INTERVIEW La Liberté
18.01.20.
1. Pour le cardinal Sarah, l’ordination d’hommes
mariés n’est pas une demande des peuples d’Amazonie, mais « un
fantasme de théologiens occidentaux en
mal de transgressions ». Qu’en pensez-vous ?
Quel mépris !
Quand les synodes catholiques suisses, déjà en 1972, demandèrent qu’on puisse
aussi ordonner prêtres des hommes mariés, ils ne cédaient pas à un prurit
progressiste. C’étaient des chrétiens soucieux de l’évangélisation, inquiets du
manque de prêtres, coresponsables de l’avenir de l’Eglise chez nous. Comme en
Amazonie.
2. Avec cinq autres prêtres et anciens prêtres,
vous avez signé un ouvrage de témoignages de vies suivis d’un appel en faveur
d’un libre choix du célibat pour tous les candidats à la prêtrise. Pourquoi ?
Le sacrement de
mariage, le célibat consacré et les divers ministères sont tous des cadeaux de
l’Evangile dans le trésor de l’Eglise pour le salut du monde. Il faut cesser de
les opposer. Selon la plus vénérable tradition de l’Eglise universelle, l’Esprit
peut susciter des vocations de prêtres parmi les mariés comme parmi les
célibataires. Après discernement et formation, ce ministère, sous ses deux
formes, peut être accueilli et vécu dans une belle liberté responsable, comme
le démontre la pratique de toujours des Eglises d’Orient, tant orthodoxes que
catholiques. Souhaiter une telle pratique chez nous n’a rien de
révolutionnaire.
3. Mais
n’est-ce pas bouleverser une longue tradition dans l’Eglise catholique ?
Il n’est pas question de critiquer les valeurs
du célibat ecclésiastique quand celui-ci est vécu comme une vraie vocation dans
une liberté assumée, au service des communautés chrétiennes. J’ai pu vérifier
que ce célibat peut être un très bon serviteur du ministère presbytéral. Mais
en faire la voie unique qui mène à ce ministère, c’est restreindre la liberté
de l’Esprit et diminuer fortement les possibilités de se donner en Eglise d’une
autre façon. Ceci dit, je ne pense pas que des prêtres mariés constitueraient
une solution à tous nos problèmes, mais je suis persuadé que l’obligation
universelle du célibat compte aussi dans la raréfaction malheureuse des
vocations presbytérales.
4. Mais
avec des prêtres mariés (viri probati) en Amazonie, le cardinal Sarah parle de
« blessure dans la cohérence interne du sacerdoce ». Quel est votre
avis ?
Où va-t-il chercher cette blessure interne au
sacerdoce ? Les prêtres mariés dans les Eglises d’Orient sont-ils moins
prêtres que les célibataires ? Ou les nôtres sont-ils de meilleurs prêtres
parce qu’ils ne sont pas mariés ? Dans le Nouveau Testament, Jésus parle
d’un célibat « pour le Royaume des cieux » destiné à ceux qui peuvent
l’accueillir comme une grâce (« Comprenne qui pourra !»). L’apôtre
Paul conseille le célibat dans le contexte d’un prochain retour du Seigneur. Mais
à aucun moment, ni l’un ni l’autre établit un lien de nécessité entre le
célibat et le ministère ordonné. C’est presque le contraire. Après avoir exalté
la beauté du mariage chrétien (Cf. Ephésiens 5), Paul le célibataire recommande
qu’on choisisse pour épiscope dans les communautés « un homme
irréprochable, mari d’une seule femme…, sachant bien gouverner sa propre
maison…Car celui qui ne sait pas gouverner sa propre maison, comment pourrait-il
prendre soin de l’Eglise de Dieu » ? (I Tim 3)
5. Vous ne
pouvez nier le fait que le célibat des prêtres s’est peu à peu imposé, sans
doute avec quelques bonnes raisons.
Il faut reconnaître que, assez tôt après les
apôtres, certaines spiritualités pessimistes ont émis des doutes sur la
compatibilité entre le ministère de prêtre et la vie matrimoniale. On a
commencé à exiger des prêtres qu’ils renoncent aux relations sexuelles. Puis on
a contraint leurs épouses à s’éloigner d’eux. Sous l’influence du prestige des
moines célibataires par vœux, on a préféré ordonner des prêtres engagés dans le
célibat. Il faut cependant admettre que l’on a aussi résisté, surtout en
Orient, à cette sorte d’intégrisme célibataire. Par ailleurs, en Occident où la
règle du célibat pour tous s’est imposée au 12ème siècle, il faut
savoir que cette injonction fût loin d’être respectée partout et par tous, même
chez les évêques.
6. Le
célibat n’est pas un dogme, mais beaucoup tiennent à ce qu’il demeure
obligatoire, du moins chez nous. Le pape émérite Benoît estime aussi que la
prêtrise exige « l’exclusivité à l’égard de Dieu », donc le célibat.
Sans que le ministère de prêtre « laisse du temps pour une vie privée et
de gentils loisirs », ajoute le cardinal Sarah.
Reste que le célibat obligatoire n’est donc pas
un dogme. C’est une loi d’Eglise qui peut comporter des motivations très
respectables, mais qui peut aussi être assouplie ou modifiée, comme une large
majorité d’évêques l’a souhaité pour l’Amazonie lors du synode de Rome en
octobre dernier, en fonction de nécessités pastorales toujours prioritaires.
Chez nous aussi.
7. Voyez-vous
une relation entre le cléricalisme –dont on parle beaucoup- et le célibat du
prêtre ?
Le pape François a appelé tout le peuple de
Dieu à lutter contre le cléricalisme, qui établit une relation toxique entre
certains prêtres et les autres chrétiens, notamment les laïcs. Il est difficile
de voir une relation de cause à effet entre le célibat des prêtres et le
cléricalisme. Celui-ci s’explique, entre autres, par une autorité perçue comme
un droit sur les autres, par une conscience démesurée du rôle de leader
communautaire, par une certaine emprise religieuse qui serait autorisée par le
caractère sacré de la vocation et de la mission. Peut-être le célibat, quand il
est mal compris ou mal assumé, peut-il contribuer à un tel cléricalisme. Mais
il ne faudrait pas oublier tous les généreux engagements des prêtres
célibataires qui se donnent, à plein cœur et à plein temps, « à cause de
Jésus et de l’Evangile. Ceux-là savent aussi reconnaître, respecter et honorer
les autres vocations qui fleurissent dans l’ensemble du peuple de Dieu.
Aidons-les dans leur humble fidélité.
Claude Ducarroz