Homélie
6ème
dimanche du temps ordinaire
S’il est une caractéristique de notre temps, du
moins chez nous, c’est bien celle-ci : l’allergie aux commandements, aux
ordres, aux règles et obligations. « Il est interdit d’interdire »,
proclamait un slogan de mai 68, qui continue aujourd’hui sa trajectoire
historique avec une belle fécondité.
Que n’a-t-on pas reproché à notre Eglise
d’avoir fonctionné –et peut-être aujourd’hui encore- à coup d’interdits, de
morale répressive, de panneaux plantés à tous les carrefours de la vie :
peu de permis, beaucoup de défendus.
Or les lectures de ce jour semblent en rajouter
une couche. « Si tu le veux, tu peux observer les commandements »,
dit Ben Sirac le Sage. Jésus lui-même passe en revue les commandements de la
loi juive, et les pousse dans les derniers retranchements de leur radicalité,
car il est venu non pas abolir la Loi et les Prophètes, mais les accomplir,
autrement dit les porter à leur plein épanouissement … pour notre bien
évidemment !
Il faut bien le constater : nos
contemporains ne sont pas à l’aise avec une religion moralisante à outrance.
Les jeunes surtout, devant les énormes possibilités que leur offrent les
sciences et les techniques modernes, veulent pouvoir tout essayer, et même tout
tout de suite. Ils estiment qu’il vaut mieux se casser la gueule en ayant goûté
à tout, plutôt que d’être des frustrés ou des déçus par manque d’audace pour
tout expérimenter. Le meilleur et le pire.
Alors, finalement, que nous disent la Bible, et
singulièrement Jésus, dans les lectures de ce jour ? Est-ce libérateur ou
liberticide ? Est-ce épanouissant ou est-ce étouffant ?
« La vie et la mort sont proposées aux
hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix. » Voilà qui est
plus clair. Nous ne sommes pas des robots, mais des êtres humains créés à
l’image et à la ressemblance de Dieu, autrement dit avec le merveilleux mais
aussi redoutable cadeau de la liberté…que Dieu s’engage à respecter.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas d’abord la
soumission à des commandements qui seraient arbitraires. C’est notre vie ou
notre mort, et souvent celles des autres en plus. Que de fois n’avons-nous pas
fait cette expérience : nous pensions que ce que nous avions décidé et ce
que nous faisions étaient bons -pour la
vie, pour le bonheur- et ce fut le contraire. Comme le dit encore Sirac le
Sage : « Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu. Etends la main
vers ce que tu préfères. Il dépend de ton choix de rester fidèle. »
Il ne faut pas accuser Dieu de tous nos
malheurs, quand c’est le plus souvent le mauvais usage de notre liberté qui les
provoque.
Les commandements et autres mises en garde ne
sont-ils pas là d’abord pour nous faire réfléchir, signaler les écueils, éviter
les impasses, voire des catastrophes ? Sans nous ôter notre liberté
de choix, mais alors il faut aussi assumer toutes nos responsabilités.
Heureusement que nous ne sommes pas seuls
devant nos choix. C’est le message de l’apôtre Paul. Nous croyons qu’un beau
cadeau intérieur nous a été donné, c’est l’Esprit-Saint par lequel Dieu révèle
sa sagesse. Car il voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de
Dieu. Et cet Esprit est en nous. Est-ce que nous y croyons ? Est-ce que
nous le prions, notamment avant de prendre des décisions qui nous engagent
sérieusement, voire gravement ?
Cet Esprit, Jésus le décrit comme
« avocat, conseiller, défenseur. » Tout ce qu’il faut en somme pour
faire les bons choix dans la complexité des possibles. Parmi lesquels est
souvent tapie en embuscade la sagesse qui domine ce monde, comme dit saint
Paul, celle qui détruit, celle qui a crucifié le Seigneur de gloire.
Alors, me direz-vous, si nous avons l’Esprit
Saint en nous, à quoi servent les lois, les interdits et obligations, les
autorités ? C’est que notre capacité de discernement demeure faible et que
nous ne sommes pas seuls au monde.
Oui, nous avons encore besoin d’interdits pour
éviter les plus grosses bêtises, avec de graves conséquences pour nous et pour
les autres. Oui, nous bénéficions heureusement des conseils –et parfois un peu
plus- de ceux qui peuvent nous aider à voir plus clair, à décider plus juste, à
nous investir plus à fond dans le rayonnement du bien.
* Tel est le rôle de la morale, d’abord
civique, celle qui nous permet de vivre ensemble sans trop de violence ou
d’injustice, et si possible paisiblement. Qui voudrait qu’on supprime les
règles de la circulation sous prétexte de promouvoir la libre
circulation ?
* Telle est la mission difficile, mais
nécessaire, des autorités de l’Eglise qui, en intégrant le courage de la vérité
et la compassion de la miséricorde, nous invitent à demeurer fidèles au projet
de Jésus sur les personnes et les communautés humaines. Finalement, si nous
mettions parfaitement en pratique les deux commandements de l’amour qui n’en font
qu’un seul selon Jésus, à savoir aimer Dieu et aimer son prochain, nous
n’aurions plus besoin d’autres commandements. Ce que saint Augustin traduisait
avec audace : « Aime, et fais ce que tu veux ».
Tout ce processus, de la prière à l’Esprit
jusqu’à la prise en compte de la morale rappelée par nos instances d’Eglise, ne
dévalue pas le travail de la conscience personnelle qui finalement décide et
assume ses décisions, cette conscience que le concile Vatican II définit
ainsi : « Cette voix qui presse l’homme d’aimer et d’accomplir ce qui
est bien et d’éviter le mal… Cette loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme… Le
centre le plus secret de l’homme, le
sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. » GS
no 16.
Pas facile d’être un être humain vraiment
humain. C’est une quête intérieure de tous les instants. Mais nous sommes
guidés du dedans par l’Esprit, éclairés par la Parole de Dieu, accompagnés par
l’Eglise et finalement remis à la liberté de notre conscience.
Bon voyage sur la terre des vivants !
Claude
Ducarroz
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