dimanche 28 avril 2019

50 ans ordination B. Jordan

Homélie
50 ans d’ordination de Bernard Jordan

Trois. Il faut trois amours pour faire un prêtre. Plus d’autres choses aussi, pour faire un bon prêtre. Comme vous le devinez, toute allusion à un prêtre présent ici ne serait qu’involontaire et fortuite. Car je me réfère au prêtre Thomas dont parle l’évangile de ce dimanche.

*  Pour faire un prêtre, il faut d’abord un amour humain, celui d’un père et d’une mère, unis par la tendresse et le respect. J’en vois une allusion discrète mais claire : ce Thomas est toujours surnommé Didyme. C’était un jumeau, circonstance on ne peut plus familiale, entre la surprise et le bonheur.
Par d’autres contingences et incidences, nous sommes tous d’abord des êtres humains, pétris de surprises et de bonheurs partagés, pour lesquels il nous faut rendre grâces, dans le miroir de nos parents et de nos familles d’origine. Pour le prêtre aussi, d’abord un humain parmi d’autres. Premier amour : la vie !

* Il faut ensuite devenir un chrétien. Certains ont reçu la grâce –de plus en plus rare de nos jours- de l’être presque sans avoir à le devenir, tant le cadeau de la foi au Christ était déjà déposé dans leur berceau.

Thomas n’était pas de ceux-là, semble-t-il. Appelé par Jésus de Nazareth parmi la fratrie des autres apôtres, il n’a jamais cessé de se poser bien des questions. Était-il moins croyant ou plus intelligent que les autres ? Il réfléchissait beaucoup. C’est lui qui dit un jour au Seigneur en public : « Nous ne savons même pas où tu vas, comment pourrions-nous savoir le chemin ? »  (Jn 14,5).
 Mais il est allé plus loin, jusqu’au risque de l’incroyance. Ses collègues ont beau lui dire : « Nous avons vu le Seigneur ». Lui en conclut : « Non, je ne croirai pas. ».
Mais Thomas est aussi celui qui ira le plus loin –ou plutôt le plus profond- une fois passée l’épreuve du doute : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Un dur à cuire qui suscite ce commentaire de Jésus, sous la forme d’une béatitude : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! »
Il me semble que ça nous concerne tous ici, prêtres ou pas, et même les religieuses. Plus que jamais de nos jours, au sein d’une Eglise qui saigne encore au pied de la croix de Jésus, la foi est une victoire de haute lutte, au goût fragile de Pâque.
Seul Jésus peut nous donner ce cadeau-là en nous le disant à plusieurs reprises : « La paix soit avec vous ! »
Deuxième amour : la communion au Christ ! !

* Et puis le troisième. Pour ces apôtres –et finalement aussi pour Thomas, avec quelque retard-, c’est l’envoi, autrement dit la vocation, ici au ministère du pardon des péchés, mais peut-être avec une allusion eucharistique : toucher les plaies du corps de Jésus crucifié et ressuscité.
Une vocation nécessairement très personnelle, mais aussi profondément communautaire, dans la rude fraternité des Douze.

Mais attention ! Ces mêmes qui, pour le moment, se trouvent  enfermés dans une maison aux portes verrouillées  -ils avaient peur- seront bientôt propulsés sur la place publique par l’Esprit d’un appel devenu un puissant envoi.
Sans crainte, vers les gens, pour les gens, à commencer par les plus souffrants et les plus nécessiteux.

Décidément, on n’est pas prêtre pour goger là où ça sent bientôt le moisis, mais pour courir la belle aventure de l’apostolat en pleine pâte humaine, pas comme des pachas de l’évangile, mais comme d’humbles serviteurs de leurs frères et sœurs, humains d’abord, et tant mieux s’ils deviennent aussi chrétiens avec nous. Le troisième amour : le ministère !

Trois amours, en donnant la main à Thomas Didyme, à Thomas le croyant laborieux mais réussi, à Thomas l’apôtre dans son service d’évangélisation par la parole, les sacrements et bien d’autres ministères. Toujours pour les autres, toujours avec les autres, mais comme Jésus.

Et si c’était finalement un seul amour.
Dieu est Amour, et ça suffit. Mais un amour trinitaire évidemment, celui qu’on trouve ou retrouve dans la merveilleuse dignité de tous les baptisés, tous à égalité de grâce, de miséricorde et de témoignage « à cause de Jésus et de l’évangile ».

Dieu-Amour-Trinité : notre trésor commun, ouvert par le Christ au matin de Pâques, offert à toute l’humanité.

Et nous les prêtres –pas les seuls évidemment, et pas nécessairement les meilleurs-, nous voici serviteurs de ce cadeau-là.
Pour notre bonheur et aussi pour votre bonheur à vous, du moins nous l’espérons. Dans la source trinitaire et dans les fruits de la Pâque.


* L’amour humain, de chair, de cœur et d’âme : Dieu le Père créateur.
* L’amour chrétien, par les promesses universelles de l’évangile du Christ sauveur.
* L’amour par le ministère dans l’Esprit puisque Jésus souffla sur ses apôtres en leur disant : « Comme le Père m’a envoyé…je vous envoie. Recevez l’Esprit Saint. »

Trois amours qui n’en font qu’un, tout en conservant la richesse des trois.

Bernard, il y a 50 années que ça dure pour toi. En te félicitant et en te remerciant, nous t’en souhaitons encore de nombreuses.
Pour ta joie et la nôtre.
 Et surtout pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

Claude Ducarroz




samedi 20 avril 2019

Pâques 2019

Homélie Pâques II Voilà ! C’est fait, et bien fait. Du moins pour Jésus de Nazareth. Vous connaissez la nouvelle, la bonne nouvelle : « Le Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité, alleluia ! » Tant mieux pour lui, me direz-vous. Et pour nous, qu’en est-il ? C’est une bonne question, de lendemain d’hier, le lendemain de cette sainte nuit. Il y a assez de témoignages crédibles, y compris celui des femmes, malgré ce qu’en pensaient les apôtres hommes, et déjà quelque peu machistes. Oui, nous pouvons les croire, en fonction de rencontres étonnantes, qu’elles d’abord, puis ils n’ont pu inventer. Même s’il ne faut pas s’en étonner : alors comme aujourd’hui, il y eut aussi des « lents à croire », ainsi que les disciples d’Emmaüs, et même des incroyants assumés, comme le fut d’abord l’apôtre Thomas lui-même. Car il n’est pas si simple, quand on est un mortel et qu’on a déjà croisé la mort en soi et autour de soi, d’admettre qu’il puisse y avoir encore une vie après cette mort, même si nos désirs les plus profonds allument parfois en nous cette folle espérance. Heureusement, les faits sont là, dignes de foi, si incroyables qu’ils demeurent pour respecter notre liberté : « Le disciple entra dans le tombeau, il vit et il cru. » Marie Madeleine vint annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur vivant. Et Thomas lui-même –un dur à cuire- finit par s’exclamer en touchant les cicatrices du crucifié: « Mon Seigneur et mon Dieu. » Alors nous, maintenant ? Sommes-nous avant ou après la résurrection ? Pour répondre à cette question, il nous faut fréquenter un autre apôtre, qui n’était pas présent au moment des faits, ni à la croix, ni au matin de Pâques. Comme nous en somme. Paul de Tarse ose écrire aux Colossiens : « Vous êtes ressuscités avec le Christ. » Autrement dit : c’est fait pour Jésus, et c’est comme si c’était déjà fait pour vous, même si c’est plutôt en espérance. Mais cette espérance ne peut pas décevoir « parce que l’Esprit Saint a été répandu dans nos cœurs », dit-il. En fait, nous naviguons entre la résurrection de Jésus et la nôtre à venir, celle-ci étant solidement amarrée à la première par un lien d’amour incassable : « Là où je suis, vous serez aussi avec moi. » On peut estimer que cette situation est un peu inconfortable. Tout est réalisé en Jésus, jusque dans sa chair transfigurée, mais tout reste à réaliser en nous, même si nous sommes bel et bien des promis à la résurrection. N’oublions pas que le cadeau reçu du Christ, même s’il doit encore déployer ses effets, fait déjà de nous des enfants de la Pâques, comme dit Jésus lui-même, des fils et filles de la résurrection (Lc 20,36). Il y a en nous l’ADN de Pâques. Ca ne change pas encore tout puisque nous sommes encore en attente de la pleine rédemption de notre corps, mais ça peut et même ça doit déjà changer beaucoup de choses, dès maintenant, dès ici-bas. Comment vivre en futurs, mais certains ressuscités ? Avec les énergies de l’Esprit pascal, il nous faut semer de la Pâque partout, en chacun de nous, autour de nous, dans l’Eglise et dans la société. Avec honneur, avec bonheur. * En nous d’abord, par un regard positif sur nous-mêmes, y compris notre corps et la sexualité, puisque nous sommes appelés à ressusciter corps et âme, même s’il est inutile d’en imaginer les modalités concrètes. Tout est digne d’être sauvé par le Christ pascal. * Soigner nos relations dans le sens du respect de cette même dignité chez les autres, par des engagements en faveur de la justice, de la paix et de la compassion autour de nous. Il y a encore tant à faire pour être des ferments de pâque dans notre société. * Accueillir avec reconnaissance notre destinée éternelle, au-delà de la mort, en favorisant la vitalité spirituelle de nos existences, y compris par la méditation de la parole de Dieu, la prière et les sacrements, tous pascals. *N’oublions pas l’Eglise, notre Eglise, surtout par les temps qui courent, elle qui a tellement besoin de passer par une pâque pour renaître après tant de relents mortels autour de certains scandales. Aimons-la assez pour collaborer à sa réforme. Vaste programme, me direz-vous. C’est vrai. Mais aussi quelle belle vocation ! Nous sommes tous convoqués par Jésus le vivant à être des artisans de vie, d’amour, de réconciliation, de fraternité sans barrière et sans frontière. Des pascals. N’est-ce pas stimulant, et gage de bonheur partagé, que nous soyons des médiateurs de pâque appliquée, pas dans des éclats retentissants, mais dans la petite monnaie de l’existence que le Ressuscité peut transfigurer en trésor d’éternité. Ne repartons pas comme avant. Laissons-nous ressusciter avec le Christ. Laissons-nous pâquer. Nous sommes les enfants de l’alleluia. Claude Ducarroz

Vigile pascale

Homélie Pâques I « Je t’aime, donc je ne voudrais pas que tu meures. » Chacun de nous a fait cette expérience, et vous sans doute plus que moi : quand on aime quelqu’un ou quelqu’une de toute son âme, de tout son cœur, de tout son corps, derrière les mots et les gestes, il y a ce message implicite : « Je ne voudrais pas que tu meures. » Ah ! si l’on pouvait s’aimer parfaitement, et qu’amour rime enfin avec toujours, ce serait ça le vrai bonheur. Mais voilà ! Nous sommes mortels, et même les plus belles amours sont un jour interrompues par la mort et dévorées par le drame de l’absence. Le bonheur d’un « amour toujours », c’est seulement un rêve, certes un désir universel, mais aussi impossible, un échec programmé par cette mort qui l’a inscrit inexorablement sur le calendrier de notre destin humain. Et derrière la mort, cette mort, il faut évidemment ajouter tout ce qui sent la mort, tout ce qui y conduit, tout ce qui l’engendre et la propage, et qui encombre les médias de tant de mauvaises nouvelles. Alors, faut-il se résigner tristement à tout cela, renoncer au bonheur par amour, abdiquer devant la mort toujours victorieuse ? Qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou non, tôt ou tard, nous sommes tous au bord du tombeau de Jésus dans lequel, selon les lois ordinaires, la vie a été enfermée et l’espérance ensevelie. Car la lourde pierre de la mort a été roulée pour sceller définitivement l’existence de cet homme-là, un condamné descendu de sa croix pour être glissé ensuite dans son tombeau définitif. Et voilà qu’éclate l’invraisemblable, l’incroyable, l’inouï : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici. Il est ressuscité. » Si c’est vrai, alors ça change tout, plus rien n’est comme avant, tout est possible parce que tout est neuf, éternellement. D’abord pour lui, évidemment. Le crucifié, qui en réalité a donné sa vie par amour pour le monde, est bel et bien vivant au-delà de la mort, de sa mort. Mais attention ! Pas pour une réincarnation qui le ferait bientôt mourir à nouveau, et ainsi de suite, mais comme un humain qui a récupéré sa pleine humanité désormais complètement exposée et transfigurée dans la gloire de Dieu. Une fois pour toutes et donc pour toujours. Voilà la bonne nouvelle de ce matin-là, au goût de premier matin du monde, comme une re-création par amour et dans la lumière : enfin la vie plus forte que la mort, toutes les morts. Mais le plus dur est sans doute encore à faire et surtout à croire. Ce qui est arrivé à celui-là, Jésus de Nazareth, est aussi une ferme promesse pour nous. Ou alors ce même Jésus ressuscité –tant mieux pour lui !- serait un sacré égoïste, oui s’il n’y avait qu’un seul ressuscité heureux dans notre humanité qui continuerait – en vain- d’aspirer au bonheur éternel dans l’amour. Evidemment, nous ne le savons que trop : cette joie parfaite, toute pascale, nous ne pouvons pas nous la donner à nous-mêmes, ni à celles et ceux que nous aimons. Mais du moins nous pourrions l’accueillir avec reconnaissance si un autre, plus amoureux et plus puissant que nous, pouvait nous l’offrir gratuitement. Depuis ce matin-là, près de Jérusalem, il existe, ce Vivant rescapé de la mort, sorti flamboyant de son tombeau. Oui, celui qui avait promis : « Que votre cœur cesse de se troubler. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. .. Car je suis la résurrection et la vie. Là où je suis, vous serez aussi avec moi. » C’est pourquoi l’apôtre Paul peut ajouter : » Si nous sommes unis au Christ par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. » Finalement, ce que nous souhaitons tous, pour nous-mêmes et pour ceux que nous aimons, tout en constatant que nous sommes incapables de le conquérir, il suffit de le recevoir comme un cadeau généreusement offert par le premier ressuscité, comme dit l’Ecriture, « le premier-né d’entre les morts, le premier-né d’une multitude de frères et sœurs »… que nous sommes. Et ça change notre mort, et ça change aussi notre vie. Nous ne sommes plus des condamnés à mort en sursis variable. Nous sommes des promis à la résurrection avec Jésus. Oui, depuis cet évènement unique, nous sommes tous des pascals. Claude Ducarroz

jeudi 18 avril 2019

Vendredi Saint 2019

Homélie Vendredi Saint 2019 « Ils ne surent aimer leur dieu qu’en clouant l’homme à la Croix. Jusque dans leurs discours, je flaire encore le vilain relent des sépulcres. » Friedrich Nietzsche Vendredi Saint : nous sommes là devant l’exhibition de la croix, dans la vénération du crucifié, au bord de son sépulcre. Comment allons-nous répondre à cette terrible accusation du philosophe Nietzsche, relayée par d’innombrables défis adressés actuellement aux chrétiens en prière devant un crucifix ? Apparemment, rien d’aimable, rien de désirable, rien d’adorable dans le cruel spectacle de cette liturgie. Comment comprendre que nous soyons là, recueillis et suppliants, au pied de cette croix, devant ce crucifié ? Nous avons une première excuse : nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas les premiers. Beaucoup de femmes –est-ce si étonnant ? - et peu d’hommes –c’est encore moins étonnant- au pied de la croix de Jésus de Nazareth. Tous ceux-là avaient les mêmes questions que nous, et les mêmes larmes, et les mêmes vertiges : Pourquoi cela ? Pourquoi jusque là ? Pourquoi un juste innocent doit-il finir crucifié ? Le savaient-elles, ces femmes, et ce disciple comme égaré parmi elles : ils n’étaient pas seuls non plus. Quand le cœur de ce Jésus s’est ouvert pour laisser jaillir le sang et l’eau, jusqu’à la dernière goutte, c’est toute l’humanité qui s’est engouffrée dans cette plaie béante, les justes mais aussi les injustes, les innocents mais aussi les coupables, autrement dit nous, nous tous. Quand le cœur de Dieu éclate sous la double pression de notre violence et de son amour, il y a de la place pour tout le monde, ou du moins pour tous ceux qui veulent bien entrer dans ce cœur-là, tous les misérables et toutes les misères, pour se laisser sauver en se laissant consumer par la divine miséricorde. Voici l’homme, disait Pilate, en montrant un Jésus ridicule prêt pour le sacrifice suprême. C’est maintenant toute l’humanité qui est entrée dans la maison trinitaire par la porte du côté transpercé de cet homme, celui de toutes les douleurs, celui de toutes les questions, celui de toutes les réponses… d’amour. On ne peut pas résister au scandale de la croix, on donne raison à Nietzsche, à moins de lire dans cette croix, en silence, comme Marie la mère, la plus grande démonstration d’amour, la plus universelle proposition de salut, la plus merveilleuse invitation à la communion pour les plus petits, les plus douloureux, les plus pauvres…une communion avec Dieu. Parce que Dieu est Amour, et parce qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime, pour ceux que Dieu aime, nous, tous. Et c’est ce que Jésus montre et démontre, les bras grand ouverts, du haut de sa croix. Cher Nietzsche, ce n’est pas du dolorisme ni du misérabilisme. J’en conviens : je n’ai pas toute la réponse à la question de l’existence du mal, sous toutes ses formes, dans notre monde, et encore moins quand ce mal frappe des innocents, à commencer par les enfants. Jésus lui-même a posé cette question à celui qu’il appelait pourtant son Père : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » C’était son droit, c’est aussi le nôtre. Mais je ne crois pas que Dieu châtie plus ceux qu’il aime davantage. Le message de la croix, c’est Dieu solidaire de nous, jusques dans nos erreurs et dans nos horreurs, c’est Jésus qui, jusqu’au dernier moment, a soif de Dieu et plus encore de nous, c’est celui qui donne encore et pardonne toujours, c’est celui qui estime avoir tout accompli en mourant pour ses amis. Mais attention ! le dernier mot viendra seulement au matin de Pâques. Dans la nuit de ce vendredi, en attendant le soleil de dimanche, nous pouvons être nous-mêmes, tels que nous sommes en vérité, pauvres, pécheurs, angoissés peut-être, trop solitaires parfois, ou très solidaires quand nous prenons sur nous toute la misère du monde…et c’est si lourd ! C’est le moment ! Dans un grand sursaut de confiance, parce que, finalement, même devant la croix, nous sommes davantage pascals que mortels, nous pouvons donner maintenant un écho très humain à l’ultime remise de Jésus dans les mains de son Père, juste avant le dernier soupir : J’ai tout remis entre tes mains Ce qui m’inquiète, ce qui me gène, Ce qui m’angoisse et qui me gène Et le souci du lendemain J’ai tout remis entre tes mains J’ai tout remis entre tes mains Le lourd souci traîné naguère Ce que je pleure ou que j’espère Et le pourquoi de mon destin J’ai tout remis entre tes mains J’ai tout remis entre tes mains La pauvreté ou la richesse Le bonheur et puis la tristesse Tout ce que jusqu’ici j’ai craint J’ai toute remis entre tes mains J’ai tout remis entre tes mains Que ce soit la mort ou la vie La santé ou la maladie Le commencement ou la fin Car tout est bien entre tes mains Claude Ducarroz

mercredi 17 avril 2019

Homélie Jeudi-Saint

Homélie Jeudi Saint 2019 Cela. C’est quoi CELA ? C’est quoi, quand Jésus dit aux apôtres la veille de sa mort : « Faites cela en mémoire de moi » ? Prenons un exemple concret, au risque d’être un peu banal. Si vous commandez un nouvel appareil ménager –par Internet si vous voulez être « dans le vent »-, vous attendez trois choses : l’objet désiré, un mode d’emploi pour l’utiliser juste et un employé de la poste pour vous le livrer à domicile. Si l’un de ces éléments vient à manquer, il n’y aura aucune amélioration dans votre cuisine. Pour notre vie, une meilleure vie, et même la vie éternelle, ce soir-là Jésus a préparé pour nous un très grand cadeau. Il était à la veille de sa mort, autrement dit à l’heure du testament suprême, quand il s’agit de tout donner -une dernière fois et en une fois- ce qu’il a de meilleur, en signe d’amour divin pour tous ses sœurs et frères humains. Alors il se donne lui-même, en personne, tel qu’il est, avec un message de libération, avec son corps et son sang, son corps bientôt livré, son sang bientôt répandu, jusqu’à la dernière goutte, pour le salut du monde. Pas seulement pour les douze présents à ce moment-là, car Jésus n’institue jamais des privilégiés exclusifs pour ce qui est son essentiel. Il s’offre lui-même pour tous, à commencer par ses disciples de tous les temps, et aujourd’hui c’est nous : « Faites, re-faites cela en mémoire de moi ». C’est lui, tout lui, avec nous, pour nous., un 100% d’amour. « Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15,13). Alors il invente aussi des porteurs du cadeau, des facteurs de Bonne Nouvelle et d’Eucharistie, pas des fonctionnaires qui se croiraient supérieurs aux autres et qui se serviraient égoïstement au passage comme des enfants gâtés. Non. Comme des serviteurs humbles, à l’image de la merveilleuse donation cachée sous les plus pauvres figures : un peu de pain, un peu de vin, fruits de la terre et du travail des hommes et des femmes. Voici mon corps, voici mon sang. Et la consigne est claire, comme à la multiplication des pains : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 14,16). Puis il ajouta : « Le pain que je donne, c’est ma chair pour que le monde ait la vie éternelle ». (Jn 6,51). Mais attention ! Donner ce pain-là, et le recevoir comme tel : ce n’est pas n’importe comment. Il y a un mode d’emploi, il y a un état d’esprit, pour ceux qui le donnent et pour ceux qui le reçoivent. C’est la troisième dimension du même cadeau. Comme s’il savait qu’on pouvait aussi, même à propos de l’eucharistie, transformer le service en pouvoir, faire d’un ministère un privilège, défigurer une liturgie en en faisant une démonstration de prestige ou de richesse, Jésus a aussitôt montré l’exemple. Il savait bien pourquoi. Quelques jours avant sa mort, les apôtres en vinrent à se quereller pour savoir qui était le plus grand parmi eux. (Cf. Lc 22,24…). Déjà du cléricalisme, au temps de Jésus ! La réponse, vous venez de l’entendre dans l’évangile de ce soir, et vous allez la voir et la revoir : le lavement des pieds. L’avez-vous remarqué ? A propos de ce geste tellement significatif, bouleversant d’humilité, Jésus utilise les mêmes mots que pour la sainte Cène, l’invitation à revivre en refaisant la même chose, en mémoire de lui : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous re-fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ». En ajoutant cette béatitude : « Sachant cela, heureux serez-vous si vous le faites. » Une si belle joie, celle du service ! * C’est tout ça, le fameux CELA de l’eucharistie. C’est la présence réelle de Jésus mort et ressuscité au milieu de nous, sous les signes du partage fraternel entre pauvres, car un peu de pain et un peu de vin suffisent pour faire et refaire eucharistie. * Ce sont des serviteurs –et pourquoi pas ?des servantes- de cette liturgie, non pas pour constituer une caste de chrétiens de première classe surplombant les simples fidèles de leur autorité auto-proclamée, mais d’humbles serviteurs de leurs frères et sœurs. * Oui, qu’ils soient dévoués dans leur ministère certes précieux, mais entièrement calqué sur le lavement des pieds. Selon cette injonction de Jésus lui-même, à genoux devant ses amis, le tablier de cuisine autour de la taille : « Si donc moi, le Seigneur et le maître, je vous ai lavé les pieds, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13,14). Il n’y a d’eucharistie selon l’Evangile que dans cet esprit-là. Tout autrement, c’est de la caricature cléricale. On sait maintenant, hélas ! où ça peut mener. Alors oui, faites cela, tout cela en mémoire de Moi, nous rappelle Jésus. Mais comme cela, autrement dit comme lui.

Jacques Loew, enfant de son siècle

Jacques Loew : un enfant de son siècle Né à Clermont-Ferrand en 1908, décédé au monastère d’Echourgnac (Périgord) en 1999, Jacques Loewe a vraiment embrassé le siècle. Ses abîmes, ses remontées, ses multiples passions. Fils de la bourgeoisie Fils unique dans une famille de médecins, Jacques Loew a grandi dans la bourgeoisie de Nice, comme un enfant gâté, mais rarement satisfait. Au terme de ses études parisiennes, avocat dandy, il éprouve un immense vide intérieur consolidé par un athéisme hédoniste. La maladie le rattrape. En séjour à Leysin, après un bref détour au couvent de la Valsainte, il vit une sorte de « chemin de Damas » au contact de la nature et du silence. Encore lui faut-il passer de l’Evangile du Christ à la communion de l’Eglise. Pas simple ! Mais brûle en lui l’ardeur des nouveaux convertis. Il entre chez les Dominicains en 1934 et devient prêtre en 1939. La mission en monde ouvrier L’Eglise de France est alors soulevée par un grand élan missionnaire en direction du monde ouvrier qui semble si éloigné de l’Eglise. Le jeune dominicain est envoyé à Marseille dans une mission auprès des dockers. Durant 13 ans, l’ex-bourgeois devient l’un des premiers prêtres-ouvriers. Il apprend la vraie vie dans un partage quotidien avec les plus pauvres, non sans s’appuyer sur le témoignage et l’amitié de Madeleine Delbrêl -elle aussi une convertie- qui s’était établie à Ivry en pleine banlieue communiste. 1954, c’est l’interdiction des prêtres-ouvriers par le Vatican, « douleur et déchirement », commente Jacques Loew. Beaucoup ne comprennent pas cette mesure brutale, quittent le ministère ou continuent dans la désobéissance. Une grave crise que le concile Vatican II essaiera de réparer. Jacques Loew choisit de demeurer en communion avec l’Eglise, mais en imaginant une nouvelle manière de prolonger l’apostolat en monde ouvrier. En 1955, il fonde la Mission ouvrière Pierre et Paul. Tout en évitant des engagements socio-politiques directs, les prêtres de la MOPP partagent au plus près la condition prolétaire, en mettant l’accent sur la vie spirituelle, la convivialité en petite équipe et le lien régulier avec les responsables de l’Eglise. De telles communautés de base s’installent au Brésil, au Japon, en Europe -y compris à l’Est- et même en Suisse. A l’Ecole de la Parole de Dieu Après le concile Vatican II (1962-1965), le Père Jacques Loew comprend qu’il faut mieux enraciner la formation des catholiques dans la fréquentation savoureuse de la Parole de Dieu. Peut-être s’est-il souvenu de son passage à l’Ecole du dimanche quand son père l’avait inscrit à la catéchèse chez les protestants pour lui éviter de « tomber dans les griffes des curés ». Cette parole biblique va constituer l’architecture de sa nouvelle fondation : l’Ecole de la foi. Elle s’installera en 1969 à Fribourg, cité universitaire plus tranquille qu’en France post 68, et surtout confiée à ses confrères dominicains, réputés pour la solidité de leur enseignement théologique. Telle est l’originalité de l’Ecole de la foi : la parole de Dieu doit être sérieusement étudiée, joyeusement célébrée dans la liturgie et surtout vécue au sein de petites équipes internationales en appartement. Cette école, durant les 37 années de son existence à Fribourg, a formé 1900 personnes provenant de 75 pays, parmi lesquels 157 Suisses, qui continuent de se dévouer au service de l’Eglise chez nous ou ailleurs, comme laïcs, religieux/religieuses et même prêtres. Le rayonnement d’un pionnier Le rayonnement du Père Loew a été décuplé par des publications fort nombreuses et de haute qualité. Le pape Paul VI a reconnu et apprécié l’apostolat de cet « homme de l’Evangile ». Il lui a confié la prédication de la retraite de Carême au Vatican en 1970, un enseignement encore disponible sous le titre « Ce Jésus qu’on appelle Christ » (Editions Fayard). En 1981, le Père Loew quitte la direction de l’Ecole de la foi, qu’il transmet au diacre Noël Aebischer, en collaboration avec son épouse Josiane. Lui-même retrouve une vocation plus monastique et même érémitique. Il se retire dans l’abbaye de cisterciennes d’Echourgnac où il passe les 8 dernières années de sa vie. Il y meurt le 14 février 1999 à l’âge de 91 ans. Pour mieux connaître sa vie très riche en rebondissements et pour se référer à ses écrits encore pleins d’actualité apostolique, il faut lire Le bonheur d’être homme - des entretiens avec Dominique Xardel (Editions du Centurion 1988). Deux manifestations vont commémorer prochainement les 20 ans de la mort de Jacques Loew et les 50 ans de la fondation de l’Ecole de la foi - Samedi 11 mai 2019 à 17h30 en l’église Ste-Thérèse de Fribourg (Suisse) : messe de mémoire et de merci présidée par Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. La célébration sera précédée par une exposition et un spectacle, et suivie par un moment de fraternelle convivialité. - Du mercredi 29 mai (17h00) au dimanche 2 juin 2019 (14h00) [week-end de l’Ascension] à Montferrand-le-Château (Besançon - France) ) : rencontre internationale de partage pour faire mémoire et surtout recueillir les fruits d’avenir de la personnalité apostolique de Jacques Loew. Pour toute information : www.fondation-loew.ch Claude Ducarroz Cet article a paru dans l’Echo Magazine du 18 avril 2019 p. 36-37.

mardi 2 avril 2019

Abus: de la reconnaissance à la renaissance

Crise du clergé De la reconnaissance à la renaissance Y en a marre ! Ne pourrait-on pas parler aussi d’autre chose ? Face à la crise des abus, je perçois une sourde amertume parmi les prêtres qui se sentent enfermés derrière les barreaux d’une mauvaise (et injuste) réputation. Les fidèles aspirent aussi à passer plus loin, vers des horizons plus constructifs. Soyons réalistes : nous n’avons probablement pas fini avec des révélations écoeurantes, et il nous faudra encore longtemps assumer la responsabilité de soutenir les victimes qui, elles, continuent de souffrir. Mais tout cela doit nous inciter à en tirer des leçons en vue d’un avenir plus évangélique pour notre Eglise. Regardez autour de vous. La grande majorité des prêtres sont et demeurent fidèles au poste. Sans doute sont-ils des humains avec leurs fragilités. Ils sont aussi des chrétiens « pauvres pécheurs », adossés à la miséricorde de Dieu. Mais ils accomplissent leurs tâches au plus près de leur conscience, appuyés sur leur foi et sur les soutiens du peuple de Dieu. Ne méritent-ils pas un brin de reconnaissance, au double sens de ce mot : les reconnaître en ce qu’ils sont et avoir de la reconnaissance pour ce qu’ils font, « à cause de Jésus et de l’Evangile » (Mc 10,29) ? Et pourtant il faut aller plus loin. Je rêve que notre pape convoque un synode universel pour remettre sur la table de l’Eglise toute la problématique des ministères. Qu’il l’annonce le Jeudi-saint, le jour où, selon la tradition, Jésus a institué les ministères ordonnés, en indiquant dans quel esprit il fallait les exercer, soit en lavant les pieds des autres au lieu de jouer aux seigneurs et aux maîtres cléricaux. Et que cette renaissance théologique et spirituelle soit encadrée par une meilleure considération de tous les autres ministères, exercés par tant d’autres serviteurs et servantes de l’Evangile. Je perçois deux conditions pour le succès d’une telle aventure Il faut d’abord que le peuple de Dieu puisse s’exprimer dans l’esprit de ce qu’a dit le concile Vatican II : « Que les évêques accordent attention et considération dans le Christ aux essais, vœux et désirs proposés par les laïcs », ceux-ci ayant « la faculté et même le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Eglise ». (Lumen gentium no 37). Nos évêques sont-ils disposés à écouter ce que pensent les « simples fidèles » ? A vérifier ! Enfin, il faut qu’un tel synode puisse débattre des ministères sans tabou. Si l’on commence par proclamer qu’il est exclu de remettre en cause l’obligation universelle du célibat pour les prêtres de l’Eglise latine, si l’on est complètement allergique à la moindre allusion aux ministères féminins, même ordonnés, alors on risque de tourner en rond au lieu de repartir des sources bibliques et de prendre en compte les signes de notre temps, dans l’Eglise et dans la société. Une chose est certaine. Pour notre Eglise, sur le thème des ministères, il est urgent d’agir. Claude Ducarroz Cet article a paru dans La Liberté du 3 avril 2019 p. 8