mardi 26 juillet 2016

Après l'assassinat d'un confrère

Plus forts que tous leurs pièges

Est-ce encore possible de prendre du recul, après ce que nous avons vu et entendu ? Après Nice, la Bavière. Après l’horrible attentat de Saint-Etienne-du Rouvray dans lequel un confrère de 86 ans a perdu la vie par égorgement. Est-ce décent de chercher à voir plus loin, à réfléchir plus profond ?
Chacun réagit comme il peut. Comme il est. Certains se réfugient dans le silence et la prière. D’autres laissent éclater leur douleur. D’autres encore se tournent vers les autorités pour exiger plus de répression. Je peux les comprendre tous. Il y a aussi un temps pour les cris du cœur et les colères du ventre.
Puis-je me permettre, sans offenser personne –et surtout pas les victimes et leurs proches-, de rappeler quelques évidences qui peuvent ouvrir quelques sentiers sur les falaises de l’espérance.

* Evitons les amalgames, les généralisations indues, les accusations sommaires. Ces brigands se revendiquent de Daech, voire d’un certain islam. L’immense majorité des musulmans -en particulier ceux qui sont chez nous- n’ont rien à voir avec ces assassins. Aux innocents qu’ils tuent si lâchement, n’allons pas ajouter des représailles à l’encontre d’autres innocents sous le simple prétexte qu’ils sont musulmans. Nos valeurs, que ces criminels ont en haine, nous interdisent de nous laisser entraîner dans des dérives de vengeance aveugle. C’est aux forces de l’ordre et à la justice, dans notre pays démocratique, d’accomplir leurs devoirs. Ces meurtriers auraient gagné une deuxième fois si nous nous abaissions à les imiter dans leurs méthodes et dans leurs folies. Ne tombons pas dans les pièges qu’ils nous tendent !

* Commettre de telles horreurs au nom d’une religion, quelle qu’elle soit, provoque des dommages à toutes les religions. J’entends autour de moi des gens, pas nécessairement malveillants, qui accusent toutes les religions –y compris la nôtre- d’être viscéralement à la source de toutes les violences, comme si le fait même d’être croyant devait, tôt ou tard, engendrer des intolérances meurtrières. Une certaine histoire des religions, y compris la chrétienne, est trop souvent là pour leur donner raison. Je suis très frappé par les résultats d’une enquête menée en France parmi les jeunes entre 18 et 30 ans. 20% seulement estiment que la religion est un facteur de paix, tandis que 50% pensent qu’elle est un facteur de division (Voir La Croix du 25 juillet 2016, p. 2). Il est urgent que les croyants de toutes les religions se rassemblent pour relever ce défi, pour affirmer –preuves à l’appui- que la spiritualité et la vie religieuses sont des vecteurs de convivance fraternelle et non pas des fauteurs de violences et d’attentats.

* Ce qui me semble parfois décourageant, c’est justement le découragement des gens qui se sentent impuissants devant ces évènements, jusqu’à la résignation, jusqu’à la déprime. Nous ne pouvons pas faire grand’chose, il est vrai, face à tant d’agressivité mortifère. Cependant, quelque chose reste à la portée de chacun, même des plus faibles ou des plus douloureux parmi nous : compenser le mal en redoublant d’engagement dans le bien. Oui, réaliser tout le possible -si petit soit-il- pour faire pencher la balance dans l’autre sens, par nos regards bienveillants, par nos paroles mieux maîtrisées, par nos attitudes solidaires. En un mot : transformer nos relations humaines en occasions de faire du bien, de montrer de la compassion, de manifester de l’altruisme. Oui, injecter plus d’amour dans ce monde. Car seul l’amour est finalement plus fort que ces haines et ces crimes. Et personne ne pourra jamais nous empêcher d’aimer.
De gagner la bataille de la fraternité.

Claude Ducarroz


A paru sur le site de   cath.ch

samedi 16 juillet 2016

Homélie du 16ème dim. du temps ordinaire

Homélie

16ème dimanche ordinaire 2016

Si je vous dis « Marthe et Marie », à quoi pensez-vous spontanément ? Depuis l’évangile de ce dimanche, on évoque aussitôt l’antagonisme entre les activités spirituelles –voire simplement intellectuelles- et les préoccupations dites « matérielles ». Ce sont les symboles communément retenus dans ces figures contrastées, l’une, Marie, assise aux pieds du Seigneur, qui écoutait religieusement la parole du Maître, et l’autre, Marthe, toute accaparée par les multiples occupations du service. Et, comme il fallait s’y attendre, Jésus aurait loué Marie d’avoir choisi la meilleure part, en fustigeant Marthe agitée pour des choses fort secondaires. Et ainsi Jésus aurait manifesté clairement la supériorité de la vie contemplative –merci pour les moines et moniales- sur la vie active -tant pis pour vous… et pour moi !

En réalité, les choses ne sont pas si simples.

Il serait étonnant que Jésus ait comme méprisé cette femme dévouée à la cuisine et au ménage, lui qui a été si souvent pris en flagrant délit de partager des repas avec des amis, et même avec des gens peu recommandables comme des pécheurs et des prostituées. Au point, selon ce que le rapporte l’évangile, que certains milieux bien pensants le taxaient de glouton et d’ivrogne. Je suis sûr qu’il a apprécié le bon repas préparé par Marthe dans la maison hospitalière de Béthanie, à l’instar de ce qu’Abraham offrit à ses hôtes mystérieux aux chênes de Mambré.

A y regarder de plus près, il n’est pas question de vie contemplative dans ce texte, mais plus précisément d’une attitude qui consiste à prendre du temps aux pieds de Jésus pour écouter sa parole. Autrement dit l’exacte description du disciple dans sa relation prioritaire avec son maître. Une telle posture, faite d’écoute attentive et affectueuse, c’est la définition du chrétien qui place la communion avec Jésus au dessus de tout le reste dans sa vie, parce que, selon ce que dit l’apôtre Paul, « le Christ est parmi nous, l’espérance de la gloire ».

 Voilà ce que Jésus, à travers l’exemple de Marie, veut rappeler à tous, en soulignant une priorité sans exclusivité, en mettant en évidence le danger des préoccupations purement matérielles –voire matérialistes- si elles dévorent  notre temps au point de nous faire oublier le soin de notre relation avec la source de notre existence et l’inspirateur de notre action.

Une telle exigence vitale vaut pour tous et chacun, et donc pour toutes les vocations, y compris celles qui se targueraient d’une certaine supériorité théorique, au mépris des humbles tâches plus terre à terre. L’unique nécessaire, la meilleure part, c’est  la communion savoureuse avec le Christ vivant, et une telle convivialité peut être vécue –mais aussi négligée, voire sacrifiée- dans toutes les circonstances de la vie. Il reste -c’est vrai- que cette relation de type mystique exige certainement du temps –gagné et non pas perdu-, de l’attention à l’Esprit Saint dans le silence, l’écoute de la parole de Dieu et un certain détachement des autres occupations et préoccupations qui risquent de troubler ou même de paralyser notre fréquentation du Christ vivant.

Qui que nous soyons –et les intellos et les mystiques autant que les autres-, nous avons à retenir la leçon donnée par Jésus ce jour-là dans la maison de ses bons amis de Béthanie.
J’ajoute une chose que j’ai apprise en préparant cette petite homélie pour temps de vacances. Les spécialistes du texte sont sensibles au fait que Jésus ait loué cette femme –Marie- dans l’attitude du disciple d’un maître dont il fallait écouter l’enseignement. Ils nous disent qu’il y a là  une preuve supplémentaire de la grande liberté de Jésus de Nazareth à l’égard des femmes et de leurs missions possibles dans la société et dans la communauté chrétienne. En effet, seuls les hommes, en ce temps-là, pouvaient s’adonner à de tels loisirs plus spirituels.

On pourrait donc trouver dans cet épisode plutôt extraordinaire un encouragement de l’évangéliste Luc –le seul qui en parle- à confier aux femmes dans la communauté chrétienne toute la place qu’elles méritent, à savoir autant que les hommes. Car il s’agit bien là de définir le disciple, lequel se décline au féminin aussi bien qu’au masculin. J’ajouterais même, si je regarde l’assemblée de ce jour ici, plus au féminin qu’au masculin. De quoi faire réfléchir sur les missions des femmes, y compris actuellement dans notre Eglise.

Mais en attendant, sans oublier d’être un peu plus Marie, mais aussi sans négliger de remercier toutes les Marthe parmi nous, je vous souhaite, comme le fait le pape François tous les dimanches : « Bon appétit » !


Claude Ducarroz

vendredi 15 juillet 2016

Surtout être disciple

16ème dimanche du temps ordinaire
Surtout être disciple
Luc 10, 38-42

Après avoir répondu à la question « Qui est mon prochain ? » par la parabole du bon Samaritain, l’évangéliste Luc répond à cette autre interrogation : « Qu’est-ce qu’un disciple de Jésus ?». Et la réponse est tirée d’un exemple concret. Deux sœurs en sont les protagonistes, Marthe et Marie de Béthanie, des amies de Jésus.

Une certaine tradition a transformé ces deux figures en symboles contrastés de la vie contemplative et de la vie active, au bénéfice de la première évidemment, qui serait bien supérieure à la seconde,  « la meilleure part ». C’est probablement une fausse piste.

Jésus –qui a sans doute apprécié le bon repas préparé par Marthe- met en évidence l’attitude du vrai disciple dont la vocation, en toutes circonstances, est d’être attentif à la parole de son Maître pour mieux la mettre en pratique. Une telle vocation passe avant toute autre préoccupation, même si c’est ensuite dans le concret de la vie –ménage et cuisine y compris- qu’il s’agit de la traduire en actes de charité et de service. Une telle priorité –l’unique nécessaire - n’est donc pas une exclusivité, ni
un jugement dépréciatif sur les tâches dites « matérielles ».

Ce même Jésus ne nous a-t-il pas rappelé que le disciple « conforme » est celui qui vient au secours des plus petits de ses frères, dans un esprit  généreux et désintéressé (Cf. Mt 25) ? Il demeure que la vie dite « spirituelle » doit être le moteur de telles activités, avec Jésus, comme Jésus. C’est pourquoi, sans jamais opposer l’action et la contemplation, il est bon de s’entendre rappeler que se tenir aux pieds du Seigneur pour écouter sa parole n’est pas une perte de temps, mais au contraire un gain d’énergies puisées à la bonne source. Ces énergies spirituelles qui trouveront, dans les circonstances ordinaires de la vie, des terrains d’exercice pour la mise en application de l’évangile.

Mais peut-être –selon certains spécialistes- y a-t-il encore dans cet évangile un autre message discret. Cette femme –Marie- installée aux pieds du Maître pour profiter de ses paroles, ne serait-ce pas un signe supplémentaire de la grande liberté du Christ à son égard ? Une telle posture, de la part d’une femme au temps de Jésus de Nazareth, n’était pas conforme aux normes sociales et religieuses en vigueur. Il n’y a pas si longtemps, dans notre Eglise, les femmes étaient encore fort rares dans les facultés de théologie. Elles demeurent  quasi absentes dans certains secteurs de la vie de notre Eglise. Il y aurait donc, dans la méditation de cet épisode évangélique raconté par le seul saint Luc, de quoi réfléchir, aujourd’hui encore, sur la mission des femmes dans l’Eglise.

Claude Ducarroz
A paru sur le site cath.ch