samedi 15 février 2014

Homélie du 6ème dimanche ordinaire

Homélie
6ème dimanche du temps ordinaire

S’il est une caractéristique de notre temps, du moins chez nous, c’est bien celle-ci : l’allergie aux commandements, aux ordres, aux règles et obligations. « Il est interdit d’interdire », proclamait un slogan de mai 68, qui continue aujourd’hui sa trajectoire historique avec une belle fécondité.
Que n’a-t-on pas reproché à notre Eglise d’avoir fonctionné –et peut-être aujourd’hui encore- à coup d’interdits, de morale répressive, de panneaux plantés à tous les carrefours de la vie : peu de permis, beaucoup de défendus.

Or les lectures de ce jour semblent en rajouter une couche. « Si tu le veux, tu peux observer les commandements », dit Ben Sirac le Sage. Jésus lui-même passe en revue les commandements de la loi juive, et les pousse dans les derniers retranchements de leur radicalité, car il est venu non pas abolir la Loi et les Prophètes, mais les accomplir, autrement dit les porter à leur plein épanouissement … pour notre bien évidemment !

Il faut bien le constater : nos contemporains ne sont pas à l’aise avec une religion moralisante à outrance. Les jeunes surtout, devant les énormes possibilités que leur offrent les sciences et les techniques modernes, veulent pouvoir tout essayer, et même tout tout de suite. Ils estiment qu’il vaut mieux se casser la gueule en ayant goûté à tout, plutôt que d’être des frustrés ou des déçus par manque d’audace pour tout expérimenter. Le meilleur et le pire.
Alors, finalement, que nous disent la Bible, et singulièrement Jésus, dans les lectures de ce jour ? Est-ce libérateur ou liberticide ? Est-ce épanouissant ou est-ce étouffant ?

« La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix. » Voilà qui est plus clair. Nous ne sommes pas des robots, mais des êtres humains créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, autrement dit avec le merveilleux mais aussi redoutable cadeau de la liberté…que Dieu s’engage à respecter.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas d’abord la soumission à des commandements qui seraient arbitraires. C’est notre vie ou notre mort, et souvent celles des autres en plus. Que de fois n’avons-nous pas fait cette expérience : nous pensions que ce que nous avions décidé et ce que nous faisions étaient bons  -pour la vie, pour le bonheur- et ce fut le contraire. Comme le dit encore Sirac le Sage : « Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu. Etends la main vers ce que tu préfères. Il dépend de ton choix de rester fidèle. »
Il ne faut pas accuser Dieu de tous nos malheurs, quand c’est le plus souvent le mauvais usage de notre liberté qui les provoque.

Les commandements et autres mises en garde ne sont-ils pas là d’abord pour nous faire réfléchir, signaler les écueils, éviter les impasses, voire des catastrophes ?  Sans nous ôter notre liberté de choix, mais alors il faut aussi assumer toutes nos responsabilités.
Heureusement que nous ne sommes pas seuls devant nos choix. C’est le message de l’apôtre Paul. Nous croyons qu’un beau cadeau intérieur nous a été donné, c’est l’Esprit-Saint par lequel Dieu révèle sa sagesse. Car il voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de Dieu. Et cet Esprit est en nous. Est-ce que nous y croyons ? Est-ce que nous le prions, notamment avant de prendre des décisions qui nous engagent sérieusement, voire gravement ?
Cet Esprit, Jésus le décrit comme « avocat, conseiller, défenseur. » Tout ce qu’il faut en somme pour faire les bons choix dans la complexité des possibles. Parmi lesquels est souvent tapie en embuscade la sagesse qui domine ce monde, comme dit saint Paul, celle qui détruit, celle qui a crucifié le Seigneur de gloire.

Alors, me direz-vous, si nous avons l’Esprit Saint en nous, à quoi servent les lois, les interdits et obligations, les autorités ? C’est que notre capacité de discernement demeure faible et que nous ne sommes pas seuls au monde.
Oui, nous avons encore besoin d’interdits pour éviter les plus grosses bêtises, avec de graves conséquences pour nous et pour les autres. Oui, nous bénéficions heureusement des conseils –et parfois un peu plus- de ceux qui peuvent nous aider à voir plus clair, à décider plus juste, à nous investir plus à fond dans le rayonnement du bien.
* Tel est le rôle de la morale, d’abord civique, celle qui nous permet de vivre ensemble sans trop de violence ou d’injustice, et si possible paisiblement. Qui voudrait qu’on supprime les règles de la circulation sous prétexte de promouvoir la libre circulation ?
* Telle est la mission difficile, mais nécessaire, des autorités de l’Eglise qui, en intégrant le courage de la vérité et la compassion de la miséricorde, nous invitent à demeurer fidèles au projet de Jésus sur les personnes et les communautés humaines. Finalement, si nous mettions parfaitement en pratique les deux commandements de l’amour qui n’en font qu’un seul selon Jésus, à savoir aimer Dieu et aimer son prochain, nous n’aurions plus besoin d’autres commandements. Ce que saint Augustin traduisait avec audace : « Aime, et fais ce que tu veux ».

Tout ce processus, de la prière à l’Esprit jusqu’à la prise en compte de la morale rappelée par nos instances d’Eglise, ne dévalue pas le travail de la conscience personnelle qui finalement décide et assume ses décisions, cette conscience que le concile Vatican II définit ainsi : « Cette voix qui presse l’homme d’aimer et d’accomplir ce qui est bien et d’éviter le mal… Cette loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme… Le centre le plus  secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. » GS no 16.

Pas facile d’être un être humain vraiment humain. C’est une quête intérieure de tous les instants. Mais nous sommes guidés du dedans par l’Esprit, éclairés par la Parole de Dieu, accompagnés par l’Eglise et finalement remis à la liberté de notre conscience.

Bon voyage sur la terre des vivants !


                                               Claude Ducarroz

samedi 8 février 2014

Homélie 5ème dimanche ordinaire

Homélie
5ème dimanche ordinaire 2014

Qui a dit que c’était compliqué d’être chrétien ? Difficile, oui, et même sûrement. Mais compliqué, pas du tout. C’est le message de la liturgie de ce jour.

D’abord saint Paul nous libère d’un préjugé très paralysant. Le christianisme serait destiné à une élite supérieure, comme s’il fallait être des intellos, si possible forts en gueule, pour y comprendre quelque chose et pouvoir en témoigner. Rien de ça. Car le mystère de Dieu ne s’annonce pas avec le « prestige du langage humain et de la sagesse », nous rappelle ce grand théologien qu’était pourtant l’apôtre Paul. Qui ajoute qu’il est arrivé en Grèce, patrie des prestigieuses philosophies, « dans la faiblesse, craintif et tout tremblant. » Car  c’est l’Esprit avec sa puissance qui mène le bal de l’évangélisation, et tout le monde est invité, oui tous peuvent participer, même les petites gens du port de Corinthe auxquels l’apôtre écrivait.

Le prophète Isaïe est de la même veine, et encore plus concret. Tu veux être une lumière dans ce monde si souvent plongé dans les ténèbres ? Très bien ! Regarde près de toi et ouvre ton cœur pour aimer au ras de la vie. « Partage ton pain avec celui qui a faim, dit le prophète, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement. Oui, « fais disparaître de ton pays le joug, la parole malveillante, le geste de menace … Alors ta lumière jaillira comme l’aurore », à condition que tu donnes de bon cœur, évidemment !


Pas compliqué, concret, à la portée de tout le monde : tels se présentent le style de vie et l’engagement du chrétien en ce monde. C’est aussi ce que Jésus lui-même enseigne à ses disciples rassemblés autour de lui sur la montagne.

D’abord la comparaison du sel. Qu’est-ce qu’on attend de lui ? Deux choses en somme. D’abord qu’il ait du goût pour en donner. Et ensuite qu’il accepte de quitter la salière pour se laisser dissoudre dans les aliments qu’il doit relever et conserver.
* Fournir un sel gouteux, pas affadi ou dénaturé : c’est le rôle de la communion intérieure avec le Christ. Lui seul peut nous conférer cette saveur d’évangile qui fait les vrais chrétiens : sincères, profonds, engagés. Et ça passe par la fréquentation de la Parole de Dieu, par l’eucharistie et les autres sacrements, par la prière personnelle ou communautaire. Là, le sel puise sa qualité essentielle, ou la retrouve, à sa source mystérieuse. Il nous faut rester branchés !
* Mais le sel n’est pas destiné à demeurer dans la salière, comme il peut advenir par confort, paresse ou habitude égoïste. La soupe du monde, qui attend le sel de l’évangile répandu par les chrétiens, ce sont nos milieux de vie, là, dans le quartier, au travail, dans la famille, dans les loisirs, dans les engagements politiques, culturels, économiques, écologiques et sociaux. Quand nous y sommes et que nous nous y engageons avec d’autres -qui ne sont peut-être pas chrétiens-, est-ce que nous y apportons un supplément d’âme, une valeur ajoutée, de bonnes questions ou remises en questions, un plus de justice, de solidarité et d’amour ?
Et puis l’Eglise, comme il se doit, est appelée à donner l’exemple, même si elle se sait imparfaite. Nous ne pouvons pas exiger de la société ce que nous ne pratiquons pas nous-mêmes entre nous, dans nos communautés chrétiennes. Il y a un style évangélique de rapports humains dans nos rencontres et célébrations qui donne envie -ou non- de partager notre foi au Christ, le modèle du « être humain et du vivre ensemble ».
Le pape François nous le rappelle souvent : « Plus que la peur de se tromper, j’espère que nous anime la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que dehors il y a une multitude affamée et Jésus qui nous répète : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! »

« Vous êtes la lumière du monde », ajoute Jésus. Pas pour être cachés, plus ou moins honteusement, sous le boisseau, mais pour briller humblement en pleine pâte humaine. Briller, pas soi-même comme une star de la religion. On n’est pas dans le star-systeme. Même pas l’Eglise elle-même pour elle-même, mais pour mettre en évidence la personne, je dirais même le visage du Christ sur lequel resplendit la gloire de Dieu. Oui, une Eglise servante du Seigneur, comme Marie, qui nous redit en langage compréhensible : « Faites tout ce qu’il vous dira ». Et ce qu’il nous dit, nous le savons bien, c’est encore très simple : « Croyez au Christ sauveur et aimez-vous les uns les autres comme il vous a aimés. » Alors, nous promet Jésus, « voyant ce que vous faites de bien, les hommes –les autres- rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »

Ce retour aux sources vives de la foi, cet encouragement à témoigner pour l’évangile de Jésus au cœur du monde tel qu’il est, c’est justement la feuille de route que le pape Jean XXIII avait donné au concile Vatican II il y a 50 ans. Certes, bien des choses ont changé, dans la société et dans l’Eglise aussi. Mais la fécondité de ce concile demeure d’actualité. Nous essayerons de le regarder de plus près après cette messe. Car il y a encore beaucoup à vivre dans l’esprit de cette « nouvelle Pentecôte », comme l’appelait le bon pape Jean.
Et le pape François nous y invite lui aussi quand il écrit : »L’Eglise n’est pas une douane, mais la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile ». Et il ajoute : « Je ne veux pas une Eglise préoccupée d’être le centre  et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures… Je préfère une Eglise accidentée, blessée et sale pour être sortie sur les chemins, plutôt qu’une Eglise malade de son enfermement et qui s’accroche confortablement à ses propres sécurités. »

Nous le savons mieux, justement depuis le concile Vatican II : l’Eglise c’est nous, nous tous. A nous maintenant de jouer pleinement la partition de l’Evangile, sous le souffle intérieur de l’Esprit, et tous ensemble, comme le peuple de Dieu pèlerin, en marche vers le Royaume de Dieu.


                                   Claude Ducarroz

samedi 1 février 2014

Fête de la présentation du Seigneur

Homélie
Présentation du Seigneur

Où sommes-nous avec l’évangile de ce jour ? Le texte et le récit débordent d’allusions à l’Ancien Testament. Comme tout se passe dans le temple de Jérusalem, il n’est pas étonnant que l’on se sente en plein milieu juif, avec les rites prévus par la Loi, jusque dans certains détails, comme la mention touchante des deux petites colombes, l’offrande des pauvres.

Au-delà de l’épisode devenu pour nous un peu exotique, que faut-il retenir de cet évènement ?
D’abord que Jésus, par sa famille humaine, était  un juif, un bon juif. Si le christianisme s’est peu à peu détaché du judaïsme, il nous faut reconnaître tout ce que nous lui devons. C’est pourquoi nous gardons, parmi nos textes fondateurs et dans notre liturgie, les paroles de l’Ancien Testament –que certains préfèrent nommer actuellement « la première alliance »-, car nous ne pouvons pas renier nos racines spirituelles.

Jésus lui-même, dans le dialogue avec la Samaritaine, lui rappelle que « le salut vient des Juifs », mais en ajoutant que « l’heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ». Autrement dit n’importe où, et non plus seulement à Jérusalem. Ce qui ne justifie en rien un antisémitisme ou un antijudaïsme qui servit, hélas ! de couverture à d’horribles massacres et discriminations dans la tragique histoire de notre Europe.

Retrouvons Marie et Joseph, les parents de Jésus, dans l’enceinte du temple de Jérusalem. Il nous faut recueillir le témoignage de deux prophètes qui nous permettent à la fois de garder le lien avec la source juive et de faire le pas vers le salut universel, le tout sous l’action de l’Esprit Saint, comme c’est clairement indiqué dans ce même évangile.

* Syméon reconnaît en Jésus de Nazareth le Messie du Seigneur. Mais il ajoute que cet enfant est appelé à offrir le salut à la face de tous les peuples, « lumière pour éclairer les nations païennes et gloire d’Israël ton peuple. » Le lien est donc fait.

* Et puis il y a cette femme mystérieuse, Anne, fille de Phanuel, une veuve âgée de 84 ans, qui prophétise, elle aussi. Ce qui prouve que les femmes, hier dans le temple de Jérusalem comme aujourd’hui dans l’Eglise, peuvent prophétiser, autrement dit : « proclamer les louanges de Dieu et parler de l’enfant à tous ceux qui attendaient » le salut. Entre parenthèses, que ferions-nous, dans notre Eglise, sans l’engagement des femmes, jadis souvent religieuses, aujourd’hui plutôt laïques, qui donnent tant d’elles-mêmes pour faire vivre nos communautés et témoigner de l’évangile au cœur du monde ?

Mais revenons au texte même de cet évangile. Trois personnes sont au centre de tout : les parents de Jésus, et Jésus lui-même évidemment. Pour tous les trois, les prophéties ne sont pas d’emblée les plus agréables. Tout pointe déjà vers la passion du Christ, ce fils qui provoquera la chute et le relèvement d’un grand nombre en devenant un signe de division. Et puis Marie sera associée de près à son destin puisque son cœur sera transpercé par une épée. On sait maintenant que Marie était là au pied de la croix de Jésus quand son cœur à lui fut transpercé par la lance du soldat, lorsqu’il en sortit du sang et de l’eau.

Mais il faut aussi retenir ce que disait Syméon, une prophétie aux accents plus orientés vers Pâques puisque Jésus est appelé lumière des nations et gloire d’Israël. Dès le départ de sa route humaine, Jésus est déjà présenté dans l’entier du mystère pascal parce qu’il ne faut jamais séparer la croix et la résurrection.

Et en attendant, me direz-vous ? Le Verbe fait chair, la Parole incarnée se tait, longuement. L’enfant, en effet, « grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui. » Rien que cela pour résumer la trentaine d’années passées à Nazareth, dans ce bled perdu de Galilée, sous le couvert de l’anonymat, comme on dirait aujourd’hui. Rien ou presque pour le superficiel, le paraître, la gloriole, mais une lente croissance intérieure, dans une progressive conscience de son être profond, à savoir qu’il est le fils du Père, même si on le prenait pour le fils de Joseph, le charpentier. Et ça ne le dérangeait pas !

Savoir qui l’on est vraiment, prendre conscience de sa vocation, découvrir sa place dans la société et dans l’Eglise : c’est le lent travail de l’Esprit en nous, loin des effets spectaculaires, dans l’ambiance de la prière, de l’écoute de Dieu à l’intérieur de nous-mêmes, du silence qui est le terreau idéal pour les authentiques croissances personnelles. Même si nous sommes engagés dans toutes sortes d’activités sociales ou apostoliques, il nous faut retrouver de temps en temps l’atmosphère de Nazareth, en compagnie de Jésus, Marie et Joseph, en toute simplicité de vie.

Car pour nous comme pour eux, quelles que soient les circonstances de nos existences souvent bousculées, c’est ce mystère qui doit dominer notre vie d’être humain et de chrétien : « Les parents de Jésus le portèrent au temple de Jérusalem pour le consacrer au Seigneur. »
Or consacrés, nous le sommes, comme créatures humaines à l’image de Dieu et comme baptisés dans le nom du Dieu Père, Fils et Saint Esprit. Et la grâce de Dieu est aussi sur nous.
Nous y pensons spécialement aujourd’hui, jour qui commémore la vie religieuse, mais aussi dimanche de l’apostolat des laïcs.
Si l’on peut le dire fraternellement aux uns et aux autres : bonne fête et grand merci !
Amen                         


Claude Ducarroz