Homélie du 3ème dimanche de Carême
Dimanche dernier, tout baignait dans l’huile. Jésus et les apôtres Pierre, Jacques et Jean évoluaient dans un nuage. Ils étaient entourés d’une éclatante lumière. Sur la montagne de la transfiguration, l’ambiance était si merveilleuse que Pierre voulut y dresser trois tentes pour demeurer là-haut, après avoir poussé cette exclamation de bonheur : « Maître, comme il fait bon être ici avec toi ! »
Mais aujourd’hui, ça se gâte. Le quatuor ébloui est redescendu de la montagne. Les voilà à Jérusalem, et pas n’importe où : dans le Temple lui-même. Et ça va se passer très mal. En voyant qu’on avait fait du Temple une caverne de trafic, Jésus se fâcha, fabriqua lui-même un fouet et chassa les vendeurs ainsi que leurs animaux, non sans avoir jeté par terre les comptoirs des commerçants et la monnaie des changeurs. Bonjour l’ambiance !
Jésus n’appartenait pas à la caste des prêtres qui officiaient dans le Temple. Il n’était pas non plus membre du groupe des Pharisiens qui veillaient scrupuleusement sur l’application exacte de la loi avec ses 613 commandements et préceptes. Jésus de Nazareth était un libre prophète, conscient d’être envoyé par Dieu son Père pour annoncer la proximité d’un royaume d’amour, de justice et de paix.
S’il eut maille à partir avec les autorités de son temps, il se dévouait sans relâche au service du petit peuple, en inventant pour lui –et surtout pour les pauvres, les pécheurs, les malades et les exclus- des signes de miséricorde et d’accueil. « Quels signes peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ?», lui criaient les patrons du Temple. Mais les braves gens montraient une tout autre réaction : « Beaucoup crurent en lui à la vue des signes qu’il accomplissait. »
Et au milieu de cette polémique, il y a cette phrase énigmatique : « Le Temple dont il parlait, c’était son corps. »
Il nous faut méditer de plus près sur ce passage du Temple au corps. Pour un juif pieux, le Temple était ce qu’il y avait de plus sacré au monde. C’est là que, mystérieusement, Dieu résidait au milieu de son peuple. C’est là que se déroulaient les liturgies solennelles, avec des sacrifices sanglants et d’innombrables offrandes, d’où la présence de nombreux marchands. C’est là que les familles juives –comme le firent Joseph et Marie avec Jésus lui-même- doivent venir accomplir les devoirs imposés par la loi.
Or Jésus va bouleverser tout cela. La présence de Dieu en ce monde, elle réside désormais en lui, dans sa personne, plus précisément dans son corps lui-même puisqu’il est le Verbe fait chair.
Le culte véritable, il l’offrira sur la croix en s’offrant lui-même par son corps livré et son sang versé, signes de l’amour parfait pour son Père et pour nous.
Le nouveau peuple de Dieu ne se rassemblera plus dans un Temple de matériaux périssables, mais par la foi, l’espérance et l’amour qui réunissent ses disciples, jusqu’à en faire son corps communautaire, l’Eglise.
Désormais, tout tourne donc autour du corps, d’un corps. Le corps du Christ, lieu physique de la présence de Dieu, et l’Eglise, lieu mystique du rassemblement des croyants en un seul corps dans un seul Esprit.
Concrètement, où pouvons-nous aujourd’hui expérimenter cela, si c’est bien ce que Jésus ressuscité a mis en place pour le nouvel Israël que nous sommes ?
La réponse est évidente : c’est l’eucharistie.
Là, le Christ se rend présent au milieu de nous, jusque et y compris par son corps, celui du crucifié désormais ressuscité, d’où l’expression : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Prenez, mangez, prenez, buvez… »
Pour vivre cela, pour le célébrer et l’accueillir, il faut faire corps avec Jésus, il faut se rassembler pour faire Eglise, son corps social dont nous sommes les membres. Et comble de corporéité, c’est dans un « corps à corps » que s’opère la communion. Le corps sacramentel du Christ est offert à chacun de nous dans l’acte de manger. Son corps investit mon corps pour me combler de son Esprit. L’eucharistie a une physique pour devenir une mystique.
Une telle assomption du corps, une telle promotion du corps ne peut que se refléter dans l’ensemble de la vie chrétienne. Tout mépris du corps est anti-chrétien.
* Ce n’est pas pour rien –et pas pour rire- que Dieu lui-même a pris un corps dans le Christ, Jésus de Nazareth, né d’une femme. * Ce n’est pas pour s’amuser que le Christ est ressuscité en nous promettant de ressusciter à notre tour à sa suite, ce qui sera la plus belle exaltation de notre corps dans la gloire de Dieu.
* Ce n’est pas pour badiner que l’Eglise a reconnu dans la rencontre cordiale -mais aussi physique- de l’homme et de la femme un sacrement, autrement dit une alliance sacrée à partir d’une sexualité positive et même très belle quand elle s’exerce dans un véritable amour réciproque et respectueux.
* Ce n’est pas en vain que Jésus nous invite à secourir les pauvres et les malades, en nous disant que lorsque nous leur faisons du bien dans leurs corps brisés c’est lui-même que nous touchons, soignons, aimons en eux.
Passer du Temple au corps, comme Jésus l’a proclamé dans le Temple de Jérusalem, c’est une révolution religieuse dont nous n’avons pas encore mesuré toutes les conséquences et implications, y compris dans cette cathédrale.
Regardez là-haut, sur la barre qui marque l’entrée du chœur. Le corps du Christ est exposé dans l’acte nu de son sacrifice d’amour. Il nous regarde encore du haut de sa croix. Et le texte, en latin, marqué sur la poutre, dit l’essentiel, tiré de la première épître aux chrétiens de Corinthe, une ville des cultes les plus extravagants et des débauches les plus avilissantes : « Vous avez été bel et bien achetés d’un grand prix. Portez et glorifiez donc Dieu dans votre corps ». Oui, dans votre corps !
Quel beau programme !
Claude Ducarroz
dimanche 11 mars 2012
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