mardi 6 novembre 2018

Ah! le pouvoir...

Ah ! le pouvoir… L’actualité avance par vagues. Après la houle liée au sexe, dans le déferlement des scandales provoqués par l’affaire Weinstein, voici la déferlante des esclandres autour d’un certain (mauvais) usage du pouvoir. Le schéma est toujours le même : les hommes et les femmes investis d’un pouvoir sont tentés de se croire tout-puissants, non seulement perchés au dessus du commun des mortels, mais aussi juchés au dessus des lois. Et nous remarquons, à peine étonnés, que beaucoup succombent à cette pernicieuse tentation, que ce soit dans l’Eglise ou dans les strates fort complexes de notre société. On sait maintenant que les abus sexuels parmi le clergé s’expliquent notamment par des abus de pouvoir, surtout quand celui-ci se revêt des oripeaux de la sacralité religieuse. D’où la croisade actuelle contre le cléricalisme, conduite par le pape François lui-même. On vérifie aussi que les autorités politiques, qu’elles soient de gauche ou de droite - et même du centre !- cèdent bien facilement aux mirages des excès, des privilèges et même des magouilles, y compris quand les contre-pouvoirs démocratiques et médiatiques devraient les inciter à redoubler de prudence à défaut d’honnêteté. Plusieurs réactions sont possibles devant la répétition de ces révélations qui vont de l’erreur bénigne jusqu’au péché de malversation qu’on s’acharne à nier après l’avoir dissimulée. Il convient d’abord de louer le courage de celles et ceux, surtout dans les milieux administratifs, judiciaires et médiatiques, qui dénoncent ces faits et gestes si maléfiques pour notre démocratie soit-disant libérale…et propre. Certes, il faut éviter absolument les rumeurs infondées, les fausses accusations et les chasses aux sorcières. Mais certains lanceurs d’alerte méritent notre reconnaissance, dans les deux sens de ce mot. Est-ce à dire qu’il faille désormais se méfier de tout le monde, suspecter tous les magistrats, traquer nos hommes et femmes politiques ? Certainement pas. Parce que la grande majorité d’entre eux est constituée de citoyens honnêtes, qui se mettent au service du peuple de manière désintéressée. Les petits privilèges de la gloire, les ivresses que suscitent parfois les vapeurs d’une autorité reconnue et célébrée : tout cela s’efface très vite au rude contact des réalités fort complexes qui exigent engagement personnel, travail persévérant, et même beaucoup de sacrifices pas nécessairement récompensés. Mais le danger suivant existe : que la multiplication des méchantes « affaires » conforte nos citoyens dans la conviction que tous ces politiciens sont des pourris, qu’on ne peut plus leur faire confiance, qu’il faut donc se réfugier, ou dans l’opposition systématique, ou –pire encore- dans l’abstention généralisée. Comment nier que de telles attitudes mettent en péril les fondements de notre vivre-ensemble et fassent le lit des extrémismes de tout acabit, toujours prêts à fleurir sur les délitements de nos valeurs démocratiques ? Dès lors, deux comportements s’imposent, à partir du sens des responsabilités qui devrait toujours guider notre conscience et notre action : demeurer vigilant, car personne n’est à l’abri de dérapages, petits ou grands, et c’est faire œuvre de salubrité que d’être aux aguets. Mais le mieux est encore de participer pleinement, chacun selon ses possibilités et charismes, au déroulement correct des activités socio-politiques, par l’intérêt porté à la chose publique, par le vote réfléchi et par la collaboration citoyenne à tous les niveaux. Et ça vaut aussi pour l’Eglise. Il suffit de rappeler cette injonction de Jésus, scandalisé de constater que ses apôtres, juste après le lavement des pieds et l’eucharistie, se disputaient encore pour savoir qui était le plus grand d’entre eux : « Il ne doit pas en être ainsi parmi vous…. Que celui qui commande prenne la place de celui qui sert. » (Lc 22,26). Claude Ducarroz A paru sur le site cath.ch

jeudi 1 novembre 2018

Toussaint 2018

Toussaint 2018 Le trans-humanisme. Peut-être avez-vous déjà entendu parler de cela puisque les médias s’y intéressent de plus en plus. C’est l’idée –car pour le moment c’est surtout une imagination- que l’homme peut être augmenté, en plusieurs de ses dimensions, par les progrès de la science et des techniques, et notamment grâce aux extraordinaires performances de l’électronique. Si l’on peut dessiner en trois D nos rêves les plus fous, pourquoi ne pourrait-on pas un jour les traduire dans la réalité ? N’a-t-on pas déjà la possibilité de remplacer plusieurs pièces usagées de notre corps par des membres artificiels ? Pourquoi ne ferions-nous pas de même dans notre cerveau ? Certains, peut-être pas si utopiques que cela, rêvent d’allonger notablement notre vie sur terre, et pourquoi ne deviendrions-nous pas immortels ? Ces fantasmes –qu’il ne faut pas trop tôt taxer de folles élucubrations- prouvent au moins une chose : même quand l’homme a éliminé Dieu, même quand il l’a remisé dans les oubliettes de l’histoire, il ne cesse de se comprendre ou de se désirer comme programmé pour une vie éternelle. Et comme, selon lui, il ne faut plus compter sur Dieu pour y arriver, il estime qu’il pourra y parvenir lui-même, tôt ou tard, par ses propres moyens. Dans ce contexte, nous voilà réunis pour la messe de la Toussaint, avec, concernant nos chers défunts, nos seuls souvenirs pour certains, le sentiment d’une certaine communion pour d’autres, et l’espoir d’un possible revoir pour les plus religieux d’entre nous, parce que, nous aussi, nous croyons à l’immortalité des personnes, même décédées. Pas au terme de nos efforts sur-humains, mais par l’accueil reconnaissant d’une grâce offerte par un certain Jésus de Nazareth qui nous a dit : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra éternellement. » Le trans-humanisme ou le sur-humanisme, nous ne le cherchons pas dans une performance humaine. Nous le recevons comme un cadeau de la performance divine en Jésus que Dieu a ressuscité d’entre les morts comme premier né d’une multitude de frères et sœurs…que nous sommes. Dans la résurrection de Jésus, constaté par des témoins sidérés mais fiables, Dieu a mis en route la transformation, et même la transfiguration, de notre humanité mortelle en promesse garantie de vie éternelle. Pas besoin de l’inventer nous-mêmes, il suffit de l’accueillir comme un don, certes qui nous dépasse infiniment, mais surtout qui nous comblera parfaitement, au-delà de toutes nos imaginations et de tous nos désirs. Face à l’utopie de la trans-humanité, nous pouvons choisir : ou essayer de conquérir l’éternité par nous-mêmes, ou la recevoir comme une grâce, de celui qui, ayant passé par la mort comme nous, est revenu nous confirmer cette promesse avec des arguments solides: « Là où je suis, vous serez aussi avec moi pour toujours. » Est-ce à dire que nous n’ayons plus rien à faire, sinon à nous laisser aller dans le n’importe quoi ici-bas, en attendant la suite dans l’au-delà ? D’abord il n’est pas indifférent que, par la foi, nous prenions ce chemin-là pour avancer humainement dans l’existence, de sorte que nous arrivions dans la cible au moment de quitter notre vie en ce monde. Croyons-nous à notre vocation éternelle ? Et puis, justement dans l’évangile de cette fête, Jésus, qui nous promet une fois de plus ce qu’il appelle « le royaume des cieux », nous indique une feuille de route pour la sécurité de notre pèlerinage en cette vie, en espoir de l’autre. Les promis à la résurrection ne peuvent pas vivre n’importe comment. S’ils veulent être au rendez-vous du bonheur éternel, il leur est proposé cet itinéraire qu’on nomme justement « les béatitudes », à savoir des déclarations ou des promesses de bonheur. Etre assez pauvre pour tendre la main vers Dieu et recevoir sa parole et sa présence avec reconnaissance. Etre assez juste, pur, miséricordieux, pacifique avec nos frères et sœurs humains pour leur indiquer ainsi le chemin qui mène au Dieu de l’amour et de la vie éternels. Porter et supporter nos épreuves, y compris celle de la mort –la nôtre et celle de ceux que nous aimons- avec les larmes de l’espérance et non pas celles du désespoir. Traverser cette vie en misant sur l’amour pour nous retrouver, à l’autre bout, prêts à nous fondre dans l’Amour majuscule qu’est Dieu, en qui nous retrouverons tous ceux et toutes celles que nous avons aimés et qui nous ont aimés. Et même quelques autres. Finalement, ne jamais oublier cette petite phrase qui change tout dans la vie et à l’heure de la mort : « Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ». Claude Ducarroz

dimanche 21 octobre 2018

invitation à vous!

Invitation à vous L’organisation « Plans fixes » - qui diffuse des entretiens filmés avec diverses personnalités de Suisse romande - m’a sollicité pour un enregistrement. Il s’agit d’un film en noir et blanc, piloté par le journaliste et animateur Jean-Marc Richard. Ce film passera en première diffusion au cinéma Rex de Fribourg (près de la gare) le mercredi 7 novembre à 18h.30. La projection, gratuite et ouverte à tous, dure 50 minutes et sera suivie d’un apéritif convivial. Je vous invite bien cordialement. Pour la joie de nous revoir ! Claude Ducarroz

jeudi 18 octobre 2018

Pape François: regard critique

Regard critique Ah ! le pape… Le style, c’est l’homme. Et aussi le pape. Je suis très surpris…en bien. Domicile à Ste-Marthe, à l’écart des palais ; moins d’or et de dentelles dans les liturgies ; un langage simple, spontané, même avec quelques dérapages à la clé ; une volonté évidente de proximité avec le peuple. On aime le pape parce qu’on sent qu’il nous aime. Tous, à commencer par les plus humbles et les plus pauvres. C’est de l’évangile en barre. Merci. Et puis il y a la mission. Je suis impressionné par sa demande constante de prière pour lui. Quelle responsabilité ! Il se sait et se sent dans la main de Dieu. Et aussi, quelque part, remis entre nos mains. Il a réussi à faire bouger quelques lignes. Dans la société, avec son encyclique sur l’écologie, avec sa solidarité affichée et cohérente avec les migrants en perdition. Et dans l’Eglise ? C’est tellement difficile ! Le synode sur la famille a mieux promu une pastorale de la miséricorde. Très bien. Dans les affaires de pédophilie, il semble maintenant au clair et efficace. Et sur les grandes réformes internes ? J’attends davantage. Après 5 ans et 26 séances prolongées avec son conseil rapproché (le groupe des 9 cardinaux), qu’est-il sorti jusqu’à ce jour ? Pas grand-chose, semble-t-il. On devine beaucoup de résistances. J’espérais que tout irait plus vite : la réforme de la curie, la décentralisation de l’autorité, l’élargissement des ministères, la place de la femme dans notre Eglise, des avancées œcuméniques significatives : que c’est lent ! Si ça avance… Enfin le défi de l’évangélisation ! L’ambiance générale est rendue plus favorable par le témoignage de notre pape. Mais comment annoncer l’évangile dans une société aussi éclatée, dans la variété des cultures et la complexité des situations ? Personne n’a la recette ! Car là, c’est notre affaire à tous. Donc, à nous d’y aller, sans tout ni trop attendre de Rome. Même un bon pape… n’est que le pape ! Claude Ducarroz

lundi 8 octobre 2018

La parole au peuple. Prenons-la!

La parole au peuple. Exprimez-vous !

Dans sa lutte contre les abus sexuels perpétrés par des membres du clergé, le pape François, après avoir établi un diagnostic pertinent dans la culture du cléricalisme, a lancé deux initiatives intéressantes. D’une part il rassemblera tous les présidents des conférences épiscopales lors d’une assemblée extraordinaire du 21 au 24 février 2019. D’autre part, dans une lettre au peuple de Dieu datée du 20 août 2018, il mobilise toute l’Eglise catholique dans ce combat évangélique contre de tels scandales. Il écrit : « Il est nécessaire que chaque baptisé se sente engagé dans la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons besoin… Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu. »
Tout cela est bel et bon. Mais attention au piège possible.
Puisque les principales décisions seront prises au Vatican par l’assemblée des évêques autour du pape, les braves « chrétiens de la base » pourraient en déduire qu’ils n’ont pas voix au chapitre, sinon par la prière et le jeûne, dans l’attente docile des décrets tombant d’en haut. Après tout, ces abus ont été pratiqués par le clergé, y compris par certains évêques. C’est surtout à eux de se convertir.
Or la révélation de certains péchés d’un certain clergé met en évidence un disfonctionnement structurel dont souffre toute l’Eglise, de sorte que tout le peuple de Dieu doit maintenant prendre en charge, avec la grâce de Dieu, des redressements aussi urgents que nécessaires. Il y va de la crédibilité de notre Eglise dans son pèlerinage actuel en notre histoire. Et pour tout dire, il s’agit de sa docilité aux appels de l’Evangile du Christ et de ses réponses aux signes de l’Esprit.
L’excellent journal La Croix, à titre d’exemples, signale les questions suivantes : quelle place pour les prêtres ? quelle place pour les laïcs ? comment faire droit à l’égalité de tous devant le baptême ? quelle place pour les femmes ? où et comment organiser le débat dans l’Eglise ? comment assumer les fautes de l’Eglise ? (Cf. La Croix du 19 septembre 2018).
La simple lecture de ces thèmes devrait suffire à susciter l’expression libre parmi tous les chrétiens, et même au delà. Rien ne serait plus dommageable qu’un silence douloureux mais résigné, qu’une indifférence déprimée face aux enjeux de ces graves évènements.
C’est pourquoi, de ma modeste place, je fais appel aux chrétiens, personnellement et en communautés, pour qu’ils expriment, en toute liberté et responsabilité baptismales, leurs opinions, leurs réactions et leurs propositions au sujet des indispensables réformes à promouvoir dans notre Eglise. Plus concrètement, qu’ils les envoient à l’évêque suisse qui représentera ses collègues à la prochaine assemblée de février. Nous avons l’espoir que les voix du peuple de Dieu seront entendues et prises en compte. Car rien ne serait plus décourageant qu’une réunion en vase clos, sous une forêt de mitres, sans le témoignage du peuple chrétien et donc sans nous. Plus que jamais : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Eglises ! » (Ap 2 et 3).
Le pape n’a-t-il pas écrit : « Le seul chemin que nous ayons pour répondre au mal qui a gâché tant de vies est celui d’un devoir qui mobilise chacun et appartient à tous comme peuple de Dieu » ?
La parole est au peuple ! Prenons-la ! Exprimons-la !
A toutes fins utiles, voici l’adresse de Mgr Felix Gmür, qui représentera les évêques suisses à l’assemblée de Rome en février prochain :
Case postale 216  4501 Soleure  generalvikariat@bistum-basel.ch                   

                                                                                                                      Claude Ducarroz

vendredi 31 août 2018

Foin du cléricalisme

Entre diagnostic et thérapie

Non ! Je ne veux pas rajouter une couche à l’interminable litanie des lamentations. Même si, à propos des abus sexuels commis par des membres du clergé catholique, il faut continuer d’exiger compassion et compensation à l’égard des victimes, et une juste punition à l’égard des coupables.
A la suite du pape François, il est maintenant urgent de dresser un diagnostic précis pour promouvoir une thérapie efficace.
Le 4 mai 1877, l’homme d’Etat français Léon Gambetta proclamait devant l’assemblée nationale : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » Curieusement, le pape François a repris cette formule presque mot à mot pour fustiger la détestable culture ecclésiastique qui a gangréné certains milieux d’Eglise. Un diagnostic qu’il convient d’expliciter, pas pour tenter d’excuser mais pour essayer de comprendre… et surtout corriger !
Le cléricalisme, c’est s’estimer au dessus des autres chrétiens -  a fortiori au dessus des autres humains-, parce qu’une consécration mystérieuse nous a imprégnés d’un sceau sacré.
Le cléricalisme, c’est manifester un pouvoir pesant en vertu d’une mission reçue, avec d’autant plus d’arrogance que la responsabilité semble confiée d’en haut.
Le cléricalisme, c’est dominer sans partage sur une communauté en revendiquant l’obéissance aveugle des brebis à l’égard du « bon pasteur » qui les guide « au nom du Seigneur ».
Le cléricalisme, c’est abuser de la faiblesse des autres, en oubliant la sienne, sous prétexte que la grâce divine nous investit d’une force surnaturelle.
Le cléricalisme, c’est se croire dispensé des règles humaines de la justice et du respect parce que nous sommes au service d’une Eglise qui a ses propres traditions immémoriales.
Le cléricalisme, c’est se distinguer de toutes les manières pour accréditer une position de surplomb sur le commun des mortels, du moment que nous sommes « mis à part » en vue d’une mission supérieure.
Le cléricalisme, pour certains, c’est estimer que les frustrations dues à la pratique d’un célibat vécu comme une obligation insupportable, autorise des compensations secrètes que l’Eglise saura bien camoufler pour préserver sa réputation dans le grand public.
Le cocktail de plusieurs de ces pratiques peut conduire au pire, comme on doit hélas ! le déplorer, dans les larmes de notre pénitence collective.
Il est temps de passer à des thérapies de choc…évangéliques.
Il y a certainement, du côté des formateurs des futurs prêtres, des prises de conscience qui les ont rendus plus lucides et plus prudents dans le discernement et l’accompagnement des candidats.
On ne fera pas l’économie d’une nouvelle mentalité parmi les serviteurs de l’évangile et de l’Eglise, que sont les prêtres. La fragilité des autres n’autorise aucun abus dans le ministère. Le caractère sacré de la mission reçue requiert la plus douce humilité. En régime chrétien, l’autorité n’est-elle pas le contraire du pouvoir qui impose, autrement dit un service qui aide l’autre à grandir dans la vraie liberté ? Faut-il se distinguer par des apparences clinquantes ou par le rayonnement des charismes les plus humbles ?
Le dialogue et le partage entre les prêtres et les autres membres du peuple de Dieu n’est-il pas une meilleure garantie de communion dans l’animation de la communauté, plutôt que l’imposition hiérarchique et sacrale de décisions purement cléricales ?
Ne faut-il pas revoir les conditions humaines et spirituelles dans lesquelles les prêtres vivent leur célibat, surtout quand ce célibat semble, du moins à certains, un lourd fardeau à porter plutôt qu’une grâce qui les porte ?
Il nous faut re-méditer ces textes du concile Vatican II. « Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité communes à tous les fidèles dans l’édification du corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. » Lumen gentium
no 32.
Foin du cléricalisme !

Claude Ducarroz
3960 signes


vendredi 17 août 2018

Homélie eucharistique

Homélie
19 août 2018

Encore !
Ceux qui, parmi vous, participent à la messe chaque dimanche l’auront peut-être remarqué : durant 5 dimanches de suite, l’évangile de la liturgie ne nous parle que de l’eucharistie. En réalité, c’est la lecture continue, par tranche, du 6ème chapitre de l’évangile de Jean qui compte, à lui tout seul, 72 versets.

Bien sûr, je pourrais rajouter une couche de commentaire sur le mystère eucharistique, ne serait-ce qu’à partir du premier verset de l’évangile d’aujourd’hui : « Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. »

Permettez que je m’attache plutôt à une autre phrase : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui. » Et la question se pose alors :   Comment les chrétiens qui communient si intimement à Jésus peuvent-ils devenir eux-mêmes « eucharistiques », et si possible dès-ici bas ? Car finalement, si la communion au corps et au sang du Christ -réellement présent dans l’eucharistie- nous fait « demeurer en lui », ça devrait se manifester dans notre vie, au point que même les autres devraient pouvoir le remarquer.

Quand on relit tout ce chapitre 6 de saint Jean, on pourrait baliser ainsi le cheminement du chrétien eucharistique : partir de la nature respectée, œuvrer dans la culture sous toutes ses formes et participer pleinement au culte qui culmine justement dans l’eucharistie.
Vous vous en souvenez ! La promesse de l’eucharistie a commencé par ce qu’on appelle la multiplication des pains.
Le pain -et le vin évidemment-  y compris à la messe, c’est d’abord le fruit de la nature. On le sait bien, à l’heure de la moisson, de la vendange …ou de la sécheresse. D’ailleurs Jésus avait rassemblé les foules au bord du lac et il fit asseoir les gens, dit l’évangile, « là où il y avait beaucoup d’herbe ». L’état d’esprit eucharistique commence par un certain regard contemplatif sur la nature, une certaine mentalité écologique, un respect des biens de la terre. Le pape François nous le rappelle dans son encyclique Laudato si : « L’eucharistie est source de lumière et de motivation pour nos préoccupations concernant l’environnement. Elle nous invite à être gardien de toute la création. » (no 236).

Et puis il y a évidemment la culture, au sens premier du terme : cultiver la terre et gérer ses richesses pour les mettre au service des hommes, de tous les hommes.  Pour nourrir les foules comme pour célébrer l’eucharistie, il faut le pain « fruit du travail des hommes et des femmes. » D’ailleurs Jésus a aussi dit à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Et pour accomplir son miracle, il a eu besoin des cinq pains d’orge et des deux poissons qu’un enfant à bien voulu offrir pour les partager.
Vous aurez aussi remarqué que les disciples sont mis à contribution pour la suite de l’évènement, y compris pour ramasser les morceaux qui restaient afin que rien ne soit perdu.

Il faut donc étendre le principe de culture à tout ce que les hommes font à partir de la nature, par le travail sous toutes ses formes, y compris par les arts, les sciences, les techniques les engagements socio-politiques, etc…
Mais à condition que tout cela respecte la nature, favorise la solidarité et organise le partage, avec priorité pour celles et ceux qui sont encore victimes des injustices et des inégalités.

Rien n’est plus contraire à l’eucharistie qu’une société où les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Le consumérisme à outrance, le pillage et le gaspillage des biens de la terre, le matérialisme arrogant : voilà l’ennemi. Une fois de plus, le pape nous le rappelle. Il nous presse de passer de la culture des déchets à la culture du partage. En somme : à la table eucharistique.

Je n’oublie pas le culte, à savoir la vie spirituelle, qui culmine dans la liturgie, à commencer par l’eucharistie. Là tout se rassemble, se noue et s’offre dans le divin et humain sacrifice. Quand nous nous rassemblons pour la messe, nous prenons avec nous la nature cosmique, nous portons en nous et avec nous toute l’humanité en quête de justice et de paix, nous constituons l’Eglise universelle autour de Jésus mort et ressuscité.

L’eucharistie épouse toutes ces dimensions. La nature est au rendez-vous, car, dit le pape, « l’eucharistie est en soi un acte d’amour cosmique ». La culture brille aussi sous toutes ses facettes, y compris dans les scintillements de la beauté esthétique, et le vrai culte pascal est re-présenté « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Avons-nous conscience de tout cela ? Sommes-nous disposés à nous investir, dans la société et dans l’Eglise, pour que cette riche alliance de tant de beaux mystères soit plus visible, plus crédible, plus fraternelle, plus désirable ?
Sommes-nous prêts à devenir davantage eucharistiques ?
Claude Ducarroz