Homélie
1er dimanche de Carême
C’était au cours d’une visite de la cathédrale. Au bas du vitrail de l’épiphanie –qui illustre la scène biblique de la visite des mages-, l’artiste Josef Mehofer a représenté le massacre des innocents par le roi Hérode le Grand. Le cruel despote est conseillé d’une part par la mort –un squelette plutôt repoussant- et d’autre part par le diable qui donne le bras à un magnifique serpent, le symbole habituel du mal et du Malin. Et comme je faisais remarquer à une pieuse religieuse que ce serpent me semblait particulièrement beau, et même attirant, elle me répondit : « C’est vrai ! Mais justement, c’est là le problème ! » Elle avait tout compris de ce qu’est la tentation.
D’après l’Evangile de ce jour, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit-Saint. Très bien ! Or c’était pour qu’il soit mis à l’épreuve par le démon. Cette étrange collaboration pose question. La tentation, certes, n’est pas encore le mal. Mais elle peut y conduire. La beauté du serpent est parfois séductrice.
Comment traduire la demande du Notre Père : Ne nous laisse pas succomber à la tentation ? Ne nous soumets pas à la tentation ? Ne nous induis pas en tentation ? Ne nous conduis pas jusqu’à la tentation ? Les exégètes s’arrachent encore les cheveux pour proposer une traduction correcte. Si l’on retient la leçon des tentations du Christ, la tentation serait plutôt une épreuve à laquelle tout homme est soumis, au risque qu’il se coupe de Dieu et se laisse séduire par le désir de vivre sans Dieu ou avec un dieu selon ses propres vues.
On peut aussi dire : une mise à l’épreuve pour faire la preuve.
Jésus lui-même, dans sa pleine humanité, a voulu passer par là. Ne soyons donc pas étonnés d’y être confrontés, nous aussi. Pas de panique, s’il-vous-plaît !
Le démon s’adapte toujours habilement à celui qu’il veut tenter. On le voit très clairement dans le cas de Jésus de Nazareth, le Messie et le Sauveur, au moment où il va commencer son ministère de prédicateur de l’Evangile.
Il jeûne, il a faim : le pain facile. Il sera reconnu comme le Seigneur : tous les royaumes de la terre d’un seul coup à ses pieds. Le fils de Dieu, tout rempli de la puissance divine : l’exploit d’un merveilleux miracle personnel. Tout cela à coups de citations bibliques et à condition de faire allégeance au fameux serpent, le si beau problème.
Et Jésus résiste. Pas en fuyant, mais en affrontant le diable. Il a en lui la force de l’Esprit. Il recourt à la Parole de Dieu. On peut imaginer qu’il priait intensément le Père.
Ce même Esprit, il nous l’a donné et souvent redonné à partir du baptême. Cette même Parole de Dieu, elle est à notre disposition, personnellement et en Eglise. Cette même prière, à la manière d’un enfant en danger qui s’adresse à son père, nous pouvons sans cesse l’exprimer à Dieu.
Nous sommes entrés en Carême. C’est un temps de tentation, d’épreuve, mais en vue de la conversion et finalement de la victoire pascale.
Concrètement, comment traverser nos épreuves en forme de tentation ? Si l’on regarde à nouveau l’évangile de ce jour, les rendez-vous sont les mêmes. En fait, il y a deux fausses manières d’envisager ce combat.
* On peut évidemment succomber immédiatement à la tentation, se coucher aussitôt devant celui qui nous tend des pièges. Il a gagné et l’affaire est réglée, pour notre malheur.
* On peut aussi voir du mal partout et finir par ne plus vivre en humain sur une terre maudite et se retirer du monde, comme si l’on pouvait se retirer de soi-même par un souci radical d’une pureté inaccessible. La solution est ailleurs : user sans abuser, tout faire passer dans l’ardent creuset de l’amour authentique.
* Par exemple l’avoir. On peut en faire une obsession -toujours plus, à tout prix- au point que l’argent ou ce qu’il permet d’acquérir devient un dieu qu’on adore, et qui finit par nous enchaîner. On peut aussi faire de ses biens, grands ou petits, une occasion de partage, de solidarité, de relations : en un mot, d’amour partagé, sans tomber dans la misère.
* Et le pouvoir. On peut en faire une occasion de domination jusqu’à l’esclavage, dans la violence ou, plus subtilement, dans le conditionnement qui manipule l’autre. On peut aussi en faire un service du bien commun, quand le pouvoir devient une autorité, autrement dit le rayonnement d’une personnalité qui s’investit pour aider l’autre à grandir. Et il faut de telles autorités pour que fonctionne une société vraiment humaine.
* Le savoir aussi. C’est magnifique, le savoir, que ce soit la science ou la sagesse. Mais on peut aussi, à coup d’orgueil, estimer alors qu’on peut se passer de Dieu, croire qu’on se suffit à soi-même, ce qui conduit souvent au mépris des moins savants ou des plus faibles, comme s’ils étaient des sous-hommes, alors que nous sommes tous créés à l’image et à la ressemblance de Dieu.
* Enfin le jouir. Les bonnes choses de la vie, à travers l’exercice de nos sens, sont aussi des cadeaux de Dieu, qu’on aurait tort de mépriser. Mais nous savons par expérience que, si l’on en use sans modération, à la manière de gloutons égoïstes, elles provoquent des dégâts souvent irréparables, que ce soit dans nos relations, dans la nature et aussi en nous-mêmes. Il suffit de penser à l’écologie ou à notre santé.
Le Carême est un bon temps pour se poser ces questions. Pas dans un esprit chagrin comme s’il fallait être un saint triste pour être un saint. Je me souviens de la remarque d’un ami qui me disait de quelqu’un : « On le croyait saint. Il n’était que maigre. » Non ! Vivons ce Carême dans un esprit de libération qui nous permette de mieux respirer notre humanité sans les grippes, rhumes et bronchites du péché qui abîment notre santé spirituelle.
Finalement, c’est toujours une question d’amour.
Un avoir pour partager avec les autres. Un pouvoir pour servir les autres. Un savoir pour élever les autres. Un jouir pour épanouir, soi et les autres.
Que le Christ des tentations, celui qui les a éprouvées vraiment pour les surmonter vaillamment, nous aide sur cette route de croissance qui rayonne déjà des lueurs de Pâques.
Claude Ducarroz
samedi 16 février 2013
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