dimanche 25 août 2013

Fête de la dédicace de la cathédrale

Homélie
Dédicace de la cathédrale

Trois fêtes en une ! Vous en avez donc pour votre argent. Spirituel, évidemment.
En cette solennité de la dédicace de notre cathédrale, nous pouvons puiser la grâce à trois niveaux de profondeur.

Il s’agit d’abord de ce sanctuaire, si cher à notre cœur. Le 6 juin 1182, l’évêque de Lausanne Roger de Vico Pisano est venu consacrer la première église construite au cœur de ce quartier du Bourg, au dessus des falaises de la Sarine. Que les fondateurs de notre cité -les ducs de Zaehringen- aient voulu aussitôt édifier une église en ce lieu, et déjà dédiée à saint Nicolas de Myre : voilà qui atteste de leur foi, conformément au psaume 127 : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs. Si le Seigneur ne garde la ville, en vain la garde veille. »

Depuis lors, notre ville a beaucoup grandi. Et cette église aussi, puisque de 1283 à 1490, on a construit par dessus la petite église romane des origines, cette grande église gothique qui fait aujourd’hui notre fierté et suscite tant d’admiration. Comme il est important dès lors que ce lieu sacré –véritable symbole de notre cité- soit bien entretenu, toujours accueillant à celles et ceux qui viennent y chercher un espace de recueillement, une découverte de beauté, une invitation à se tourner vers le Ciel. A l’instar de ce que vivaient les juifs pieux dans le temple de Jérusalem dont parle le prophète Ezéchiel.

Merci à tous ceux et celles qui s’engagent à maintenir la qualité évangélique, esthétique et simplement humaine de notre cathédrale. J’espère que bientôt les changements provoqués par l’ouverture du pont de la Poya permettront d’améliorer encore l’ambiance et les offres dans et autour de notre cathédrale.

Mais tout cela -si utile, si nécessaire- n’est pas encore l’essentiel. Ce sanctuaire a été construit et a été peu à peu embelli pour accueillir en priorité les croyants désireux de faire communauté dans une vaste « maison de famille ». Une église, si belle qu’elle soit, n’est pas un musée religieux. C’est d’abord un espace construit pour faciliter le rassemblement des chrétiens qui veulent rendre gloire à Dieu, écouter ensemble sa Parole, célébrer les sacrements, s’unir dans la prière et une vraie fraternité.

La dédicace de l’église avec e minuscule, c’est la fête de l’Eglise avec E majuscule. C’est notre fête. Nous commémorons en ce jour la présence et l’action de tous ces chrétiens qui, tout au  long des siècles, ont accueilli, vécu et transmis les saints mystères célébrés ici. De sorte que, héritiers de toutes ces traditions, nous puissions maintenant, à notre tour, recueillir et prolonger cette magnifique histoire, sans doute tissée par des chrétiens imparfaits –comme nous-, mais tenue et soutenue par tant de fidélités, de conversions et finalement de sainteté.

Comme il nous faut réentendre le message de l’apôtre Paul aux Corinthiens, alors qu’il n’y avait pas encore d’église de pierre pour les rassembler : « Vous êtes la maison que Dieu construit… Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous. » Finalement, toutes les liturgies et toutes les pastorales, en leurs diverses initiatives, nous rappellent cela. Aujourd’hui plus que jamais.

Fête de cette église. Fête de l’Eglise que nous sommes. Fête aussi de l’Eglise universelle, car tout ici nous renvoie à plus que nous, plus haut, plus loin. Nous sommes dans un lieu emblématique d’horizons plus larges, qu’il nous faut prendre en compte. De paroissiale, cette église est devenue collégiale en 1512. De collégiale, elle est devenue cathédrale en 1924. Et aujourd’hui, par toutes sortes de mouvements qui brassent la vie de l’Eglise et agitent la société, cette église devient toujours plus un port qui rassemble, mais aussi un tremplin qui envoie au large, aux périphéries, comme aime à le répéter notre pape François.

Les paroisses collaborent dans des unités pastorales. Une cathédrale doit être particulièrement sensible au diocèse puisqu’elle est la première église de l’évêque. Par ailleurs, cette cathédrale, de par son histoire, est devenue « la maison du peuple » de Fribourg, avec ses autorités, mais aussi ses invités et ses passants, parmi lesquels de nombreux touristes de toutes nations, cultures et religions. Nous avons encore des efforts à faire pour inscrire cela dans notre manière d’habiter et d’accueillir en notre cathédrale.
Jésus, dans l’évangile n’a pas craint la manière forte pour redonner au temple de Jérusalem sa vraie vocation parce que « l’amour de la maison de Dieu faisait son tourment », comme il est écrit.
Respect du passé et ouverture aux signes des temps, fidélité essentielle et imagination réformiste peuvent aller de pair.

Mais aujourd’hui, soyons surtout dans la joie !  Bonne fête à la cathédrale, à nous l’Eglise ici et à l’Eglise universelle.


                                                           Claude Ducarroz

dimanche 18 août 2013

Homélie du 20ème dimanche du temps ordinaire

Homélie du 20ème dimanche C

Finies, les vacances ! Les textes de la liturgie de ce dimanche nous parlent tous de travail, d’efforts et même de souffrances. Ils invitent les chrétiens à être des combattants.

* Parce qu’il dérangeait par ses prédications et ses prédictions, le prophète Jérémie a été jeté dans une citerne pleine de boue.
* L’épître aux Hébreux nous propose de fixer nos yeux sur le Christ qui a enduré l’humiliation de la croix et l’hostilité des pécheurs avant de s’asseoir à la droite de Dieu.
* Enfin, Jésus lui-même nous avertit que, finalement, il est venu mettre sur la terre la division plutôt que la paix, même si le fait de prédire une certaine hostilité entre la belle-mère et la belle-fille n’a rien de très original.

Que la vie chrétienne, quand elle se veut fidèle au message de Jésus, soit une lutte : est-ce que ce n’est pas évident, est-ce que nous n’en faisons pas l’expérience ? Ou alors serait-ce que nous sommes des chrétiens en chaise longue, qui prolongent indéfiniment leurs vacances spirituelles, qui se sont mis, plus ou moins, en congé de l’évangile ?

* Lutter pour la foi. Nous constatons bien, chez nous aussi, que le peuple des croyants diminue au point de devenir ce que Jésus appelait un « petit troupeau », parfois un peu perdu dans la masse de ceux qui doutent, qui décrochent, qui s’opposent, qui nient, renient, dénient.
* Lutter pour l’espérance. Au cœur d’une civilisation qui fournit tant d’anesthésiants pour tromper en nous la faim et la soif de vie éternelle, nous passons pour des rêveurs naïfs quand nous osons encore parler d’au-delà et de résurrection.
* Lutter pour la charité. Si notre humanité a multiplié les moyens de vivre, a-t-elle élargi nos cœurs dans le sens d’une société où chaque être humain, quel qu’il soit, pourrait avoir le minimum pour vivre dignement ? Nos démarches de solidarité et de partage nous semblent si souvent des gouttes d’eau dans un océan de misères, de violences et d’injustices insurmontables.

Le tableau est bien sombre, me direz-vous. Vous nous menez droit dans le mur de la dépression, du découragement, de la démission.
Alors regardons les textes de plus près.

* Face au sort injuste et cruel du prophète Jérémie, quelqu’un s’est levé courageusement pour demander justice et compassion. C’était un officier étranger et païen.
* En fixant notre regard sur Jésus, l’auteur de l’épître aux Hébreux nous incite à ne pas céder au découragement parce que le Christ crucifié est aussi le ressuscité.
* Si Jésus, inévitablement, suscite la division en se proposant à notre liberté, il apporte aussi une paix contagieuse dans le cœur de celles et ceux qui veulent bien le suivre sur son chemin pascal.

Un chrétien sera toujours dans une situation difficile, fragile, inconfortable. A cause de ses propres faiblesses humaines et à cause d’un monde qui ne vit pas toujours –peut-être même pas souvent- sur la longueur d’onde de l’évangile. Mais il tient bon, malgré ses limites, parce qu’il croit, parce qu’il sait, parce qu’il expérimente qu’il n’est pas seul dans son combat.

* Il y a d’abord ce Jésus qui a ouvert devant nous le chemin de la vraie vie humaine, selon le rêve de Dieu, qui veut finalement notre bonheur dans le plein exercice d’un amour à l’image du sien. Et qui ne cesse de venir à notre rencontre par sa parole, par ses sacrements, par le don intime de son Esprit.

* Il y a aussi cette « foule immense des témoins » dont nous parle l’épître aux Hébreux. On peut penser à ceux qui nous ont précédés, par exemple celles et ceux qu’on appelle les saints, canonisés ou non. Ils nous prouvent qu’il est possible de vivre vaillamment en ce monde tel qu’il est, en trouvant la bonne lumière pour éclairer nos sentiers, en misant sur l’amour pour être heureux et faire des heureux, en maintenant le cap de l’espérance en la vie éternelle.

* Heureusement, il y a des témoins qui vivent encore aujourd’hui au milieu de nous et qui nous donnent la main, dans notre Eglise, comme par exemple actuellement le pape François.  Mais il y en a aussi dans les autres Eglises, dans les autres religions et même parmi celles et ceux qui se prétendent sans religion, mais qui sont des hommes et des femmes de bonne volonté, cohérents avec leurs convictions humanistes, courageux dans leurs engagements pour la promotion de la justice, de la solidarité et de la paix en ce monde. Dieu reconnaîtra les siens !

Finalement, ce que le Christ nous demande, c’est de lui faire confiance et de nous investir pour les autres. Pour, et non pas contre.
* Oui, lutter avec l’Esprit du Christ, mais pour une meilleure humanité.
* Oui, combattre, mais avec les seules armes de l’amour, de la générosité, du don de soi, comme Jésus. C’est d’ailleurs en ce faisant que nous trouverons notre bonheur, déjà en ce monde et plus encore dans l’autre.

Wath else ?

                                   Claude Ducarroz


jeudi 15 août 2013

Entre désirs et besoins

Entre désirs et besoins

A la faveur des vacances, j’ai été invité à une joyeuse réception autour d’un grand buffet fort abondant et même succulent. Au delà de l’effet gourmandise, ce fut un poste d’observation privilégié pour « apprécier » notre société occidentale. Edifiant !
Entraînés par le (mauvais) exemple de leurs parents, des adolescents se sont précipités sur les bonnes choses qui leur faisaient de l’œil. Vous devinez la suite. Emportés par leurs désirs presque infinis, ils ont rempli leurs assiettes de manière non seulement généreuse mais carrément débordante. Evidemment, les besoins réels, même gargantuesques, ne peuvent pas être au niveau des désirs fantasmés, surtout quand ceux-ci sont si démesurés. Résultat des courses : plus de la moitié de ces appétissantes victuailles sont demeurées pêle-mêle dans les assiettes avant de finir dans les poubelles, et au mieux dans une déchetterie pour recyclage hasardeux.
Parabole vivante et assez dégoûtante de notre société de consommation. Tout, tout de suite : c’est plus qu’un slogan. Les désirs, attisés par la tentation des matières bien présentées, montent à l’assaut des convives alléchés. Même leurs besoins –pourtant forcément limités- ne parviennent pas à résister à l’attaque consumériste. Il suffit de constater le nombre d’enfants et de jeunes déjà en surpoids.
Et je ne voudrais pas oublier un détail, si l’on ose dire. Tous les (nombreux) serviteurs de ces agapes provenaient des Philippines et d’Inde. Que pensaient-ils devant tant de gaspillages, eux qui doivent affronter, pour eux ou autour d’eux, la triste réalité d’enfants et de jeunes dévorés par la malnutrition, et peut-être même la faim, avec leurs sous-produits de misère matérielle, sociale, morale ? Silence !
Il y a des tables, et surtout des attitudes, qui vous coupent l’appétit ! Et peut-être vous font réfléchir, sait-on jamais !
Réagir ? Agir ?

Claude Ducarroz

Cette réflexion a paru sur le site www.cath.ch

mercredi 14 août 2013

Assomption de Marie

Homélie
Assomption 2013

Au risque de vous étonner, en cette fête de l’Assomption de Marie, je voudrais conduire vos regards vers un vitrail de notre cathédrale qui ne fait aucune allusion à la sainte Vierge. Regardez sur votre gauche, derrière la chaire, le vitrail des martyrs. On n’y voit aucun personnage biblique, mais deux hommes –saint Maurice et saint Sébastien- et deux femmes -sainte Catherine et sainte Barbe- dont le point commun est le cruel martyre qu’ils ont subi autour de l’an 300.

Le peintre Joseph Mehofer -qui a réalisé ce vitrail en 1901- a poussé le réalisme jusqu’à représenter au dessous de chaque personnage la brutalité de son supplice. Tous sont nus, y compris les femmes, dans une sorte de déploiement indécent de la cruauté.

Mais regardez bien. Discrètement, je dirais même humblement, dans chaque carré inférieur de ce vitrail, le peintre a ajouté le visage d’une femme dans quatre attitudes significatives qui, elles, peuvent nous ramener à Marie.
Que font ces femmes dans ce contexte de barbarie ? En commençant par la droite, la première prie les mains jointes. La deuxième pleure. La troisième donne un baiser à saint Maurice. Et la quatrième soutient et relève saint Sébastien criblé de flèches.

Il y a trois manières de lire et d’interpréter ces visages de femmes très énigmatiques.
On peut d’abord y reconnaître la vie et la mission de Marie, la mère de Jésus et notre mère.
* Elle a prié, notamment en acceptant le mystère de l’incarnation par ces mots qui anticipent la prière du Notre Père : « Qu’il me soit fait selon ta Parole. » Et puis elle a prononcé la si belle prière du Magnificat.
* Elle a pleuré au pied de la croix de son Fils et sans doute en bien d’autres circonstances.
* Elle a embrassé Elisabeth dans le mystère de la Visitation, et les autres femmes en pleurs avec elle au Calvaire.
* Elle a soutenu activement l’Eglise naissante dans le mystère de la Pentecôte.

C’est cette Marie-là que nous fêtons aujourd’hui dans la gloire. Ce qu’elle fut et ce qu’elle fit sont maintenant « éternisés », autrement dit résumés et tranfigurés dans la communion parfaite avec Dieu. L’assomption ne doit pas être détachée de l’histoire concrète de Marie parmi nous. C’est la servante du Seigneur à Nazareth, c’est la mère réfugiée à Bethléem, c’est celle qui a su faire de ses visites des Visitations, c’est la mère douloureuse près de la croix, c’est la compagne des apôtres dans l’accueil de l’Esprit : c’est cette Marie-là, trop souvent représentée loin de nous sur des nuages, que nous fêtons joyeusement en ce jour. Oui, aujourd’hui toutes les générations peuvent la dire bienheureuse parce que le Seigneur a fait pour elle des merveilles. Saint est son nom.

Et maintenant revenons à notre vitrail. Ce que nous avons discerné chez Marie, la mère de l’Eglise, il faut que toute l’Eglise l’imite et le vive.
Ces visages de femmes, c’est aussi le rappel de la mission de l’Eglise –donc de chacun de nous- dans notre monde si souvent blessé par les injustices et les violences

L’Eglise, c’est la communauté des priants sous toutes les formes.
C’est aussi la congrégation des hommes et des femmes sensibles à toutes les misères, qui répondent par la solidarité de toutes les compassions.
L’Eglise, c’est surtout la communion de tous ceux et toutes celles qui misent sur l’amour, jusqu’au pardon, jusqu’à la miséricorde, jusqu’au don de soi.
C’est enfin la chaîne infinie de celles et ceux qui se portent au secours des faibles et des pauvres, pour les relever, pour les réconforter, pour les re-susciter.

Je vous avoue que j’ai reconnu tout cela, avec une grande émotion, dans la première visite de pape François hors de Rome, le lundi 8 juillet dernier quand il est allé à Lampedusa rencontrer les requérants d’asiles rescapés des naufrages.
Il a prié avec eux et pour eux. Il les a encouragés, et aussi celles et ceux qui les accueillent. Il a pleuré avec eux. Il nous a demandé de les aimer en combattant concrètement la triste globalisation de l’indifférence. Ce pape nous a donné un exemple évangélique et marial.

Enfin un dernier regard sur ce vitrail et sur Marie. A dessein, le peintre a placé des visages de femmes pour mieux suggérer son discret message. Encouragé par la fête mariale de ce jour, je voudrais reconnaître et magnifier le rôle extraordinaire des femmes dans notre société. Sans oublier l’Eglise non plus, où elles ne sont pas toujours reconnues à leur juste valeur.
 Oui, dans un monde de bruts –qui sont souvent des hommes-, nous comptons plus que jamais sur l’engagement des femmes afin qu’elles nous montrent un autre chemin pour le bonheur de l’humanité toute entière.
La prière de la foi, certes, mais aussi la puissante douceur de la compassion, l’amour vrai et la solidarité en actes.

Comme Marie, avec Marie.


Claude Ducarroz