mercredi 20 février 2019

Ah!, ces belles vocations...

Ah ! ces belles vocations… « J’ai l’impression qu’il/elle a la vocation ». Quand j’entendais de tels commentaires, au temps de ma jeunesse, ça signifiait que la personne montrait des signes qui la prédestinaient à la vie presbytérale ou religieuse. Heureusement, on a pris conscience –surtout depuis le concile Vatican II- que tout baptisé est un « appelé » à vivre de la vie du Christ comme témoin de l’Evangile, quelle que soit ensuite sa vocation plus précise, dans l’animation de la communauté chrétienne ou dans les innombrables insertions possibles au cœur de la société. Certaines vocations sont d’ailleurs particulièrement mises en évidence puisqu’elles sont consacrées par un sacrement, comme par exemple le mariage et plusieurs ministères. Il suffit de relire le Nouveau Testament : que de richesses dans la variété des charismes, services et fonctions suscités par la liberté de l’Esprit qui souffle où il veut. Mais l’honnêteté oblige à ajouter quelque chose : notre Eglise, à tort ou à raison, a aussi institué des interdictions de vocations. Le mariage : une si belle vocation, que l’apôtre Paul –pourtant célibataire- présentait comme « un grand mystère » signifiant la relation d’amour entre le Christ et l’Eglise. Dans notre Eglise de rite latin, les prêtres sont interdits de mariage, puisque tous doivent être célibataires. Les ministères ordonnés : que de belles vocations quand elles sont vécues comme des engagements à plein cœur et à plein temps « à cause de Jésus et de l’Evangile ». Mais les femmes sont interdites de ministères consacrés. On peut trouver de bonnes raisons à ces interdiction qui, de fait, empêchent certains chrétiens d’accéder à tel ou tel bien du Royaume, ces biens étant évidemment des grâces absolument gratuites, pour les hommes comme pour les femmes d’ailleurs. De bonnes raisons ? Récemment les autorités supérieures de notre Eglise ont rappelé ces décisions en même temps que les raisons qui les justifient à leurs yeux. Dont acte. Mais qu’en pense l’Eglise ? Celle dont on sait mieux maintenant qu’elle déborde largement les sphères des hiérarchies constituées, celle à laquelle faisait allusion l’auteur de l’Apocalypse en écrivant : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Eglises ». Ap 3,22. Celle aussi que le pape François a mobilisée dans la triste affaire de la pédophilie parmi les clercs lorsqu’il a écrit au peuple de Dieu : « Il est nécessaire que chaque baptisé se sente engagé dans la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons tant besoin… Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu. » Mais précisément, ce peuple de Dieu, dans la symphonie multicolore de toutes ses vocations issues du baptême, est-ce qu’on l’écoute, est-ce qu’on l’entend ? Est-ce qu’on ose lui poser certaines questions en prenant ensuite au sérieux ses réponses ? Ce qui va bien plus loin qu’une assemblée mondiale d’évêques, si opportune soit-elle. Je pense en particulier à ce que vivent, pensent et font les femmes, trop longtemps servantes muettes dans notre Eglise, alors qu’elles montrent tant de dévouement au Christ et à son Evangile, dans et pour l’Eglise. Tiens ! Et si on se posait d’abord la question : le Seigneur de l’Eglise, que pense-t-il de tout cela ? Evangile en main, encore un beau mystère qui reste à explorer et à implorer. Claude Ducarroz A paru sur le site cath.ch

dimanche 3 février 2019

Homélie 27 janvier

Homélie Unité 2019 Il y avait longtemps qu’on ne s’était plus revu. Mais jadis on avait partagé la joie d’animer des camps bibliques pour et avec des jeunes. André était un pasteur protestant. A la faveur de notre revoir, il me dit soudain, en me fixant dans les yeux, et les siens pleins de larmes : « Vous les catholiques, vous nous manquez. Mais je n’ai pas l’impression que nous, les protestants, nous vous manquions, à vous les catholiques. Vous vous estimez tellement riches de tout que vous pensez n’avoir pas besoin de nous. » J’ai compris ce jour-là une chose importante : l’œcuménisme ça commence quand l’autre nous manque, tel qu’il est, différent certes, pas seulement complémentaire, mais indispensable à la vérité et à la beauté de la famille chrétienne, l’Eglise de Jésus-Christ. Sincèrement, est-ce que les autres chrétiens vous manquent ? Ou est-ce que, comme catholiques, vous ne manquez de rien, vous ne manquez de personne, pour faire Eglise aujourd’hui ? « Le corps ne fait qu’un, dit l’apôtre Paul, il a pourtant plusieurs membres, et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit que nous tous, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Or vous êtes le corps du Christ et chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps. » Alors où est le problème, me direz-vous ? C’est que, malgré le même baptême, malgré l’unique Esprit, l’histoire et nos histoires - et surtout nos péchés personnels et communautaires-, nous ont éloignés les uns des autres jusqu’à nous séparer, parfois sur des points importants de notre fidélité à l’Evangile du Christ. Il y eut même, y compris chez nous en Suisse, des guerres de religion qui ont transformé en ennemis des chrétiens qui n’auraient jamais dû cesser d’être des frères et sœurs, malgré de légitimes diversités. Héritiers involontaires de cette histoire et de ces histoires, il nous faut maintenant remonter la pente de nos divisions. Heureusement, nous pouvons rendre grâces pour les importants et nombreux progrès déjà accomplis. Ils ont transformé nos relations, jadis faites au mieux d’indifférence, souvent de méfiance et parfois même d’hostilité, en connexions de respect, de collaboration et même de communion sur des points essentiels. Mais il demeure encore des sujets qui fâchent, des nœuds à défaire, des consensus à créer pour que nous puissions correspondre à cette prière que le Christ adressait à son Père la veille de sa mort, en pensant aussi à nous aujourd’hui : « Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » Autrement dit la réussite du projet œcuménique, ce sont des chrétiens unis dans l’essentiel et rayonnant de justes diversités. Ce projet d’une Eglise unie comme un seul corps dans la belle variété de ses membres, conditionne plus que jamais l’annonce et le témoignage pour l’Evangile dans notre monde. Il ne faut pas le nier : il y a encore quelques obstacles sur cette route. Par exemple comment comprendre et célébrer l’eucharistie comme signe d’une vraie communion, comment apprécier les services de nos autorités, ces apôtres, prophètes et enseignants dont parle l’apôtre Paul dans sa lettre aux Corinthiens ; comment réaliser la communion avec nos frères et sœurs aînés, par exemple nos défunts, les saints et surtout Marie, la mère de Jésus, celle qu’il nous a lui-même donnée pour mère. Heureusement, nous avons déjà en commun la Parole de Dieu, la Bible, avec ses trésors de vérités à connaître et à vivre. Vous l’avez entendu, Jésus a pu dire chez lui à Nazareth : « Aujourd’hui s’accomplit cette Ecriture que vous venez d’entendre. » Connaître et mettre en pratique l’Evangile : tout nous invite à le faire tous ensemble dès maintenant. Et rien ne nous empêche d’appliquer ensemble le programme d’engagements présenté par Jésus lui-même à la synagogue de son village : « Porter la bonne nouvelle aux pauvres, ouvrir les yeux des aveugles, remettre en liberté les opprimés, etc… » Avec la grâce de Dieu évidemment. Le pape saint Jean-Paul II a défini l’œcuménisme comme un « échange de cadeaux ». Autrement dit chacun a quelque chose à offrir et quelque chose à recevoir…offrir à l’autre…recevoir de l’autre. A une condition : que celui qui estime être assez doté pour avoir à offrir le fasse avec respect et humilité, sans arrogance ni orgueil. Et que celui qui estime avoir à recevoir, qu’il l’accepte avec la même humilité, mais sans se sentir humilié, plutôt avec reconnaissance. A coup de cadeaux échangés et partagés, sans jamais brandir la comptabilité des meilleurs et des moins bons, nous parviendrons un jour, sous la guidée de l’Esprit, à nous retrouver tellement proches, tellement frères et sœurs, que le partage eucharistique à la Table enfin commune deviendra une bienheureuse évidence, la causse d’une nouvelle joie. Prions à cette intention. Agissons à cette intention. Car vous êtes bien tous, mais chacun pour sa part, le corps du Christ. Claude Ducarroz

Homélie

Homélie 3 février 2019 Nazareth ! Jésus de Nazareth ! C’est ainsi qu’on l’appelait dans sa région d’origine, la Galilée. On le nommait aussi fils de Joseph, ou fils de Marie, ou tout simplement le fils du charpentier. Et c’est précisément dans la synagogue de son village que nous retrouvons Jésus aujourd’hui, oui à Nazareth dont on disait alors : « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? » Eh ! bien Jésus, le fils de l’homme et le fils de Dieu, est sorti de là. Mais il faut aussitôt ajouter : à condition d’en sortir, précisément. En effet, pour réaliser sa mission, Jésus a dû opérer une double sortie, des prises de distance nécessaire à l’accomplissement de la volonté de Dieu son Père sur lui. Jusqu’à 30 ans environ, comme l’attestent les Ecritures, Jésus fut un enfant puis un jeune homme qui « grandissait en taille, en sagesse et en grâces, devant Dieu et devant les hommes ». Homme parmi les hommes. Luc 2,40 et 52. Plus encore, il était soumis à ses parents, et sa mère Marie « conservait et méditait tous ces événements dans son cœur ». Encore que, à l’âge de 12 ans, en profitant du pèlerinage annuel à Jérusalem, quand il faussa compagnie à ses parents tout angoissés qui lui reprochèrent cette petite fugue, il eut cette parole d’avertissement : « Ne savez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Plus tard, à deux reprises, il eut à nouveau l’occasion de remettre chacun à sa vraie place, selon son projet de vie à lui. Quand sa mère et sa parenté se tenaient dehors alors que la foule les empêchait de le contacter, Jésus dit en promenant son regard sur ses disciples: « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique. » Il y avait aussi tout un clan à Nazareth. En admirant le jeune Jésus tellement savant dans la synagogue, « ils s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche ». Mais quand Jésus leur signifia que sa mission doit dépasser largement les confins de son village et même les limites de son peuple, ils deviennent furieux. Que le Nazaréen Jésus se mette à vanter la foi de certains païens, c’en est trop. Ils le chassent violemment hors de son village. On signale même, une autre fois, que des gens de sa parenté sont venus pour s’emparer de lui en estimant « qu’il avait perdu la tête ». On comprend alors la conclusion de Jésus lui-même, devenue un proverbe toujours d’actualité : « Aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays. » Qu’est-ce que tout cela peut avoir encore à dire à nous, qui sommes l’Eglise d’aujourd’hui, autrement dit la famille de Jésus en notre temps ? Une statistique est sortie cette semaine, qui doit nous faire réfléchir, même si j’ai conscience que les chiffres ne disent pas tout, et même pas l’essentiel. En 1980, en Suisse, le 90% de la population se rattachait au christianisme, à travers les deux confessions principales, la catholique et la protestante. Aujourd’hui, en 2017, nous ne sommes plus que 60%. Attention ! pas tellement parce que d’autres religions ont progressé parmi nous – les musulmans forment moins de 5% de notre population-, mais parce que les personnes qui se déclarent sans religion représentent maintenant 26 % de notre population, à savoir légèrement plus que le nombre des protestants. Quant aux catholiques, nous sommes encore 36%, mais aussi en baisse. Nous pourrions aussi nous replier sur nous-mêmes, par un réflexe de ghetto assiégé, en ignorant ceux qui ne pensent pas comme nous ou en maudissant ceux qui nous ont quittés. Ce serait une manière un peu lâche de refuser de nous remettre en question nous-mêmes, sur les raisons de certains éloignements ou de certains abandons. Je rencontre de plus en plus des gens qui, fondamentalement, disent oui à Jésus, mais non à l’Eglise, du moins telle qu’elle se présente, même aujourd’hui, avec le pape François. Je ne dis pas qu’ils ont toujours raison, mais je crois que nous devons nous interroger, y compris les prêtres évidemment. Et revenir à l’essentiel, à savoir la figure toujours actuelle et toujours vivante de Jésus de Nazareth, notre frère et notre Dieu. Et son Evangile évidemment. C’est plus que jamais urgent. Alors, c’est lui qui nous envoie vers les autres, pas pour les juger et encore moins pour les condamner, mais comme le répète sans cesse saint Paul à la suite du Christ, pour les aimer, gratuitement, à commencer par les plus pauvres et les plus souffrants, ces frères et sœurs humains des périphéries de toutes sortes dont parle si souvent notre pape François. Comme le prophète Elie fut envoyé vers la veuve de Sarepta au pays de Sidon, comme Elisée fit tout pour guérir Naaman le Syrien. Nous n’allons pas nécessairement améliorer nos statistiques. Jésus ne nous demande pas de faire du chiffre, mais de faire des signes, des signes d’évangile, de témoigner pour sa vérité en l’enrobant d’amour, de justice et de paix. Et Jésus, dit l’évangile, « passant au milieu d’eux, allait son chemin. » C’est aussi lui qui dit un jour à ses disciples inquiets pour leur avenir, et donc aussi à nous : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. » Claude Ducarroz