Homélie
5ème
dimanche ordinaire 2014
Qui a dit que c’était compliqué d’être
chrétien ? Difficile, oui, et même sûrement. Mais compliqué, pas du tout.
C’est le message de la liturgie de ce jour.
D’abord saint Paul nous libère d’un préjugé
très paralysant. Le christianisme serait destiné à une élite supérieure, comme
s’il fallait être des intellos, si possible forts en gueule, pour y comprendre
quelque chose et pouvoir en témoigner. Rien de ça. Car le mystère de Dieu ne
s’annonce pas avec le « prestige du langage humain et de la
sagesse », nous rappelle ce grand théologien qu’était pourtant l’apôtre
Paul. Qui ajoute qu’il est arrivé en Grèce, patrie des prestigieuses
philosophies, « dans la faiblesse, craintif et tout tremblant. » Car c’est l’Esprit avec sa puissance qui mène le
bal de l’évangélisation, et tout le monde est invité, oui tous peuvent
participer, même les petites gens du port de Corinthe auxquels l’apôtre
écrivait.
Le prophète Isaïe est de la même veine, et
encore plus concret. Tu veux être une lumière dans ce monde si souvent plongé
dans les ténèbres ? Très bien ! Regarde près de toi et ouvre ton cœur
pour aimer au ras de la vie. « Partage ton pain avec celui qui a faim, dit
le prophète, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu
verras sans vêtement. Oui, « fais disparaître de ton pays le joug, la
parole malveillante, le geste de menace … Alors ta lumière jaillira comme
l’aurore », à condition que tu donnes de bon cœur, évidemment !
Pas compliqué, concret, à la portée de tout le
monde : tels se présentent le style de vie et l’engagement du chrétien en
ce monde. C’est aussi ce que Jésus lui-même enseigne à ses disciples rassemblés
autour de lui sur la montagne.
D’abord la comparaison du sel. Qu’est-ce qu’on
attend de lui ? Deux choses en somme. D’abord qu’il ait du goût pour en
donner. Et ensuite qu’il accepte de quitter la salière pour se laisser
dissoudre dans les aliments qu’il doit relever et conserver.
* Fournir un sel gouteux, pas affadi ou
dénaturé : c’est le rôle de la communion intérieure avec le Christ. Lui
seul peut nous conférer cette saveur d’évangile qui fait les vrais
chrétiens : sincères, profonds, engagés. Et ça passe par la fréquentation
de la Parole de Dieu, par l’eucharistie et les autres sacrements, par la prière
personnelle ou communautaire. Là, le sel puise sa qualité essentielle, ou la
retrouve, à sa source mystérieuse. Il nous faut rester branchés !
* Mais le sel n’est pas destiné à demeurer dans
la salière, comme il peut advenir par confort, paresse ou habitude égoïste. La
soupe du monde, qui attend le sel de l’évangile répandu par les chrétiens, ce
sont nos milieux de vie, là, dans le quartier, au travail, dans la famille,
dans les loisirs, dans les engagements politiques, culturels, économiques, écologiques
et sociaux. Quand nous y sommes et que nous nous y engageons avec d’autres -qui
ne sont peut-être pas chrétiens-, est-ce que nous y apportons un supplément
d’âme, une valeur ajoutée, de bonnes questions ou remises en questions, un plus
de justice, de solidarité et d’amour ?
Et puis l’Eglise, comme il se doit, est appelée
à donner l’exemple, même si elle se sait imparfaite. Nous ne pouvons pas exiger
de la société ce que nous ne pratiquons pas nous-mêmes entre nous, dans nos
communautés chrétiennes. Il y a un style évangélique de rapports humains dans
nos rencontres et célébrations qui donne envie -ou non- de partager notre foi
au Christ, le modèle du « être humain et du vivre ensemble ».
Le pape François nous le rappelle
souvent : « Plus que la peur de se tromper, j’espère que nous anime
la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse
protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans
les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que dehors il y a une
multitude affamée et Jésus qui nous répète : « Donnez-leur
vous-mêmes à manger ! »
« Vous êtes la lumière du monde »,
ajoute Jésus. Pas pour être cachés, plus ou moins honteusement, sous le
boisseau, mais pour briller humblement en pleine pâte humaine. Briller, pas
soi-même comme une star de la religion. On n’est pas dans le star-systeme. Même
pas l’Eglise elle-même pour elle-même, mais pour mettre en évidence la
personne, je dirais même le visage du Christ sur lequel resplendit la gloire de
Dieu. Oui, une Eglise servante du Seigneur, comme Marie, qui nous redit en
langage compréhensible : « Faites tout ce qu’il vous
dira ». Et ce qu’il nous dit, nous le savons bien, c’est encore très
simple : « Croyez au Christ sauveur et aimez-vous les uns les autres
comme il vous a aimés. » Alors, nous promet Jésus, « voyant ce que
vous faites de bien, les hommes –les autres- rendront gloire à votre Père qui
est aux cieux. »
Ce retour aux sources vives de la foi, cet
encouragement à témoigner pour l’évangile de Jésus au cœur du monde tel qu’il
est, c’est justement la feuille de route que le pape Jean XXIII avait donné au
concile Vatican II il y a 50 ans. Certes, bien des choses ont changé, dans la
société et dans l’Eglise aussi. Mais la fécondité de ce concile demeure
d’actualité. Nous essayerons de le regarder de plus près après cette messe. Car
il y a encore beaucoup à vivre dans l’esprit de cette « nouvelle
Pentecôte », comme l’appelait le bon pape Jean.
Et le pape François nous y invite lui aussi
quand il écrit : »L’Eglise n’est pas une douane, mais la maison
paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile ». Et
il ajoute : « Je ne veux pas une Eglise préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement
de fixations et de procédures… Je préfère une Eglise accidentée, blessée et
sale pour être sortie sur les chemins, plutôt qu’une Eglise malade de son
enfermement et qui s’accroche confortablement à ses propres sécurités. »
Nous le savons mieux, justement depuis le concile
Vatican II : l’Eglise c’est nous, nous tous. A nous maintenant de jouer
pleinement la partition de l’Evangile, sous le souffle intérieur de l’Esprit,
et tous ensemble, comme le peuple de Dieu pèlerin, en marche vers le Royaume de
Dieu.
Claude
Ducarroz
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire