Il était une fois…l’eucharistie !
Chez nous, les statistiques de la vie
sacramentelle dans l’Eglise catholique sont en berne. On peut réagir en gérant
la pénurie. Le rappel d’un certain « parcours eucharistique » peut
aussi déboucher sur des réponses nouvelles face aux défis actuels. Claude
Ducarroz vous soumet quelques idées. Qu’en pensez-vous ?
C’était avant le
concile Vatican II
Mon père
était un chrétien dit « pratiquant ». Il assistait à la messe tous
les dimanches mais ne communiait que trois ou quatre fois par an. Notre brave
curé –très proche des gens- n’en attendait pas moins de lui, mais pas davantage
non plus. Les femmes, avec leurs enfants, étaient plus pieuses, un peu bigotes,
comme disaient certains hommes. Nous allions communier plus souvent. Il faut
comprendre ! Pour s’approcher de la table sainte, il fallait être
« en état de grâce » -comment le savoir ?- et respecter scrupuleusement
le jeûne eucharistique le plus strict. Conséquence : j’allais à confesse
chaque samedi -mes parents m’y envoyaient- et nous communiions au plus tard avant
la messe matinale de 7h.30. Bien entendu, à la grand’messe de 9h.30, seul le
prêtre communiait.
Puis vint Vatican II
Et
peut-être, un peu avant lui, le renouveau liturgique. Le jeûne eucharistique
fut assoupli, on commença à parler français pour les lectures, il nous était
enseigné que la messe comportait deux parties également importantes : la
liturgie de la parole et l’eucharistie à laquelle nous étions tous invités.
Plus question de courber « l’avant-messe », ce que faisaient certains
hommes en arrivant à l’église… pour l’offertoire. On comprit qu’il n’était plus
nécessaire d’aller à confesse avant chaque communion. Quelques pionniers –pas
très bien vus au départ- se mirent à communier durant la grand’messe, ce qui
devint peu à peu la norme sociale pour les pratiquants réguliers. L’Eglise
catholique, qui avait toujours insisté sur la valeur centrale de l’eucharistie,
tout en rendant sa réception plutôt rare chez ses fidèles laïcs, finit par
motiver de plus en plus les croyants dans le sens d’une réception fréquente,
presque habituelle, de la sainte communion. On avait retrouvé le goût et
l’audace de manger à la table du Seigneur. Avec cette évolution collatérale
inattendue : plus de communions, mais moins de confessions !
Et maintenant ?
On ne
s’attendait pas à un autre phénomène, qui nous frappe encore de plein fouet.
C’est la diminution drastique du nombre des prêtres en service effectif. Cette
raréfaction eut pour conséquence que les célébrations de la messe se firent de
plus en plus rares, surtout dans les campagnes. Là où l’on avait une messe
chaque dimanche –et parfois deux par weekend-, il n’y a plus qu’une eucharistie
chaque mois. Il est vrai que la diminution conjointe des
« pratiquants » conduit aussi à imposer cette relative pénurie
eucharistique.
Comment
gérer –un vilain mot- cette situation de nouveau « jeûne eucharistique »
pour d’autres raisons ? Dans un premier temps, on peut évidemment
concentrer les offres sacramentelles dans les centres les plus importants en
invitant les gens des périphéries à venir se nourrir spirituellement là où il y
a encore la célébration dominicale de la messe. Et puis, quand ce n’est pas
possible, on peut toujours se rassembler, grâce à l’animation de célébrations par
des diacres ou des laïcs bien formés, en semaine ou même le dimanche.
Dans cette
conjoncture, faut-il donner la communion « hors messe » ou faut-il
miser sur la seule rencontre de la communauté autour de la parole et dans la
prière ? On en discute dans les chaumières catholiques. On peut estimer
qu’il n’est pas théologiquement normal de promouvoir des célébrations de type
eucharistique en absence de prêtre, ce qui pourrait insinuer que l’on peut se
passer de prêtre du moment qu’on peut recevoir la communion sans lui. Il est
vrai qu’une telle pratique, si elle venait à entrer dans les mœurs catholiques,
pourrait mettre en danger l’indispensable ministère du prêtre comme rassembleur
de la communauté et président des liturgies eucharistiques.
Mais par
ailleurs continuer -à juste titre- de
souligner l’extrême importance de l’eucharistie dans la vie des chrétiens –
l’eucharistie « source et sommet de la vie chrétienne », dixit
Vatican II- en les privant trop souvent
de la communion, est-ce cohérent ? Une eucharistie sans prêtre, c’est peut-être
une situation de misère. Mais un rassemblement dominical sans eucharistie,
est-ce plus évangélique en contexte catholique ? Ceci dit sans diminuer la
valeur des liturgies de la parole quand elles sont bien préparées et bien
célébrées.
Perspectives possibles
Pour sortir
de cette impasse, qui met de nouveau des obstacles à la vie eucharistique
« normale », ne faudrait-il pas revoir, en parallèle, les conditions
d’accès au ministère de prêtre ? Je ne crois pas que renoncer au célibat
obligatoire pour accéder à l’ordination presbytérale soit une panacée. Mais je
suis sûr qu’une telle évolution est une partie non négligeable de la réponse à
la question eucharistique chez nous aujourd’hui. Nous connaissons tous des
diacres permanents et des laïcs qui, à vue humaine et chrétienne, pourraient
devenir d’excellents prêtres mariés, après discernement, formation, appel et
ordination évidemment. Sans compter peut-être des femmes, mais c’est une autre
question, j’en conviens. Et sur ces deux points, l’assemblée synodale suisse
s’était déjà montrée favorable en… 1972 !
Tant qu’on
n’aura pas rejoint nos frères et sœurs des Eglises d’Orient -y compris les
Eglises unies à Rome- sur la relation optionnelle entre la prêtrise et le
célibat, je crois que nous continuerons de « boiter »
eucharistiquement. J’estime que la théorie et la pratique catholiques,
tellement centrées sur l’eucharistie –Parole et Pain partagés- méritent bien un
tel ajustement de la discipline des ministères ordonnés, sans déprécier la
valeur du célibat librement choisi pour le Royaume des cieux, sans dévaloriser
non plus les services indispensables des diacres et des laïcs, hommes et
femmes. D’ailleurs ce sont souvent ces derniers qui demandent davantage de
nourriture eucharistique. Il ne faudrait pas les décourager d’avoir faim à
force de les priver, sans raison grave, du pain de la vie.
Claude
Ducarroz
Cette prise
position a paru dans le site cath.ch sous la rubrique « blogs »
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