lundi 20 janvier 2020

Encore le célibat du prêtre

INTERVIEW   La Liberté  18.01.20.

1.  Pour le cardinal Sarah, l’ordination d’hommes mariés n’est pas une demande des peuples d’Amazonie, mais « un fantasme  de théologiens occidentaux en mal de transgressions ». Qu’en pensez-vous ?

Quel mépris ! Quand les synodes catholiques suisses, déjà en 1972, demandèrent qu’on puisse aussi ordonner prêtres des hommes mariés, ils ne cédaient pas à un prurit progressiste. C’étaient des chrétiens soucieux de l’évangélisation, inquiets du manque de prêtres, coresponsables de l’avenir de l’Eglise chez nous. Comme en Amazonie.

2. Avec cinq autres prêtres et anciens prêtres, vous avez signé un ouvrage de témoignages de vies suivis d’un appel en faveur d’un libre choix du célibat pour tous les candidats à la prêtrise. Pourquoi ?

Le sacrement de mariage, le célibat consacré et les divers ministères sont tous des cadeaux de l’Evangile dans le trésor de l’Eglise pour le salut du monde. Il faut cesser de les opposer. Selon la plus vénérable tradition de l’Eglise universelle, l’Esprit peut susciter des vocations de prêtres parmi les mariés comme parmi les célibataires. Après discernement et formation, ce ministère, sous ses deux formes, peut être accueilli et vécu dans une belle liberté responsable, comme le démontre la pratique de toujours des Eglises d’Orient, tant orthodoxes que catholiques. Souhaiter une telle pratique chez nous n’a rien de révolutionnaire.

3. Mais n’est-ce pas bouleverser une longue tradition dans l’Eglise catholique ?

Il n’est pas question de critiquer les valeurs du célibat ecclésiastique quand celui-ci est vécu comme une vraie vocation dans une liberté assumée, au service des communautés chrétiennes. J’ai pu vérifier que ce célibat peut être un très bon serviteur du ministère presbytéral. Mais en faire la voie unique qui mène à ce ministère, c’est restreindre la liberté de l’Esprit et diminuer fortement les possibilités de se donner en Eglise d’une autre façon. Ceci dit, je ne pense pas que des prêtres mariés constitueraient une solution à tous nos problèmes, mais je suis persuadé que l’obligation universelle du célibat compte aussi dans la raréfaction malheureuse des vocations presbytérales.

4. Mais avec des prêtres mariés (viri probati) en Amazonie, le cardinal Sarah parle de « blessure dans la cohérence interne du sacerdoce ». Quel est votre avis ?

Où va-t-il chercher cette blessure interne au sacerdoce ? Les prêtres mariés dans les Eglises d’Orient sont-ils moins prêtres que les célibataires ? Ou les nôtres sont-ils de meilleurs prêtres parce qu’ils ne sont pas mariés ? Dans le Nouveau Testament, Jésus parle d’un célibat « pour le Royaume des cieux » destiné à ceux qui peuvent l’accueillir comme une grâce (« Comprenne qui pourra !»). L’apôtre Paul conseille le célibat dans le contexte d’un prochain retour du Seigneur. Mais à aucun moment, ni l’un ni l’autre établit un lien de nécessité entre le célibat et le ministère ordonné. C’est presque le contraire. Après avoir exalté la beauté du mariage chrétien (Cf. Ephésiens 5), Paul le célibataire recommande qu’on choisisse pour épiscope dans les communautés « un homme irréprochable, mari d’une seule femme…, sachant bien gouverner sa propre maison…Car celui qui ne sait pas gouverner sa propre maison, comment pourrait-il prendre soin de l’Eglise de Dieu » ? (I Tim 3)


5. Vous ne pouvez nier le fait que le célibat des prêtres s’est peu à peu imposé, sans doute avec quelques bonnes raisons.

Il faut reconnaître que, assez tôt après les apôtres, certaines spiritualités pessimistes ont émis des doutes sur la compatibilité entre le ministère de prêtre et la vie matrimoniale. On a commencé à exiger des prêtres qu’ils renoncent aux relations sexuelles. Puis on a contraint leurs épouses à s’éloigner d’eux. Sous l’influence du prestige des moines célibataires par vœux, on a préféré ordonner des prêtres engagés dans le célibat. Il faut cependant admettre que l’on a aussi résisté, surtout en Orient, à cette sorte d’intégrisme célibataire. Par ailleurs, en Occident où la règle du célibat pour tous s’est imposée au 12ème siècle, il faut savoir que cette injonction fût loin d’être respectée partout et par tous, même chez les évêques.

6. Le célibat n’est pas un dogme, mais beaucoup tiennent à ce qu’il demeure obligatoire, du moins chez nous. Le pape émérite Benoît estime aussi que la prêtrise exige « l’exclusivité à l’égard de Dieu », donc le célibat. Sans que le ministère de prêtre « laisse du temps pour une vie privée et de gentils loisirs », ajoute le cardinal Sarah.

Reste que le célibat obligatoire n’est donc pas un dogme. C’est  une loi d’Eglise  qui peut comporter des motivations très respectables, mais qui peut aussi être assouplie ou modifiée, comme une large majorité d’évêques l’a souhaité pour l’Amazonie lors du synode de Rome en octobre dernier, en fonction de nécessités pastorales toujours prioritaires. Chez nous aussi.

7. Voyez-vous une relation entre le cléricalisme –dont on parle beaucoup- et le célibat du prêtre ?

Le pape François a appelé tout le peuple de Dieu à lutter contre le cléricalisme, qui établit une relation toxique entre certains prêtres et les autres chrétiens, notamment les laïcs. Il est difficile de voir une relation de cause à effet entre le célibat des prêtres et le cléricalisme. Celui-ci s’explique, entre autres, par une autorité perçue comme un droit sur les autres, par une conscience démesurée du rôle de leader communautaire, par une certaine emprise religieuse qui serait autorisée par le caractère sacré de la vocation et de la mission. Peut-être le célibat, quand il est mal compris ou mal assumé, peut-il contribuer à un tel cléricalisme. Mais il ne faudrait pas oublier tous les généreux engagements des prêtres célibataires qui se donnent, à plein cœur et à plein temps, « à cause de Jésus et de l’Evangile. Ceux-là savent aussi reconnaître, respecter et honorer les autres vocations qui fleurissent dans l’ensemble du peuple de Dieu. Aidons-les dans leur humble fidélité.

Claude Ducarroz



mercredi 8 janvier 2020

Houle et foules

Dans la houle des foules

            L’a-t-on assez remarqué ? 2019 se signale par les très nombreux rassemblements de masse à travers le monde entier. La liste est impressionnante. Et les motifs fort variés. La misère basique, le manque de liberté civique, le mépris des femmes, l’urgence climatique, l’oppression sous toutes ses formes, les inégalités sociales, la cruauté de la guerre : toutes ces raisons, et d’autres encore, ont fourni matière à se réunir pour crier, tantôt une révolte spontanée, tantôt des exigences étayées, toutes, en vérité, pour remettre en question le ou les systèmes qui dominent la guidée de notre aventure humaine.
            Décidément, il y a quelque chose de détraqué dans la mécanique sociale qui gère notre présent et prétend régenter notre avenir en ce monde. Même la Suisse –pays par excellence des compromis tranquilles- n’a pas échappé à quelques fièvres surprenantes. Des dizaines de milliers de femmes dans les rues pour réclamer un plus grand respect de leurs personnes et de leurs droits ; des centaines de milliers de citoyens - emmenés par des jeunes fervents- pour clamer leur volonté de faire davantage pour la survie de notre planète : voilà qui constitue des épisodes significatifs, qu’on aurait grand tort de sous-estimer.
            Ils font partie de ces « signes des temps » que le concile Vatican II avait définis ainsi : « Les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels les chrétiens participent avec les autres hommes », en ajoutant : « L’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter ces signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile. »
            Quand on parcourt l’actualité de 2019, comment les chrétiens pourraient-ils rester indifférents aux thématiques soulevées par ces multitudes en marche ? Comment se contenteraient-ils de regarder passer les cortèges de l’Histoire en bavardant sur les trottoirs de la simple curiosité ? Ne devrions-nous pas nous intégrer à toutes les solidarités sociales et à toutes les imaginations créatrices pour changer le cours de notre destinée et améliorer la condition humaine, à commencer par celle des plus pauvres et des  plus nécessiteux ?
            Dans l’immense foule qui a battu le pavé pour le climat à Berne le 28 septembre dernier, j’ai aperçu quelques pancartes signalant la présence des Eglises. Mais ils étaient certainement bien plus nombreux, les chrétiennes et les chrétiens qui manifestaient de manière plus discrète, au nom de leur solidarité humaine d’abord, mais aussi avec leurs motivations évangéliques.
            Et quelles peuvent être ces motivations spécifiques ? Incontestablement une certaine vision de l’homme, comme personne sacrée, imbriquée dans ses relations sociales avec tous. Depuis la venue du Fils de Dieu en notre chair, nous savons mieux que tout ce qui concerne l’humain implique aussi le divin, et que la vocation transcendante de l’homme l’enracine d’autant plus dans les exigences de la fraternité universelle.
            Sans doute, au milieu des manifestations populaires et des débats « terrestres », le chrétien doit-il garder une précieuse liberté critique, ne serait-ce que pour remettre en question certains comportements qui sentiraient le mépris ou conduiraient à la violence. Mais pour tout le reste, ce qui est humain et qui a de l’avenir, comment ne pas témoigner du Christ, le meilleur ami de l’Homme, en étant au milieu des hommes, en partageant leurs peines et surtout leurs espérances, en luttant pour une « écologie humaine intégrale ».
            Dans cet esprit/Esprit, je vous/nous souhaite une bonne année 2020.


A paru sur le site  www.cath.ch                                           Claude Ducarroz