vendredi 4 octobre 2019

Jacques Loew: de conversion en conversion

Jacques Loew : de conversion en conversion
Il fait partie de ceux qu’on a appelé « les grands convertis du XXème siècle ». Et sa vie est bel et bien allée de conversion en conversion.

Un enfant gâté et un grand vide
Cet homme avait tout pour être heureux. Fils unique d’une famille de médecin, entre le soleil de Nice et les études de droit à Paris, il se découvre à 24 ans « complètement athée…puisque avant sa naissance rien n’existe pour l’homme et après sa mort rien n’existe non plus ». Un athéisme hédoniste, avec un grand creux à l’intérieur. Un séjour en Suisse –à Leysin exactement – pour cause de maladie sera un peu son chemin de Damas, complété par quelques jours à la Chartreuse de la Valsainte (Gruyère). La beauté de la nature l’a conduit à l’orée de la foi, le témoignage des moines en pleine eucharistie planta en lui cette question décisive : « Ou bien ces hommes sont fous ou bien c’est moi qui suis aveugle ». Il prie, il médite l’Evangile. Il entre alors dans l’univers de la foi par la porte royale de l’Amour de Dieu. Encore devait-il « avaler l’Eglise, » lui qui avait été placé à la catéchèse protestante pour qu’il échappât aux griffes des curés. Finalement, il est resté là où l’on pouvait dire en vérité les paroles de l’eucharistie, dans l’Eglise catholique, malgré ses lourdeurs historiques.

La ferveur du néophyte
Re-né dans la foi au Christ vivant et dans la communion de l’Eglise, le jeune converti s’annonce chez les Dominicains en 1934. Il goûte à fond la théologie thomiste, il devient prêtre en 1939, sans se douter qu’une nouvelle conversion l’attendait.
L’Eglise de France était alors soulevée par une volonté de nouvelle évangélisation en milieu ouvrier. Entraîné par le Père Lebret, fondateur de Economie et Humanisme, Jacques Loew devient le premier prêtre-ouvrier à Marseille. Ce fils de la bourgeoisie partage la vie des dockers. Dans la solidarité sur les quais, Jacques Loew prend conscience de plusieurs misères dans ce peuple : la violence de l’injustice, le manque de considération, de tendresse, de sens à la vie. Treize ans durant, sa vie de prêtre sera intimement mêlée à celle des prolétaires. Deux rencontres vont illuminer cette recherche et cette expérience originales. En 1942, c’est un premier contact avec Madeleine Delbrêl, elle-même convertie, qui s’était installée en banlieue rouge de Paris, à Ivry, pour témoigner de l’Evangile en pleine pâte marxiste. Autre contact fécond en 1951 : la rencontre avec Mgr Montini à Rome, le futur pape Paul VI, toujours sympathisant des initiatives pastorales venues de France.

« Douleurs et déchirements »
1954. Un couperet tombe de Rome. Il est mis fin brutalement à l’expérience des prêtres-ouvriers. S’ouvre alors une grave crise provoquant des réactions en chaîne parmi les premiers concernés. Des prêtres quittent le ministère pour demeurer avec les ouvriers, d’autres finissent par obéir, la mort dans l’âme. Le Père Loew réagit par une résilience douloureuse mais positive. Il a l’intuition qu’il faut inventer autre chose pour garder la solidarité avec le monde ouvrier tout en évitant les pièges d’une sécularisation politique du ministère. En 1955 déjà, il fonde la Mission ouvrière saints Pierre et Paul, la MOPP. Dans les milieux populaires, il lance des équipes à forte densité évangélique. Partage de vie avec les plus pauvres, intense animation spirituelle et liturgique, sauvegarde du lien avec l’Eglise : de telles mini-communautés sont fondées aux quatre coins du monde, dans ces périphéries devenues chères au pape François. La MOPP, c’est la réponse prophétique, mais aussi ecclésiale, à l’épreuve de l’interdiction des prêtres ouvriers en France. Un rebondissement réussi, une nouvelle conversion.

Et puis vint le concile Vatican II
A l’affut des besoins de l’Eglise en ses profondeurs, le Père Jacques Loew a l’intuition que l’avenir du concile se joue au niveau d’un retour aux fondamentaux de la vie chrétienne. A partir de la redécouverte catholique de la Parole de Dieu –désormais largement diffusée dans et hors de la liturgie-, il faut constituer de nouveaux levains d’évangile pour la pâte humaine et ecclésiale. La mission se fera à partir de petites communautés-signes, ce qui correspondait d’ailleurs à l’évolution en cours parmi les institutions religieuses. Les grandes structures se fractionnent en mini-communautés. Encore faut-il les accompagner et les nourrir. C’est la fondation de l’Ecole de la foi à Fribourg dont la théologie universitaire offrait une opportunité de formation plus sereine qu’en France. Nous sommes au lendemain de 1968.
Durant 35 ans, fidèle au projet de son fondateur, l’Ecole de la foi a formé près de 2000 « disciples » -expression chère à Jacques- appelés à répandre ensuite cette bonne nouvelle à travers 75 pays de notre monde. Quelle nouvelle ? Un enseignement  biblique et théologique très sérieux, une vie spirituelle et liturgique savoureuse et surtout une vérification de l’acquis dans les profondeurs d’un fort partage communautaire en des petites équipes internationales. Ces trois piliers ont constitué la marque de fabrique pour les protagonistes de l’Ecole de la foi. Aujourd’hui encore, des laïcs, des religieux/ses et des prêtres en témoignent avec bonheur. Si l’Ecole de la foi de Fribourg a dû malheureusement cesser ses activités en 2006, une Ecole de la foi à Yamoussoukro a pris le relais maintenant en Côte d’Ivoire.

Les dernières conversions
Pas facile pour un fondateur de laisser son œuvre entre d’autres mains. Le Père Loew l’a fait pour la MOPP en 1973 déjà et en 1981 pour l’Ecole de la foi en la confiant à un couple diaconal, Noël et Josiane Aebischer. Il a pu alors s’adonner au rayonnement de sa brillante intelligence à travers des voyages et des prédications un peu partout dans notre monde, y compris au Vatican. De nombreuses publications constituent encore la richesse de son influence parmi nous. Encore fallait-il qu’il se préparât au grand départ. Ce ne fut pas simple…encore une conversion ! D’anciens désirs remontaient à la surface de son âme. La vie communautaire en monastère ? La vie érémitique dans la solitude ? Ce fut une recherche personnelle laborieuse. Cîteaux, Tamié, des ermitages dans les Pyrénées, il finit par trouver son ultime nid spirituel parmi les moniales trappistines d’Echourgnac, dans le Périgord. C’est là qu’il se remit entièrement à Dieu, le 14 février 1999 à l’âge de 91 ans.

Les traces vives d’un passage fécond
Quel bilan d’une telle aventure humaine et chrétienne, qui puisse continuer de nous édifier aujourd’hui ? Dieu seul le sait. Mais il nous reste des traces encore signifiantes pour nous. Ce qui aurait pu devenir banal est devenu une aventure parce que Dieu a écrit droit sur les lignes courbes de cette vie.
D’abord la foi. Elle ne fut pas un héritage, mais une redécouverte, une irruption à partir du vide. Dans une société de plus en plus sécularisée, les croyants par tradition ou par héritage sont de moins en moins nombreux. Comme Jacques Loew, nos contemporains sont ou seront de plus en plus des commençants ou des recommençants. Relire Jacques Loew, donner la main à un tel grand frère ne peut qu’encourager tous les novices de l’Evangile.
Une fois reconnu le visage humain et divin de Jésus de Nazareth au terme d’un voyage intérieur, c’est encore une autre histoire qui commence, la rencontre inévitable avec une Eglise fort imparfaite. Par les temps qui courent, il semble que les distances d’avec l’Eglise soient plus spontanées que les communions avec cette institution d’apparence humaine, trop humaine. Dans l’itinéraire de Jacques Loew, des rencontres personnelles ont compté davantage que les prestiges historiques des structures.  Où sont de nos jours ces témoins significatifs qui peuvent conduire fraternellement jusqu’au cœur du mystère de Jésus ? Ne sommes-nous pas tous invités, malgré nos faiblesses, mais dans la transparence de quelque béatitude évangélique, à servir de relai pour tant de cœurs assoiffés d’amour ouvert sur la vraie vie ? Aujourd’hui comme hier.
Quand l’homme et le chrétien finissent par coïncider, comment choisir sa voie pour avancer sur le chemin du salut ? Il faut avoir un cœur accroché à l’espérance, car l’itinéraire peut réserver bien des surprises. Encore faut-il avoir la souplesse de plusieurs vocations successives, car naviguer avec Dieu n’est jamais chose tranquille. On n’est pas chrétien pour enchaîner les siestes.
 Comment réagir quand le vent souffle violemment dans l’arbre de l’Eglise ? Se cramponner aux grosses branches. Autrement dit sans cesse revenir à Celui qui est le chemin, la vérité et la vie. Et donner la main à d’autres laissés pour compte au bord de la route. Le bourgeois Jacques Loew, finalement, a toujours préféré la fréquentation des pauvres et des derniers pour découvrir le lieu humain et ecclésial où Dieu lui donnait rendez-vous. C’est dans cette proximité qu’il a trouvé les terrains de sa mission en même temps que le bonheur d’être homme. Et aussi la véritable Eglise de Jésus, autrement dit là où bat le cœur eucharistique du Christ et là où souffle le vent imprévisible de l’Esprit.

Ultime parole, ultime silence
Enfin, il n’y a de transmission qui aide à vivre, que celle qui s’offre à partir d’une vie entièrement donnée. Jacques Loew, s’est beaucoup donné, mais pas sans peine. Les virages de son parcours sinueux ne furent pas  négociés sans hésitations ni souffrances. Trouver le terrain d’atterrissage final pour déposer son destin dans les mains de Dieu fut une quête ardue. On ne se quitte jamais sans arrachements quand il s’agit de se laisser absorber par l’Amour majuscule, jusqu’au bout. Le dernier mot fut son silence, à l’ombre des monastères de contemplation, quand  tout est déjà dit, quand il ne reste plus qu’à offrir le dernier sourire, le dernier soupir. Après avoir vécu tant bien que mal avec  Jésus au milieu des hommes, nul ne peut faire l’économie de mourir un peu comme lui, avant de passer dans la Pâque avec lui. Alors les grandeurs des extrêmes diminutions se superposent aux grandeurs des plus fécondes croissances pour former l’ultime sacrifice eucharistique. Pas seulement mourir en communiant, mais aussi communier en mourant Ou, selon Jacques, …comblé de n’être jamais rassasié de te désirer, et de commencements en commencements, par des commencements sans fin, j’irai ».

                                                                                  Claude Ducarroz
Pour mieux connaître la personnalité, l’oeuvre et les écrits de Jacques Loew, on peut relire  Le bonheur d’être homme – Entretiens avec Dominique Xardel  Editions du Centurion 1988

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