Homélie
Dédicace de la cathédrale 2014
Ainsi donc, depuis sa consécration le 6 juin
1182 par l’évêque de Lausanne Roger de Vico Pisano jusqu’à aujourd’hui, une
église a toujours été, non seulement au cœur, mais le cœur de notre cité, et
dès le départ, sous le patronage de saint Nicolas de Myre.
Mais finalement, qu’est-ce qu’une église,
aujourd’hui, dans notre contexte social et religieux ? Je me suis posé la
question à la suite de deux expériences qui m’ont marqué.
* La première, c’était au Canada, exactement à
Shawinigan dans le Québec. Je croyais visiter une belle église moderne en forme
d’étoile présentée comme un sanctuaire évoquant le mystère de Noël. Et je suis
entré de fait dans un restaurant où l’on avait gardé des statues d’anges près
de l’entrée et même aménagé un bar du confessionnal.
* La deuxième expérience date du 9 août
dernier. Je visitais la charmante ville de Maastricht au sud de la Hollande.
J’entrai dans une grande église gothique près de la place centrale…et c’était
une vaste librairie, avec un coin pour le bar et la petite restauration dans le
chœur de cette église désacralisée et vendue à une chaine de librairies.
C’est dire combien les murs, fussent-ils sacrés
et consacrés, demeurent aléatoires dans leur utilisation et même fragiles dans
leur existence s’il n’y a plus d’Eglise dans l’église. Je veux dire s’il n’y a
plus de communauté chrétienne vivante –l’Eglise avec E majuscule- pour habiter une église, avec é minuscule.
Nous devons en être conscients dans le contexte où nous sommes, y compris chez
nous.
Il suffit de rappeler que lors d’une enquête
sérieuse de fréquentation de la messe dominicale le week-end des 15 et 16 juin
2013, on a certes recensé dans le décanat de Fribourg 69 messes célébrées dans
les églises et nombreuses chapelles, mais avec un total de 4825 pratiquants,
soit moins de 10% des catholiques déclarés, et seulement 6% chez les 20-30 ans
pour 36% chez les plus de 70 ans.
Ces chiffres ne sont qu’un reflet partiel de la
réalité chrétienne, qui, par définition, échappe à toute comptabilité. Et
peut-être faudrait-il élargir ce qu’on entend par Eglise avec majuscule, à
savoir le rayonnement du Christ et de l’Evangile chez les hommes et les femmes
qui, peu ou prou, en le sachant ou parfois sans le savoir, se réfèrent à eux
pour vivre humainement.
Je vois trois cercle s
poreux, à savoir des catégories qui n’ont ni barrières ni frontières, car on
circule entre eux suivant les circonstances de la vie.
* Il y a ceux et surtout celles qu’on appelle
les pratiquants fidèles et réguliers. Vous sans doute ce matin. Merci d’être
là. Sans ce noyau, même modeste en nombre, que deviendrait l’Eglise et que
deviendraient les églises ? Tant qu’il y aura des chrétiens avides de la
parole de Dieu, affamés de l’eucharistie, désireux de se retrouver souvent avec
d’autres pour faire communauté, alors la promesse du Christ sera encore vivante
et efficace au cœur de notre monde : « Là où deux ou trois sont
rassemblés en mon nom, je suis là au milieu d’eux ».
Car l’Eglise, c’est surtout là où des êtres
humains croient au Christ, viennent chercher dans les églises de quoi nourrir
cette foi et ensuite la mettre en pratique dans leur vie, même s’ils ne sont
pas et ne seront jamais des chrétiens parfaits. Comme le rappelle saint Paul
aux chrétiens de Corinthe : « Le temple de Dieu est sacré, et ce
temple, c’est vous ! »
* Mais, heureusement, l’Eglise déborde sans
doute cette première catégorie de convaincus fidèles et persévérants.
Il y a ces croyants intermittents, parfois
occasionnels, qui ont retenu l’essentiel de l’Evangile, même s’ils sont devenus
des clignotants de l’Eglise, parfois pour des raisons compréhensibles. Ils se
définissent eux-mêmes, en s’excusant un peu, comme des « croyants non
pratiquants ». Il faut les accueillir fraternellement quand ils viennent
encore, car la famille ecclésiale n’est pas faite seulement des meilleurs et
des purs –que nous croyons être parfois- mais aussi de ceux qui cherchent
encore du côté du Christ. Ils ont peut-être des difficultés avec l’Eglise -et
parfois notre Eglise-, mais ils trouvent dans les beaux restes de leur foi de
quoi mieux vivre, espérer et aimer.
Ils viennent parfois dans nos églises pour des
piqûres de rappel. Comme c’est important qu’ils s’y sentent bien, même s’il y a
des éclipses du côté de l’Eglise, afin de repartir réconfortés dans leur quête
d’un sens à leur vie du côté du soleil du Christ,. Finalement : tout comme
nous, et nous l’espérons, un jour peut-être : avec nous.
* Enfin il y a la frange de plus en plus
importante de celles et ceux qui se sont éloignés même de la foi, en étant
souvent très critiques à l’égard de l’Eglise. Ils ont éteint la lampe du
sanctuaire. Mais, sans le savoir, ou souvent sans l’avouer, ils profitent
encore des bienfaits du christianisme, parfois celui de leur enfance, dont ils
ont gardé une certaine mentalité et quelques réflexes de justice, d’amour et de
paix.
Sans le
dire ainsi, ils sont des humains aux couleurs chrétiennes, que ce soit par
l’état d’esprit, le système des valeurs ou tout simplement les bases de leur
culture.
Je les repère souvent dans les touristes ou
simplement les curieux de nos églises, chapelles ou monastères, qu’ils visitent
avec avidité. Ils cherchent des émotions esthétiques peut-être, mais aussi ils
recueillent volontiers des messages d’évangile qui peuvent les faire réfléchir
et bouger dans leur désir d’une meilleure humanité.
Je crois que nous devrions être plus attentifs
à ce genre de public et faire de nos églises des lieux d’évangélisation douce
par le rayonnement de leurs beautés, de leur ambiance sereine, de leur
chaleureux accueil.
Au cœur de nos églises, il y aura toujours, je
l’espère, l’écoute de la Parole de Dieu,
la célébration des sacrements et la joie de faire communauté dans
l’Esprit de l’Evangile. Mais peut-être faut-il aussi ouvrir nos cœurs et
déployer nos ailes vers de nouveaux « passants de la foi »,
« occasionnels de la prière », « alternatifs de la
liturgie », « désireux de l’ambiance des sanctuaires »,
« touristes de la beauté sacrée ». Ils doivent se sentir, à des
degrés divers et dans le respect de leur conscience, de la famille de Dieu, de
la maisonnée de l’Eglise.
Car nos églises ne sont-elles pas, finalement,
les vraies « maisons du peuple » ? De tout le peuple !
Claude Ducarroz
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