delà évidemment.

A la source de ce chant, une portée, tout un programme. Oui, cette base toute humaine, l’humus familial : des parents, des frères et sœurs, une chorale d’amour, qui exalte la vie, avec une merveilleuse figure à la clef, l’oncle et parrain Pierre. L’abbé Kaelin, inoubliable. Le petit Pierre avait de qui tenir. Il a tenu, il est devenu lui-même, il fut –non, il est encore-, lui aussi inoubliable : Pierre Huwiler, notre frère, notre ami, notre enchanteur d’amour et de vie.

Sur la portée de sa vie, Pierre a tellement écrit, des musiques et des chansons, pas dans un conservatoire qui sentirait le renfermé, mais sur le vaste horizon de l’imagination, de la créativité, de la générosité débordante.

Toujours plein d’idées et à l’affut de nouveaux projets, il était une sorte d’alchimiste de la musique populaire, dans le plus noble sens de ce mot. Capter les musiques du vaste monde, non pour copier mais pour transfigurer, et servir sur toutes les tables fraternelles des cadeaux d’émotions et de messages, comme on partage le pain et le vin.

Chez lui, la joie des mélodies pouvait se marier avec la profondeur du propos, comme une cantilène d’humanisme poétique.
Puis-je ajouter que mon frère Bernard -entre autres-  a été un serviteur particulièrement fécond de cette intense et amicale collaboration ? Pierre savait d’ailleurs le reconnaître.

L’un donnait le texte, l’autre le ton, et la musique enchantait le tout, sur les ailes d’une bonne nouvelle jetée au vent de toutes les solidarités. C’était un évangile tantôt laïc, tantôt religieux, mais toujours destiné à créer de nouvelles communions, humaines et donc chrétiennes.

Car Pierre Huwiler ne composait pas pour se sculpter une statue de créateur élitiste. Il composait des chants…pour qu’on les chante, tout simplement. Et que les chantent les gens, sans barrière et sans frontière, pour manifester leur joie, pour consoler des tristesses, pour exprimer la foi.

Dans les églises ou dans les halles de fête, il fallait chanter, et si possible que tous chantent, ou écoutent comme s’ils chantaient aussi.
Car nous nous sentions rejoints dans notre humanité par toutes les gammes des bons et beaux sentiments de Pierre, portés par les notes, tantôt témoins de sa fourmillante fantaisie, tantôt rayonnement de sa chaleureuse empathie. Et même nos larmes devenaient des perles qui brillent au bord de nos yeux éblouis.

Au festin de la beauté, marquée par son talent personnel, il ajoutait toujours de nouvelles dimensions. Par ses sources d’inspiration et par ses expressions originales, il savait enrichir notre esprit, dilater notre cœur, élargir l’espace de nos tentes un peu trop helvétiques.




Quand il dirigeait, sans être théâtral, ses bras brassaient les chœurs et les cœurs comme on pétrit le monde ; ses doigts pointaient la perfection esthétique, et l’on pouvait lire dans son visage et dans ses yeux sa volonté émouvante de faire passer un immense amour, tout en sourire.
Merci, Pierre. Et aussi merci à celles et ceux qui ont si bien interprété ses musiques et ses chants.

Est-ce à dire que ce beau concert est terminé, que les lumières multicolores –comme sa vie- vont maintenant s’éteindre, qu’il reste seulement des souvenirs bénis, parce que le compositeur et le chef de chœur nous a quittés, pour notre tristesse et pour nos regrets ?

Il s’est envolé juste avant Noël, à l’heure où les anges s’adonnent aux dernières répétitions en vue de la douce et sainte nuit.
Noël, c’est un enfant, n’est-ce pas Pierre…et Bernard ?

Mais, heureusement pour nous, et pour toi, Pierre, l’enfant de Noël a bien grandi. Il a lancé par sa vie, sa mort et sa résurrection un chant nouveau qui submerge ce monde, une mélodie du bonheur éternel, une bonne nouvelle en forme d’alleluia, un concert inextinguible.

La symphonie de cette vie-là est tellement plus résistante que toutes les maladies et plus puissante que la mort elle-même. Cette promesse vaut pour tout le monde, y compris pour ceux qui n’y croient pas ou ont de la peine à y croire, par exemple devant les épreuves de l’existence.

Là où il y a de la vraie vie partagée, là où il y a un authentique amour, Dieu est là, avec son Royaume promis. Et là où quelqu’un a semé de la beauté, par exemple en créant ou en interprétant de la musique pour alléger ou enchanter les autres, alors il y a de l’éternel qui a commencé au milieu de nous, et qui ne saurait s’éteindre.

Bien sûr, ça n’empêche pas le chagrin d’avoir perdu un être cher, ò combien ! Mais les énergies de la Pâque peuvent même faire sourire nos larmes, faire chanter nos pleurs, transfigurer nos questionnements en confiance pour des lendemains de vie plus forte que la douloureuse morsure de la mort.

Créer de la beauté, c’est un défi à cette mort. Les artistes sont des veilleurs de l’éternel, des gardiens de l’amour durable, comme les anges de Noël qui se sont tous retrouvés au rendez-vous du matin de Pâques. Divine surprise !

J’ose le croire et le dire, sans l’imposer à personne mais en le proposant à vous tous : même aujourd’hui, même maintenant, avec Pierre, on peut encore chanter l’alleluia.



Claude Ducarroz

samedi 7 décembre 2019

Pour Notre Dame

Immaculée Conception 2019
Notre-Dame de Lausanne

L’Immaculée Conception de la Vierge Marie.
C’est une belle fête.
Mais quelle fête ?
Sans vous offenser, que répondriez-vous si je vous posais maintenant cette question ?
Que diriez-vous à quelqu’un d’éloigné de notre religion, qui vous dirait : l’Immaculée Conception, c’est quoi ça ?
Même parmi les catholiques bon teint, certains confondent parfois l’Immaculée Conception de Marie avec ce qu’on appelle la conception virginale de Jésus, à savoir que l’homme Jésus de Nazareth a surgi comme un cadeau entièrement divin dans le sein de sa mère Marie consentante, mais sans l’intervention d’un homme, « par l’opération du Saint Esprit », comme on disait jadis, ce qui n’aide pas nécessairement à mieux saisir le cœur de ce mystère.

Mais l’Immaculée Conception de Marie, c’est encore autre chose. Dans les Eglises d’Orient, on parle de Marie comme de la « pan-aghia », à savoir la Toute Sainte, la sainte en tout ce qu’elle fit et en tout ce qu’elle fut. Car l’Immaculée Conception, c’est une magnifique histoire de sainteté dès le début, dès ses origines secrètes, pour la préparer depuis toujours à devenir –sous réserve de son libre consentement-, la digne mère du Fils de Dieu, l’homme nouveau, l’homme parfait selon Dieu, au milieu de nous.
Marie de Nazareth fut toute sainte, sans péché, mais pas sans progression dans cette sainteté, au fur et à mesure des évènements, y compris des épreuves qui ont sollicité sa foi, sa confiance, son amour.
Une sainteté-cadeau certes, car toute sainteté est d’abord une grâce entièrement gratuite, que personne ne peut mériter, même pas Marie. Mais la sainteté, c’est aussi, à partir du cadeau, une aventure avec Dieu, non sans étonnements, non sans questionnements, non sans abandons dans la nuit de la foi.
On le voit si bien dans l’évangile de l’Annonciation, depuis le premier bouleversement intérieur jusqu’à l’acquiescement de la parole donnée : « Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole. » Un pèlerinage inconfortable, un voyage plein de divines surprises.

Sans parler explicitement de Marie, l’apôtre Paul nous aide à comprendre le mystère de cette fête quand il évoque ceux et celles « qui ont été choisis et bénis dans le Christ dès avant la création du monde, pour être saints et immaculés devant lui, …à la louange de la gloire de Dieu. »
Dans ce cortège des comblés de bénédictions de l’Esprit, Marie la « comblée-de-grâces » marche humblement en tête. C’est pour nous une joie de le reconnaître et de la célébrer en ce jour, surtout à l’approche de Noël où Marie nous donne déjà rendez-vous pour accueillir Jésus, le fils de Dieu… et le sien aussi.

Encore faut-il ne pas tirer de cette belle fête des conclusions pas toujours très évangéliques dans la vie de notre Eglise. Il est arrivé –reconnaissons-le humblement- que la superbe figure de Marie, notamment dans ses privilèges d’Immaculée Conception et d’Assomption, occupe une telle place dans la piété liturgique ou populaire, que les autres femmes, à son ombre éblouissante, disparaissent ou du moins s’effacent des radars de la sainteté ou des ministères reconnus.

 L’Immaculée Marie était aussi une épouse et une mère. Combien de femmes épouses et mères sur les registres de la sainteté proclamée ? N’a-t-on pas pris prétexte de son humilité de servante pour apprécier surtout les femmes servantes dans notre Eglise, comme si elles ne pouvaient pas aussi, avec leurs charismes originaux et si généreux, prendre des responsabilités utiles et nécessaires dans les ministères de réflexion et de décision, de célébration et de mission ?

La beauté et la sainteté insignes de Marie ne doivent pas occulter celles des autres femmes dans l’Eglise de toujours, et par conséquent dans la nôtre aujourd’hui. J’ose dire que Marie, de mon point de vue, quand on reconnaît son rôle éminent dans la vie et la mission de Jésus, comme dans les débuts de l’Eglise, milite pour un sain et saint « féminisme catholique » qui ne peut qu’enrichir le rayonnement de l’Evangile dans et par notre Eglise, elle qui en a tellement besoin de nos jours.

S’il faut combattre un certain mauvais cléricalisme, à la demande même du pape François, j’estime que la promotion des femmes dans notre Eglise est une belle opportunité de grandir dans une Eglise où, comme le disait l’apôtre Paul qu’on ne peut soupçonner de féminisme révolutionnaire : « Vous tous, baptisés dans le Christ, vous avez revêtus le Christ. Il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. » (Gal 3,27-28).
C’est ça l’Eglise !  L’Eglise christique ! L’Eglise apostolique ! L’Eglise mariale !

Claude Ducarroz




mercredi 4 décembre 2019

Pour + Béatrice Jubin

Homélie

+Béatrice Jubin

Elle s’appelait Béatrice, ce qui veut dire « la bienheureuse ». Et elle l’était, mais attention ! à sa manière. Heureuse en faisant des heureux. Ca, c’était tout Béatrice. Sans oublier son si joli nom…Fleury ! Tout un jardin fleuri !

Oui, heureuse en faisant des heureux ! Je le savais, mais je l’ai encore mieux saisi, cher Paul et chère Marie, en vous écoutant parler de votre épouse et de votre maman, avec aussi l’écho des petits enfants.
Et ils sont nombreux parmi nous, venus d’ici et d’ailleurs –et notamment du Jura, et aussi de très loin-  celles et ceux qui pourraient en rajouter, en toute sincérité.

C’est pourquoi cet Adieu prend d‘abord la forme du merci, chère Béatrice, pour tout ce que tu fis, et surtout ce que tu fus, au milieu de nous, avec nous, pour nous.
Béatrice, c’était un amour sans barrière et sans frontière. Un amour à trois dimensions.

La première est plutôt intime. C’est sa tendresse pour vous, sa famille. Vous allez garder dans vos souvenirs tant de gestes et de paroles qui vous ont aidés à grandir, à devenir meilleurs, et cela à l’ombre chaleureuse de sa douce présence, pleine de gentillesse, de générosité et d’humour.



Nous vous laissons avec respect, dans le silence ou dans le partage, le beau devoir de conserver cette mémoire, de la ranimer dans vos rencontres, d’en faire une compagne de votre pèlerinage en humanité. Je pense aussi à vous, les petits-enfants Ioannis et Léa.
« Heureusement que Béatrice était là », m’as-tu avoué, cher Paul, en évoquant ta longue vie. Elle m’a aimé, elle m’a vivifié, elle m’a aussi corrigé. 57 ans de mariage, et Marie en cadeau. Merci Béatrice.

Mais Béatrice était aussi programmée pour d’autres horizons, plus larges. A partir de son Jura natal –où elle a perdu sa mère à l’âge de 11 ans-, elle s’est laissé entraîner de bon coeur, main dans la main avec le Paul, vers le vaste monde de la solidarité, chez nous et aussi ailleurs, dans l’univers du développement intégral.
Elle n’a pas seulement suivi, elle a participé, humblement, mais avec une si belle empathie.

Séjour à la Réunion durant trois ans, puis partenaire de l’activité de Paul au service de Frères sans Frontières, puis de l’Action de Carême suisse, et aussi par ses propres activités professionnelles dans l’EMS des Chênes : on peut dire vraiment qu’elle a passé en faisant le bien, beaucoup de bien, sans élever la voix, mais en laissant parler son cœur toujours grand ouvert. Encore une raison de plus de lui redire merci.

Il y avait en Béatrice une troisième dimension, toujours dans le registre de l’amour, mais celle-là, en débouchant sur le mystère le plus profond de sa riche personnalité.


Béatrice était une croyante, une priante, une pratiquante de l’Evangile. C’est à partir de cet Evangile, souvent creusé avec d’autres, qu’elle « faisait Eglise », en conservant une liberté critique, sans cesser d’être en communion, comme il convient aux adultes dans la foi.

Car chez elle la spiritualité irriguait une vie « les pieds sur terre ». Dans ses eucharisties, les fruits de la terre et du travail des hommes et des femmes gardaient toute leur saveur humaine, y compris quand l’Esprit venait les transformer en repas du Seigneur de Pâque.

Et justement, c’est maintenant la grande invitation pascale. Puisque Dieu nous aime toujours le premier, et ne peut jamais cesser d’aimer, de nous aimer, même si nous sommes tristes évidemment, nous laissons Béatrice rejoindre la maison de famille universelle, à la mesure de l’Amour majuscule de notre Dieu, là où il y a de la place pour beaucoup de monde.

Béatrice a trouvé sa place. Elle lui était réservée, dans le cœur même de Dieu, tout en demeurant encore dans le nôtre, puisque l’amour, même dans l’épreuve de l’absence visible, allume des communions qui ne s’éteignent jamais. Sur terre comme au ciel.

Elle était Béatrice, bienheureuse en faisant des heureux, nous par exemple. Elle est maintenant encore plus Béatrice. C’est Dieu lui-même, en l’accueillant chez lui, qui la rend bienheureuse pleinement et pour toujours.

A Dieu, Béatrice !

                                               Claude Ducarroz


mardi 3 décembre 2019

Noël sans Noël ?l

Noël sans Noël ?

            Pauvre Noël ! Attaquée de toutes parts, que va-t-il rester de cette fête exsangue ?

            L’assaut a déjà commencé juste après la Toussaint. Le rouleau compresseur du consumérisme a passé par là, à grand déploiement de publicités toujours plus sophistiquées, toujours plus agressives. Le black friday a pris le relai, puisqu’il faut surtout acheter à prix réduit le maximum d’objets dont on n’a pas besoin. Le Père Noël, bedonnant sous ses faux airs de grand-père sympa et surtout gavé, occupe maintenant le terrain, en faisant une concurrence peu loyale au saint Nicolas plus maigre et plus religieux. Même les militants de la nouvelle vague verte sont partis en guerre. Il faudrait supprimer Noël pour éviter la surconsommation éhontée, ouvrir l’ère bénie de la décroissance et sauver la planète par une sainte austérité. Bien sûr, dans les écoles, certains continueront vaillamment à évoquer Noël, ne serait-ce que pour remplir un devoir d’information culturelle auprès des bambins. Mais ils sont avertis : pas question de parler de Jésus ni de placer l’Enfant de Bethléem dans la crèche. Ce serait contrevenir à la sacrosainte « neutralité religieuse » qui impose désormais de respecter les autres religions et les sans-religion… en ignorant le christianisme évidemment.

            Nous en sommes là. Mais pas de panique.
            Il faut aussi reconnaître qu’à l’occasion de ces Noëls sans vrai Noël, des valeurs « chrétiennes » semblent se réveiller et inspirer d’innombrables personnes dont beaucoup n’ont plus rien à voir avec la religion, et encore moins avec les Eglises. Ne serait-ce pas du « christianisme anonyme », à savoir l’imprégnation, par osmose discrète, de sentiments et d’actions qui fleurent bon l’évangile ? Tiens ! Sans vouloir tout récupérer au bénéfice de notre religion, il n’est pas indifférent que, justement à l’occasion des fêtes de Noël, des gens se mettent à penser davantage aux pauvres et aux oubliés, à vouloir visiter des malades et personnes âgées, à offrir des cadeaux pour faire plaisir gratuitement, à revisiter des églises, etc… Il doit bien y avoir quelque part du Noël là-dedans, même si l’on n’y pense plus guère.

            Et puis Noël, le vrai, selon l’évangile : personne ne pourra jamais l’effacer complètement. Car celui-là est toujours bien présent. Un couple de pauvres en déplacement forcé ? On en voit tous les jours. Des voyageurs démunis constatant qu’il n’y avait plus de place pour eux dans l’hébergement public ? N’en avez-vous jamais rencontrés ? Des bergers –gens modestes et souvent méprisés- plus disponibles que beaucoup d’autres quand ils ont l’occasion d’entendre une « bonne nouvelle de salut » et de chanter les louanges de Dieu : j’en connais beaucoup autour de moi. Et même des anges, sans ailes, mais tellement prompts à rendre service de bon cœur et à secourir en priorité les plus souffrants de notre monde. Gloire à Dieu, paix sur la terre !

            Et n’oublions pas le plus Noël des Noëls. Là, au cœur de l’eucharistie - à minuit ou plus tard -, n’est-ce pas Noël quand le Seigneur Jésus se fait tellement petit –un morceau de pain- pour venir habiter réellement l’humble crèche de notre cœur, de notre foi et même de notre corps ? Pour notre joie !
            Ce Noël là, jamais personne ne pourra nous l’enlever.  Et c’est lui qui illumine et transfigure tous les autres.

A paru sur le site  www.cath.ch                                                                   Claude Ducarroz