mercredi 23 juin 2010

La situation des relations entre les Eglises et l'Etat en Suisse

La situation des relations entre les Eglises et l’Etat en Suisse
(Conférence donnée à l’Université catholique de Lyon)


Introduction
J’arrive auprès de vous en voisin et en ami reconnaissant, mais il me semble aussi que je débarque dans la volière française comme un oiseau exotique, s’agissant du thème qui nous occupe, à savoir les relations des Eglises avec l’Etat.
La Suisse, sur ce point comme sur d’autres, est un « Sonderfall », donc un cas inexportable. D’ailleurs la Suisse existe-t-elle vraiment puisqu’il y a plutôt « la Confédération helvétique » avec ses 23 cantons ou plutôt 20 cantons et 6 demi-cantons, des « états » jouissant d’une grande autonomie, justement sur les points qui concernent la culture, l’éducation, la formation et la religion ?

Le bain démocratique

Les Eglises et leurs adhérents baignent dans une société dont il faut connaître les us et coutumes pour mieux comprendre les relations qu’ils entretiennent avec l’Etat ou plutôt les Etats.
La Suisse, c’est actuellement 7,6 millions d’habitants dont 21% ne sont pas Suisses. 64% sont germanophones, 20% francophones, 6,5% italophones. Nous n’avons pas une langue à nous. Il n’y a pas une culture suisse uniforme. Par contre les mélanges linguistiques s’imposent. Par exemple, un canton est trilingue, 3 sont bilingues, 1 de langue italienne, 4 de langue française et 17 de langue allemande.
Notre culture politique est très particulière. La Suisse ne descend pas d’en haut, mais elle monte d’en bas, à savoir des communes et surtout des cantons, lesquels ont chacun leur parlement et leur gouvernement.

Nous sommes attachés au principe de subsidiarité « à la base », nous pratiquons le respect des minorités comme le prouve le fait qu’il y ait un Conseil des Etats (2 députés par canton, quelle que soit sa population) à côté du Conseil national en proportion de la population. Il faut l’accord des deux chambres pour voter une loi. Prime aux plus petits !
Nous avons le culte du compromis, comme le démontre le fait que dans les gouvernements cantonaux et fédéral les principaux partis sont représentés, de la gauche à la droite. A ces Messieurs et Dames de faire en sorte que la gouvernance soit collégiale. C’est lent, c’est parfois paralysant, mais c’est consensuel !
Quand on parle de « souverain » en Suisse, c’est le peuple. Nous pratiquons une démocratie de proximité, jusqu’à l’exagération, jusqu’à l’exacerbation. Il faut toujours convaincre une majorité du peuple puisque, très souvent, c’est lui qui a le dernier mot, même après les décisions des autorités.
Pour preuve, ces quatre droits populaires :
- le referendum obligatoire pour chaque changement dans la constitution
- le referendum facultatif si 50.000 citoyens demandent qu’une loi, pourtant adoptée par le parlement, soit soumise au peuple
- l’initiative constitutionnelle si 100.000 citoyens proposent de changer un article de la constitution
- la pétition si 100.000 personnes veulent imposer au parlement de traiter de tel ou tel sujet.
On a donc toujours quelques débats en cours en vue de la prochaine votation (au moins 4 fois par an, avec chaque fois plusieurs sujets).

La peur de perdre ces droits populaires explique en grande partie pourquoi la majorité de notre peuple, surtout en Suisse alémanique, est opposée pour le moment à l’entrée de la Suisse dans l’Union européenne, ainsi que le retard mis à entrer à l’ONU (seulement en 2002).
Nous préférons demeurer petits, seuls, mais libres, dans un pays politiquement et militairement neutre, selon les leçons retenues de notre histoire.


Les Eglises dans ce contexte socio-politique.


Notre histoire religieuse a été marquée par de nombreux drames, et d’abord par les oppositions -parfois guerrières et sanglantes- advenues lors des Réformes du 16ème siècle. La Suisse a été travaillée par les Réformateurs protestants et aussi remodelée par les conséquences du concile de Trente, notamment par les monastères, les Jésuites et les Capucins.
Les antagonismes à fondement religieux ont encore marqué le 19ème siècle, notamment lors du Sonderbund (1848) et du Kulturkampf (1870) qui ont introduit dans la législation et la pratique des discriminations à l’égard de l’Eglise catholique (articles confessionnels). La dernière a été levée en 2002 seulement (il fallait l’accord de la Confédération pour ériger de nouveaux évêchés).

Aujourd’hui, au niveau fédéral, les relations Eglises-Etat sont réglées par le préambule de la Constitution (« Au nom de Dieu tout-puissant ») et par les articles 15 et 72 qui garantissent la liberté de conscience et de croyance et précisent les rapports entre Eglise et Etat.
En résumé, ces relations sont renvoyées aux cantons. C’est à ceux-ci de régler concrètement cette « coexistence pacifique », autrement dit il y a 26 statuts différents, mais tous sont basés sur le respect des libertés religieuses, des diversités et donc des minorités. En fait trois Eglises sont reconnues officiellement : l’Eglise catholique, l’Eglise protestante et l’Eglise vieille-catholique.

Actuellement, de profondes évolutions sont en cours dans le domaine religieux.
Du point de vue démographique d’abord, et surtout à cause des phénomènes migratoires, tant internes que externes.
En 1970, 98% des habitants de la Suisse se déclaraient chrétiens. Ils étaient seulement 80% en 2000.
A cette date, les protestants constituaient le 33% de la population (contre 47% en 1970), les catholiques 41%, soit actuellement 3,1 millions. En 1970, 10 cantons étaient en majorité protestants ; aujourd’hui un seul : Berne. On a calculé que les protestants seraient peut-être seulement 20% en 2040. Actuellement le canton de Genève (« la cité de Calvin ») compte seulement 16% de protestants. Rappelons aussi que si seulement 3,1% des protestants sont des étrangers, 21,8% sont des étrangers dans l’Eglise catholique en Suisse.



Plus significatifs encore ces phénomènes relativement nouveaux :
- les musulmans ont passé de 0,26 % de la population en 1970 à 4,5% aujourd’hui. Ce groupe de populations est nettement plus jeune que la moyenne de la population (39% ont moins de 20 ans) et le taux de fécondité est supérieur à la moyenne suisse (2,44 contre 1,43 en moyenne suisse).

- Les « sans appartenance religieuse » étaient 1,14% en 1970. Ils étaient en 2000 11,2% de la population. Dans la ville de Bâle, ils constituent le groupe « religieux » le plus important (31%), alors que tous les chrétiens ensemble forment à peine le 50% de la population.

Il faut ajouter une note sur le taux d’appartenance qui indique la relation plus qualitative avec l’Eglise. Ce sentiment avoué d’appartenance à une Eglise est actuellement seulement de 46% chez les catholiques et de 44% chez les protestants.
Ce relâchement (« croire mais sans appartenir ») est patent dans cette enquête :
64% des Suisses estiment qu’on peut être chrétien sans Eglise ;
52% des Suisses n’attendent rien des Eglises ;
66% des catholiques estiment que l’Eglise n’a aucune influence sur le choix de leurs valeurs.
D’ailleurs le taux moyen de la « pratique religieuse » extrêmement bas (environ 10%) corrobore la constatation que la sécularisation de notre population est très générale et profonde.


Les trois systèmes principaux de relations Eglises-Etat
(tous les trois représentés dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg)


1. Le système d’union (presque du concubinage !)
L’Etat, à travers le canton et les communes, prend en charge les Eglises dans le cadre du budget ordinaire des collectivités publiques. La religion est presque un service étatique et les ministres sont quasi assimilés à des fonctionnaires. Ce fut le cas dans le canton de Vaud pour l’Eglise nationale protestante. L’Eglise catholique a été associée à ce privilège dès 1970, mais la pleine égalité de traitement, reconnue en 2009 seulement, entrera en vigueur intégrale en…2025. Les catholiques vaudois représentent 37% des catholiques du diocèse. A titre d’exemple, notre Eglise dans ce canton a reçu de l’Etat 23,7 millions de francs (+ ou – 18 millions d’euros) en 2009. Ce qui permet à notre Eglise dans ce canton de payer en équivalant plein temps 81 prêtres et 89 laïcs en ministère d’Eglise.

2. Le système de séparation « à la française » dans les cantons de Genève (dès 1907) et Neuchâtel (dès 1941). Il y a pleine liberté pour les Eglises, mais sans soutien de l’Etat, ce qui signifie aussi une pénible pauvreté de moyens dans ces cantons. Avec une nuance : le canton assume les frais de la faculté de théologie protestante, recueille les contributions libres des citoyens pour leur Eglise (contre émoluments) et verse parfois des subsides pour les œuvres sociales des Eglises.

3. Le système de relative autonomie avec le statut reconnu de droit public, autrement dit les citoyens qui se déclarent membres d’une Eglise reconnue lors du recensement doivent s’acquitter de l’impôt obligatoire à l’Eglise, dont le taux est fixé par chaque paroisse, par exemple dans le canton de Fribourg (ce qui provoque d’ailleurs de grandes différences suivant la « richesse » des paroisses). L’impôt est perçu auprès des personnes physiques, mais aussi auprès des personnes morales (sociétés, commerces, industries, etc…)
Dans ce contexte, les Eglises ont libre accès à l’école pour la catéchèse, aux diverses aumôneries, etc…, ce qui suppose un dialogue permanent avec les autorités civiles, généralement dans un esprit de bonne collaboration.


Notons enfin que la gestion des biens des Eglises se fait de manière entièrement démocratique, avec des conseils (de laïcs) élus et contrôlés par les assemblées de paroissiens.
L’habitus démocratique va si loin que, dans certains cantons, ce sont les paroissiens qui nomment formellement leurs curés ! Rappelons aussi que dans les trois diocèses alémaniques, c’est le Chapitre cathédral qui nomme l’évêque après un va-et-vient de consultation avec le Vatican.

Actuellement, il existe un certain débat sur les points suivants :
- les sorties d’Eglise : soit pour des raisons profondes (on quitte vraiment la communion ecclésiale), soit pour des raisons fiscales (on veut rester membre de l’Eglise mais on refuse de payer l’impôt ecclésiastique obligatoire). Pour cette dernière catégorie, les évêchés réfléchissent à une tarification des services demandés par ces personnes en « sortie partielle », non pour « vendre les sacrements », mais pour couvrir les frais occasionnés par ces demandes souvent liturgiques.
- On doit adapter la présence des Eglises dans l’école publique. Dès 16 ans, les enfants et leurs parents peuvent choisir entre des cours de culture religieuse (sous la responsabilité de l’Etat) et une catéchèse confessionnelle (sous la responsabilité des Eglises).
- On constate aussi une remise en cause de l’impôt sur les personnes morales de la part de certains milieux économiques.
- Se pose aussi la question de la reconnaissance éventuelle de nouvelles religions ou communautés religieuses. Les critères suivants sont généralement retenus : une implantation historique relativement ancienne, une représentativité unique, une gestion économique transparente et contrôlée, une adhésion sans faille à notre ordre constitutionnel, à ses valeurs et pratiques.
- Va-t-on vers la séparation des Eglises d’avec l’Etat ? C’est possible, mais jusqu’à ce jour toutes les tentatives démocratiques en ce sens ont échoué devant le peuple souverain (79% de non au plan fédéral en 1980 et de même à Zürich en 1998).


La situation concrète dans notre diocèse (VD GE FR NE).


Nous comptons 686.000 catholiques dont 37 % sont « étrangers ».
Au service de cette Eglise, nous avons 337 prêtres, dont 58 religieux et 46 provenant d’autres diocèses (surtout étrangers). Ajoutons 23 diacres permanents, la plupart en situation professionnelle séculière.
Chez les prêtres, la moyenne d’âge est de 69 ans, soit 6 qui ont moins de 30 ans, 36 moins de 40 ans, 203 plus de 60 ans et 123 plus de 70 ans.
Heureusement, il y a les laïcs en mission (salariée) d’Eglise. Ils sont actuellement 254, dont 119 ont moins de 50 ans.

L’avenir de notre « personnel » ne repose pas sur les communautés religieuses (jadis nombreuses, mais aujourd’hui en forte diminution par manque de recrutement), mais sur les laïcs, surtout femmes. Il y a une cinquantaine de personnes en formation à l’Institut de formation aux ministères laïcs, seulement 4 séminaristes et des filières de formation pour les bénévoles dans chaque canton.
Nous vivons aussi une forte restructuration dans notre Eglise, à savoir au niveau des paroisses mais aussi dans la pastorale dite « catégorielle », sous l’impulsion intitulée « proposition de la foi et pastorale d’engendrement ». Il nous reste 20 décanats, il y a 52 unités pastorales (mais encore 255 paroisses maintenues) et 20 missions linguistiques. La présence d’une pastorale de proximité, notamment dans les campagnes, demeure un vrai problème, et en particulier la fréquence et la présidence de l’eucharistie dans ces lieux.


Défis à relever

1. Comment évangéliser dans un fort contexte de sécularisation, avec l’apparition de nouvelles religions et courants religieux ?
2. Comment en particulier évangéliser le monde de la jeunesse et certains milieux, par exemple ceux de l’économie ?
3. Comment mieux collaborer dans un contexte œcuménique qui s’impose partout ? (Cf. les familles mixtes).
4. Comment équilibrer, dans la gestion des services ecclésiaux, les ministres salariés et l’apport des bénévoles, tous à former ?
5. Comment prendre en compte de nouvelles pauvretés, par exemple la fragilité des familles (13% de divorces en 1967, 50% actuellement), les migrations, les nouveaux pauvres ?
6. Comment garder, mais en les adaptant, les bonnes relations entre l’Etat et les Eglises ?


Chez nous comme ailleurs, il nous faudra toujours, avec la grâce de Dieu et dans la communion de l’Eglise, veiller à insuffler de la profondeur, à élargir les espaces et à dynamiser la vitalité communautaire.


Fribourg, le 23 juin 2010 Claude Ducarroz


Pour en savoir davantage :

Le paysage religieux en Suisse Claude Bovey et Raphaël Broquet Office fédéral de la statistique 2004
La religion visible - Pratiques et croyances en Suisse Roland Campiche - Le savoir suisse 2010
La nouvelle Suisse religieuse - risques et chances de la diversité Martin Baumann et Jörg Stolz Labor et fides 2009
La nouvelle Suisse religieuse in Revue Choisir janvier 2010 pp. 35-37
Sorties d’Eglise Eglise catholique dans le canton de Fribourg 25 mai 2010.

mardi 8 juin 2010

Homélie du pèlerinage aux Marches

Pèlerinage à Notre-Dame des Marches
9 juin 2010

Santé !
Que l’évangéliste Jean me pardonne. Il me semble que seul le mot « Santé » manque dans son récit des noces de Cana. Vous vous figurez : le vin qui fait défaut, une demande discrète de Marie, un ordre de Jésus, des serviteurs complices : et voilà de l’eau changée en vin, et pas peu puisque les spécialistes nous disent qu’il y en avait 600 litres. Et pas de la piquette puisque c’était le meilleur vin du repas. En plus : gratuit et à volonté. Je m’arrête parce que ça pourrait peut-être faire saliver quelques-uns parmi nous.
Santé ! J’ai dit santé ?

Pardonnez-moi, chers malades. Il y avait peut-être une provocation de mauvais goût dans cette expression festive, alors que vous êtes là justement avec votre manque de santé, vous dont la santé s’est envolée avec la maladie, l’infirmité, le grand âge et peut-être encore d’autres épreuves plus intimes, au niveau du cœur ou de l’esprit. Pour vous, n’est-ce pas ? la santé, c’est peut-être seulement un souvenir lointain, une nostalgie, un désir devenu irréalisable. Et qui sait ? comme je peux le comprendre : un cri, une révolte.

Au milieu d’un beau repas de mariage –repensez peut-être à votre mariage, vous les mariés parmi nous-, manque de vin : c’est un gros pépin, un peu comme une maladie sociale, qui paralyse, qui fait honte, surtout quand on ne sait pas comment sortir de ce mauvais pas.


C’est Marie qui voit la première, parce qu’elle est femme, parce qu’elle est maman, parce qu’elle a du coeur. « Ils n’ont plus de vin. » Plus encore, elle se dit qu’il faut faire quelque chose pour tirer ces gens de l’embarras, même si elle sait bien qu’elle ne peut rien faire elle toute seule.

A la suite des milliers de pèlerins qui sont venus en ces lieux depuis le 17ème siècle, vous savez que la mère de Jésus et notre mère voit nos misères, nos douleurs et nos pleurs, elle qui a aussi souffert et pleuré au pied de la croix de son fils mourant pour le salut du monde. Oui, Marie est proche, fraternelle, maternelle, avec chacun et chacune de nous, et surtout avec ceux qui sont dans le besoin. Aux Marches comme à Cana.

Mais ici aussi, Marie ne se contente pas de regarder avec compassion. Si elle ne peut rien faire toute seule, elle nous donne toujours la meilleure adresse pour qu’il se passe quelque chose, pour qu’il y ait un mieux, pour que la vie l’emporte sur les puissances de mort, qu’elle soit physique, morale, sociale ou spirituelle. Comme aux serviteurs, elle nous répète : « Faites tout ce que Jésus vous dira ». Et quand Jésus dit, lui, il fait. En direct parfois, par son Esprit le plus souvent, en nous intérieurement, et aussi par les serviteurs et les servantes qui obéissent à sa parole. « Remplissez d’eau les cuves », leur dit-il. Et il les remplirent jusqu’au bord. Et pourquoi ne serait-ce pas nous, aujourd’hui, ces serviteurs et ces servantes qui accomplissent la volonté d’amour de Dieu ?

Vous l’aurez remarqué. Pas d’abord pour eux-mêmes égoïstement –même si j’espère qu’il leur est resté quelques pichets pour trinquer après la fête-, mais pour les autres, car Jésus leur avait dit : « Maintenant puisez et portez au maître du repas ». Et ils lui en portèrent, note l’évangéliste.

C’est une des merveilles de la véritable charité, et c’est d’ailleurs là souvent la source du bonheur, au point de faire oublier parfois nos propres malheurs : trouver sa joie en faisant la joie des autres.
C’est Mère Teresa qui priait ainsi :
Seigneur, quand j’ai faim, donne-moi quelqu’un qui ait besoin de nourriture
Quand j’ai soif, envoie-moi quelqu’un qui ait besoin d’eau
Quand j’ai froid, envoie-moi quelqu’un à réchauffer
Quand je suis blessé, donne-moi quelqu’un à consoler
Quand je n’ai pas le temps, donne-moi quelqu’un que je puisse aider
Quand je suis découragé, envoie-moi quelqu’un à encourager
Quand j’ai besoin qu’on prenne soin de moi, envoie-moi quelqu’un dont j’aurai à prendre soin
Quand je ne pense qu’à moi, tourne mes pensées et mes prières vers autrui.
Résultat des courses à Cana : il y avait à nouveau du vin pour tout le monde, et de l’excellent. « Ce fut le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. »

Chers malades, chers pèlerins,
Vous portez certainement en vous cette question : comment contribuer, comme Marie, avec Marie, à ce que Jésus puisse encore « faire signe » dans le monde d’aujourd’hui, notamment auprès des jeunes et de ceux qui s’éloignent de la foi, quittent l’Eglise ou restent sur le seuil parce qu’ils estiment avoir de bonnes raisons de sortir ou de ne pas entrer ?
En une phrase : comment faire Eglise aujourd’hui, une Eglise de Cana, à la fois centrée sur le Christ –« faites tout ce que lui vous dira » - et accompagnée par Marie : « la mère de Jésus était là avec ses disciples. »

D’abord une bonne nouvelle : cette Eglise toute illuminée par l’Esprit de l’Evangile, elle est déjà là, elle est là : c’est vous, c’est nous tous.
Ce sont vous les malades et les personnes âgées, qui méditez la parole de Dieu, qui priez pour le monde et pour l’Eglise, qui offrez au Seigneur par amour les peines et les joies de vos existences cabossées par les épreuves.
C’est aussi vous, les hommes et les femmes, qui entourez de vos soins, de vos visites, de vos réconforts, toutes les personnes qui peinent et qui souffrent, que ce soit chez nous ou au loin, dans tous les réseaux de solidarité et d’entraide qui changent la météo de notre humanité par vos initiatives d’amour gratuit.

Voilà l’Eglise d’aujourd’hui. Elle sera essentiellement la même demain, à savoir celle qui annonce une foi toute ruisselante d’amour, celle qui proclame un évangile de tendresse et de compassion, celle qui, avec la force de l’Esprit puisé dans l’Eucharistie, l’Evangile, la prière et la fréquentation de Marie, transformera l’eau des larmes et des douleurs en vin de consolation et de courage pour les éclopés de la vie.

Malades ou bien portants, jeunes ou vieux, prêtres, diacres ou laïcs engagés : nous pouvons boire tous ensemble à la santé de cette Eglise-là, celle que nous formons, celle que nous continuerons à former, avec Jésus et Marie, aujourd’hui à Cana sur Broc, aux Marches en Galilée.
Claude Ducarroz

mercredi 2 juin 2010

Homélie Naïm

Homélie du 10ème dimanche du temps ordinaire

Un éclair, puis un chemin et finalement une maison : c’est le voyage auquel nous invite l’évangile de ce dimanche. Il est dit en effet que « Jésus était en route avec ses disciples, ainsi qu’une grand foule », avant de s’arrêter aux portes de la ville de Naïm.

L’éclair survient comme un coup de tonnerre dans la nuit. La nuit de la mort, la nuit du désespoir, la nuit de la désolation. On peut le comprendre, et peut-être certaines ou certains ont-ils vécu cela parmi vous : une veuve qui accompagne au cimetière son jeune fils unique. Il est difficile de trouver une tristesse plus inconsolable.
Et voici l’éclair au cœur de ces ténèbres. Seulement une petite phrase : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi ! ». Alors le mort se redressa, s’assit et se mit à parler.
Bien sûr, il faut nuancer. A proprement parler, il ne s’agit pas d’une résurrection puisque ce jeune est sans doute re-mort par la suite. La résurrection vraie, c’est évidemment revivre une fois pour toutes, entrer dans la gloire de Dieu et ne plus jamais mourir.
N’empêche que cet évènement extraordinaire retentit comme un coup de foudre au milieu de ces gens puisqu’il est dit : « La crainte s’empara de tous. Ils rendaient gloire à Dieu en disant : « Un grand prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple. »

Quel prophète ? Quelle visite ? Pour dire quoi ?
La réponse est déjà là, mais elle sera exprimée définitivement plus tard : le Christ est le maître de la vie et de la mort. Ou plutôt son amour l’emporte sur les puissances de mort. Il l’a prouvé au matin de Pâques, lui qui avait dit à deux autres femmes éplorées, les soeurs de Lazare : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra…Crois-tu cela ? »
C’est ça, l’éclair qui a changé la météorologie de l’histoire humaine, qui donne un tout autre sens à notre vie et à notre mort. En re-suscitant le jeune homme de Naïm, Jésus préfigure et inaugure rien moins que le mystère pascal.

Et puis il y a le chemin. Comment annoncer cela, aujourd’hui encore, de manière crédible, comme c’est le devoir de l’Eglise, donc le nôtre. Il n’y a qu’une seule route sur laquelle nous devons marcher, c’est l’amour en actes, au jour le jour de notre existence. C’est ce que met en évidence la première lecture en racontant l’histoire du prophète Elie qui rend aussi la vie au fils d’une veuve. C’est ce que répètera l’apôtre Jean quand il écrit : « N’aimons pas avec des paroles et des discours, mais en actes et en vérité. »

Une fois de plus, c’est en suivant Jésus que nous trouverons les attitudes justes. Chez lui, quelle compassion, quelle action aussi ! En voyant le cortège funèbre, il est saisi de pitié, il dit à cette mère ! « Ne pleure pas », il touche la civière et, après avoir rendu la vie à ce jeune homme, délicatement, il le remet à sa mère. Des paroles, certes, mais surtout des gestes qui, le plus souvent, disent tellement plus que les paroles.

Notre Eglise passe par des moments bien difficiles, et ce n’est pas uniquement par la faute de certains prêtres. Dans notre société surtout, elle est remise en question, elle est parfois critiquée, voire rejetée puisque certains la quittent, y compris chez nous. Nous sommes placés devant tant de défis…à relever ! Que faut-il faire pour bien faire, pour mieux faire ?

Il nous faut rejoindre Jésus sur le chemin de Naïm. Il est là avec ses disciples, donc en Eglise. Mais il est aussi là avec une grande foule, donc au milieu des gens, quels qu’ils soient. Et surtout il s’arrête quand il voit des personnes qui pleurent, qui souffrent, qui désespèrent. Et Dieu sait s’il y en a beaucoup aujourd’hui, chez nous, tout près de nous peut-être, et jusqu’au bout du monde. Personne ne peut dire qu’il l’ignore, maintenant que le vaste monde entre chez nous chaque jour par les informations et toutes sortes de médias.

Que faire ? Certes ne jamais cesser d’annoncer la destinée éternelle de chaque personne humaine. Un précieux service que seule l’Eglise –ou presque- peut rendre à notre humanité. La maison où le Seigneur nous attend quand nous serons remis entre ses mains au moment de notre mort, c’est la demeure du Royaume de Dieu, c’est le cœur vivant de Jésus ressuscité, c’est le monde de « l’Esprit qui est Seigneur et qui donne la vie. » Au bout du chemin, au terme du voyage, quelqu’un nous attend, qui nous a dit : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père… Je vais vous préparer une place et là où je suis, vous serez aussi avec moi. »

Mais, plus que jamais, pour oser dire cela à notre monde, pour l’annoncer avec un peu de crédit -après tant de déceptions et de scepticisme chez les gens-, il nous faut d’abord leur montrer qu’on les aime, qu’on les accueille, qu’on partage leurs joies et leurs peines, qu’on est capable de s’engager avec eux et pour eux. Sinon, ils ne nous croiront pas.
Pour faire désirer la maison promise –celle de la vie éternelle-, il nous faut marcher sur le même chemin que tout le monde, dans une vraie solidarité. Alors, et alors seulement, la parole des chrétiens, répercutant celle du Christ pour le salut du monde, aura quelque chance d’être entendue, comprise et même accueillie.

Seul l’amour est digne de foi. C’est bien ce que l’épisode de Naïm raconte quand il est dit : « Cette parole se répandit dans toute la Judée et dans les pays voisins. »
On n’attend pas de l’Eglise qu’elle soit complaisante, mais qu’elle soit aimable parce que aimante, surtout à l’égard des moins aimés. Tel est le signe pascal qu’elle doit donner, en pointant vers le Royaume de Dieu, mais avec ses mains ouvertes, compatissantes, fraternelles. Comme l’abbé Pierre, Mère Teresa, Sœur Emmanuelle et bien d’autres encore.

A l’image du prophète Elie qui pouvait dire à la veuve de Sarepta : « Regarde, ton fils est vivant. » Et celle-ci de répondre : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu et que, dans ta bouche, la parole du Seigneur est véridique. »

Ainsi soit-il. Oui, qu’il en soit ainsi.
Amen.

Mendiant de l'évangile

Fleur de vie

Mendiant de l’évangile

« C’était un très beau sermon après une très belle lecture » ! C’est ainsi que s’exprimèrent plusieurs paroissiens en sortant de la messe dans une grande église de chez nous. En effet, la lecture ne parlait que de l’amour de Dieu qu’il fallait ensuite répandre sur son prochain pour faire comme Jésus. Et le prêche a renchéri en invitant les chrétiens à passer aux actes. Evidemment.
Sauf que, sur le parvis, un mendiant peu ragoûtant tendait une main suppliante qui, de toute évidence, incommodait les braves paroissiens nourris de Bible et d’homélie. On leur avait bien parlé d’amour, mais là…ça coinçait.
Personne n’est obligé de donner, c’est vrai. Et d’ailleurs on ne peut donner à tout le monde, c’est connu. Mais cette présence misérable, à cet endroit-là, à ce moment-là…Comment faire ? Ni une ni deux : le prêtre -l’excellent prédicateur- sort du sanctuaire et chasse sans ménagement cet intrus qui dérangeait, une fois de plus, les chrétiens pratiquants à l’issue de la messe. Certains ont sans doute été soulagés. Il vaut mieux ôter ce qui pourrait nous donner mauvaise conscience, n’est-ce pas ? On n’aime pas ça. Mais d’autres ont été scandalisés. Surtout après de telles lectures et un tel prône.
Difficile de bien réagir dans de telles circonstances. Mais qu’aurait fait Jésus ? C’est la question que nous pouvons –que nous devons ?- nous poser. La question inconfortable, mais surtout incontournable.
Quant à la réponse…
Vous, qu’auriez-vous fait?
1493 signes Claude Ducarroz