vendredi 2 avril 2010

Méditation du Vendredi Saint

Vendredi Saint 2010


Voici !
Dans le récit de la Passion de Jésus que vous venez d’entendre, il y a quatre fois le mot « Voici » pour désigner des personnes.
« Voici l’homme et voici votre roi », c’est signé Pilate sur son trône.
« Voici ton fils et voici ta mère », c’est signé Jésus sur la croix.

Le disciple bien aimé, présent sur place, nous a rapporté cela en écrivant son évangile.
Rien à voir avec un journaliste reporter. Ces notations sont éminemment symboliques.
Elles sont destinées à l’Eglise, et donc à nous. Chacun de nous peut dire en les entendant aujourd’hui : « J’y suis aussi ! Me voici ! »

Voici l’homme !
Voici votre homme. Prenez-le, faites-en ce que vous voulez.
Quel homme ? Jésus de Nazareth, évidemment. Mais dans quel état ? « Alors Jésus sortit, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre ».
Cet homme, oui, mais aussi tout homme.
Sur ce visage est gravée la synthèse de toutes les souffrances humaines, et d’abord celles que nous nous infligeons les uns aux autres par nos violences physiques et morales, mais aussi par nos mépris, par nos haines, par toutes les formes d’exclusion.
Dans ces yeux de silence et d’imploration scintillent tant d’innocences bafouées, tant de questions sans réponses, tant d’appels à la justice et à l’amour, qui hélas ! finissent par se noyer dans le sang de nos indifférences et de nos lâchetés.
Voici l’homme ! Pas celui qui est sorti tout neuf et tout beau des mains créatrices par amour, celui que Dieu avait façonné à son image et ressemblance, mais l’homme tel que nous l’avons fait ou plutôt refait et souvent défait, à l’image du pire qui peut surgir en nous, comme on griffe ou déchire le plus beau des tableaux.



Voici votre roi !
C’était une ironie sans finesse pour désigner ce pauvre hère couronné d’épines, un roseau en guise de sceptre, une cour qui crie : « A mort ! Crucifie-le !».
Et pourtant c’est bel et bien lui, notre roi, le Christ Roi.
Avec obstination, avec entêtement, son règne d’amour continue de creuser son sillon à travers l’histoire si ambiguë, dans les aléas de son Eglise si imparfaite, dans les soubresauts de nos cœurs si rebelles. La royauté du Christ, faite de lavements des pieds, de miséricordes, de baptêmes, d’eucharisties, de pardons et des autres sacrements : elle continue d’irriguer nos vies, nos communautés d’Eglise et jusqu’aux déserts de notre humanité en quête de sens et de tendresse.
Regardons-là, cette royauté, toujours offerte dans l’humilité de tant de signes et toujours rayonnante dans la sainteté de tant de petits gestes. Elle nous apprend sans cesse, d’une manière prophétique, que toute autorité doit être service, que toute puissance doit être générosité, que toute vraie victoire ne peut être que le fruit d’un plus grand amour.




Voici ton fils !
C’est le fils, le fils éternel du Père, qui parle ainsi dans un dernier souffle, la Parole faite chair en voie d’extinction, qui s’adresse à sa mère en l’appelant « Femme ». Et pour quoi faire ? Pour lui confier ses disciples à travers le disciple bien aimé, pour lui remettre le lourd cadeau de l’Eglise, lui qui précisément avait dit un jour à Marie et aux gens de sa famille : « Et qui sont mes frères et sœurs, et ma mère ? Ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. »
Désormais, là, au pied de cette croix, les nouveaux frères et sœurs de Jésus sont constitués en famille, comme enfants du même Père qui est aux cieux. Mais -suprême tendresse- nous sommes aussi les chéris de la même mère, la femme Marie, dans le fécond engendrement de la rédemption, juste avant que s’ouvre le cœur du grand frère pour le baptême de l’Eglise dans le sang et l’eau répandus « pour vous et pour la multitude ».
L’Eglise devient cordiale, l’Eglise devient mariale.


Voici ta mère !
Voici donc l’Eglise, celle qui a reçu tous les cadeaux, pas pour elle seule, mais pour toute l’humanité. Comme des trésors mis à disposition de tous, à commencer par les plus pauvres, ceux qui ont le plus besoin d’être aimés maternellement, peut-être justement parce qu’ils ne sont pas toujours aimables.
« Tout est achevé » parce que tout est accompli. Tout est accompli parce que tout est donné. Il a tout remis entre nos mains indignes, à condition qu’elles deviennent simplement mendiantes, avec humilité mais sans humiliation. Que des cadeaux : sa vie par amour, son Esprit pour qu’il y ait du vent divin dans nos voiles d’Eglise, son corps et son sang eucharistiques, et même Marie, une femme, pour qu’il y ait au milieu de nous une mère au cœur universel comme le sien. « A partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. »

Voici !
Deux fois par Pilate, deux fois par Jésus. Dans cet affrontement entre deux pouvoirs, celui de la force et celui de l’amour, ce n’est pas match nul, ce n’est pas deux à deux. Car l’homme –tout homme-, le roi –le Christ Roi-, la femme éplorée au pied de la croix et l’Eglise-disciple qui recueille l’eau et le sang : tout cela, tous ceux-là sont des promis à la résurrection. Juste un peu de patience. La rumeur de Pâques monte déjà à l’horizon, qui va tout faire basculer dans la victoire de la vie par amour. Un seul gagnant, pour nous, avec nous, quatre à zéro : le crucifié ressuscité.

Claude Ducarroz
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