dimanche 21 avril 2013

Homélie pour les 25 ans de Bethraïm / Lausanne


Homélie
25 ans de Bethraïm
(maison d’accueil pour personnes en grandes difficultés)

« Ainsi, l’aspect du ciel, vous l’interprétez bien, mais les signes des temps, vous n’en êtes pas capables ! »
Ce reproche de Jésus aux Pharisiens et Saducéens de son temps, le concile Vatican II l’a entendu, et d’abord celui qui, il y a 50 ans, a lancé cette magnifique aventure dans l’histoire de notre Eglise, le bon pape Jean XXIII.
Je m’en souviens : lire et interpréter les signes des temps étaient devenus une sorte de slogan dans l’ambiance du concile. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle.

* Voir d’abord. Voir la situation telle qu’elle est, pas seulement sur l’épiderme des personnes et dans l’écume des évènements, comme savent si bien le faire et le vendre certains médias aujourd’hui. Voir en profondeur, au point que ce même concile a pu écrire en tête de la constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. »

* Voir. Et ensuite analyser. Car il ne suffit pas de constater. Il faut aussi comprendre. Les tristesses et les angoisses ont des racines enfouies dans le cœur des personnes et dans les structures de la société. Il faut avoir le courage de descendre dans les profondeurs, avec le scanner des vraies valeurs humaines, pour discerner les causes des souffrances liées à la violence, à l’injustice, à l’exclusion, sans oublier évidemment le péché.
* Voir et comprendre. Pas pour établir des statistiques ou écrire des bouquins de sociologie, même si c’est utile. Mais pour agir, au bénéfice des personnes éprouvées et sur les causes de leurs mal-être. Autrement dit : un regard qui alerte, des analyses qui mobilisent, un engagement qui transforme à la fois la manière d’être de la personne et les conditions de vie dans la communauté humaine.

Finalement, quand on relit, comme aujourd’hui, l’évangile du bon pasteur, n’est-ce pas ce que Jésus a voulu et fait ? Voler au secours de la brebis perdue en allant la chercher là où elle est, en l’accueillant telle quelle est -ou plutôt telle qu’elle est devenue. La connaître, au sens biblique du terme, au point de vouloir l’aider à naître, à renaître, et nous avec, dans une pastorale –c’est le cas de le dire- toute imprégnée de la lumière et des énergies de la Pâque. « Je connais mes brebis, mes brebis me connaissent », dit Jésus. La pastorale de proximité et d’amitié.
Et puis cette exigence incontournable, si l’on veut que les brebis, surtout celles qui se sont perdues en route, écoutent la voix de leur vrai pasteur : « Je donne ma vie pour mes brebis. » Plus que de l’amitié purement humaine : l’amour qui va jusqu’au bout, comme le Christ, avec le Christ. Cet amour qui fait confiance à sa propre source, indiquée clairement : « C’est mon Père qui me les a données… Et personne ne peut rien arracher de la main du Père. »

Sincèrement, mais je le dis en même temps avec reconnaissance et humilité : c’est un peu cela que nous avons essayé de faire, ou plutôt de vivre, quand nous avons lancé Bethraïm, dans ce quartier, dans cette paroisse. Et ça dure depuis 25 ans : comment ne pas dire merci ?
* Nous avons osé voir, ce que beaucoup ne voulaient pas voir ou n’avaient pas le courage de regarder en face : la situation des personnes tentées et souvent marquées par la toxicomanie  -symptôme de détresse  intérieure-, qu’elles en soient les coupables et le plus souvent les victimes.

* Nous avons voulu chercher plus profond que les épiphénomènes qui déconcertent, dérangent et parfois révoltent. Il y a en tout être humain, surtout lorsqu’il n’arrive pas -ou plus- à mener sa barque dans une vraie liberté, un déficit d’amour, une erreur d’aiguillage, une béance spirituelle. Oui, un grave disfonctionnement dans ses relations avec lui-même, avec les autres et, il faut le reconnaître, avec Dieu qui l’a pourtant créé à son image et ressemblance. Et qui les aime toujours !

* Dès lors, nous avons désiré offrir, dans la gratuité d’une solidarité pleine de respect et aussi d’exigences, nos portes qui s’ouvrent, nos mains qui se tendent, nos visages qui sourient, nos cœurs qui accueillent, nos prières qui espèrent : en un mot, quelques brins d’amour pascal.

Bethraïm : la maison de la vie. Oui, vivre déjà du minimum vital, comme on dit. Et surtout vivre par l’amitié désintéressée, mais aussi active, car il faut encore trouver un sens à sa vie. Et savoir, quel que soit le point de départ, que le plus important, c’est le pas suivant sur la bonne route, celle de l’humanisation à l’image de la divine proposition de Jésus de Nazareth, parce que nous croyons à sa promesse : « Mes brebis, jamais elles ne périront, car personne ne les arrachera de ma main. »
Aujourd’hui, nous ne sommes pas là pour manier l’encensoir. Nous voulons simplement reconnaître le bout de chemin parcouru ensemble au service de nos frères et sœurs qui ont bénéficié de Bethraïm. Nous avons conscience que c’est une œuvre modeste, mais qui a tout son sens. D’autres aussi, heureusement, travaillent dans le même sens, même si c’est d’une autre manière. Nous leur disons aussi merci.

Et nous répétons notre reconnaissance pour celles et ceux qui, depuis les débuts jusqu’à ce jour, ont osé voir, ont permis de mieux comprendre et surtout ont agi et réagi afin que nous puissions passer aux actes dans des investissements d’amour accompagné de spiritualité.
 Il nous reste à demander au Seigneur de continuer à bénir cette œuvre qui, nous le croyons, vient d’abord de lui, comme un humble signe de son amour pour les pauvres, dans l’esprit insufflé actuellement par ce pasteur universel qu’est le pape François, lui qui veut d’abord une Eglise avec et pour les pauvres. Et qui nous envoie aux périphéries de l’humanité.
Continuons ensemble, avec le sourire de Notre-Dame !

Claude Ducarroz


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