Entre bœuf et cheval
Quelle horreur ! On a mis du cheval à la place du bœuf. Et sans nous demander ce qu’on en pensait. Notre assiette en est toute retournée. Et toute l’Europe aussi. La Suisse avec, pour une fois. On est enfin uni… dans l’indignation gastronomique.
Je le reconnais : ce n’est pas bien de tromper ainsi ses clients. Les échanges humains, même ceux qui passent par l’estomac, exigent une stricte loyauté, gage de la confiance. Il faut taper sur les doigts de ces menteurs et leur faire promettre de ne jamais recommencer. Vlan !
Mais sachons raison garder. Il n’y a ni feu au lac ni danger pour la santé. Car le cheval, n’était-ce sa charge symbolique, est aussi bon que le bœuf pour nourrir les humains. Surtout quand ils ont très faim. En plus, c’est meilleur marché, mais il ne faut pas trop le dire : ça pourrait les encourager à récidiver, les valseurs d’étiquettes, pour se faire du fric en catimini.
Devant l’ampleur du scandale -vous pensez, nous tromper sur la marchandise, même sans aucun dommage réel !-, je me permets de penser à autre chose. Ou plutôt à d’autres personnes.
Il y a dans notre monde, pendant que nous auscultons au microscope nos raviolis, spaghettis et autres mets à la viande hachée, oui, il y a des millions de pauvres humains –et parmi eux des enfants- qui regardent avec désespoir leur assiette vide. D’ailleurs la plupart n’ont pas d’assiette du tout. Et surtout rien à manger, ou si peu. Comme ils souhaiteraient avoir dans leurs mains tendues et dans leur estomac qui crie famine un peu de bœuf ou de cheval, c’est égal. Mais au moins quelque chose pour survivre. Ils ne sont pas gourmands : ils voudraient seulement vivre.
On me dira : le grand malheur des uns ne justifie pas le petit malheur des autres. C’est vrai. Mais peut-on encore appeler injuste malheur, énorme scandale une affaire de bouffe mal étiquetée, même pas avariée, quand le vrai malheur et l’inadmissible scandale sont ailleurs : que des humains comme nous aient faim, au point d’en être malades, jusqu’à en mourir ?
Seulement voilà : c’est ailleurs, là-bas, très loin, même si, presque tous les soirs, ils viennent nous rendre visite dans notre salon par la télévision ou l’internet, juste avant que nous passions à table.
Pour manger du bœuf qui est peut-être du cheval. Quelle horreur !
A propos : c’est quoi l’horreur ? C’est où ?
Claude Ducarroz
Voir www.cath.ch
mardi 19 février 2013
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