Homélie 2015
Des mages ou des rois ? Pour l’évangéliste
Matthieu –le seul qui en parle-, ce sont des « mages venus
d’Orient ». Mais il est vrai que la qualité de leurs cadeaux –de l’or, de
l’encens et de la myrrhe- pourrait leur conférer quelque dignité royale. Et
puis la liturgie les met en relation avec un texte d’Isaïe (ch. 60) et avec le
psaume 71 qui parlent de rois venus de loin apporter des offrandes à Jérusalem.
Disons qu’ils sont des rois-mages, et tout le monde sera content.
Au-delà de l’aspect un peu folklorique,
l’important est ailleurs. Quel sens avait ce débarquement plus ou moins
exotique pour les premières communautés chrétiennes auxquelles on adressait cette
bonne nouvelle ?
D’abord que Jésus de Nazareth, dès sa naissance
à Bethléem, est bel et bien le sauveur du monde, autrement dit de tous les
hommes. Le Messie des juifs certes, puisque des bergers de Bethléem sont venus
les premiers reconnaître et adorer Jésus dans sa crèche, encore qu’ils étaient
parmi les pauvres du peuple et non pas parmi les notables.
Et puis des mages, autrement dit des païens,
sont aussi venus de loin, comme ils disaient « pour se prosterner devant
le roi des juifs qui vient de naître ». C’est l’ouverture du salut à tous
les peuples de la terre, et cela dès l’apparition du sauveur.
On devine combien était importante cette prise
de conscience dans des communautés chrétiennes souvent agitées par un débat
très sérieux : les païens peuvent-ils devenir chrétiens sans passer par le
judaïsme ou faut-il qu’ils suivent la loi de Moïse pour entrer dans
l’Eglise ? Dans le fond, en racontant l’épisode des rois-mages,
l’évangéliste Matthieu veut répondre à cette question.
Une telle réponse a-t-elle encore un sens pour
l’Eglise d’aujourd’hui ? On pourrait estimer que non puisqu’aucun baptisé
n’est obligé de suivre la loi de Moïse pour faire partie de la communauté
ecclésiale. Depuis belle lurette, les païens sont les bienvenus dans la
communauté chrétienne s’ils adhèrent à l’évangile du salut universel. Et
pourtant, au-delà des imageries sympathiques, nous avons encore des leçons à
tirer de la venue des rois-mages auprès de l’enfant Jésus, avec Marie sa mère.
* L’Eglise, en faisant confiance à l’étoile
intérieure qui guide chaque homme en sa conscience, doit faciliter la rencontre
avec Jésus, et non pas dresser des barrières ou fulminer des exclusions. Car
l’Eglise n’est pas là pour conduire à elle-même, mais pour amener
maternellement au Christ, le seul sauveur de tous.
Elle doit donc sans cesse s’interroger :
suis-je un écran ou suis-je une médiatrice, entre les hommes et
l’évangile ? Suis-je un obstacle sur leur chemin ou suis-je un guide
fraternel quand des hommes, comme les mages, sont en route vers le Christ à
travers leur recherche sincère d’un sens à leur vie ?
Plus concrètement : quel Dieu
révélons-nous, quel Christ annonçons-nous, quelle bonne nouvelle
proclamons-nous en tant que chrétiens dans notre monde ? Est-ce le
Dieu-Amour ? Est-ce le Christ de la miséricorde ? Est-ce l’évangile
des béatitudes ?
Il semble –mais ça demande encore confirmation-
que le pape François veuille relancer une réflexion à ce sujet en insistant sur
une Eglise de la miséricorde, de l’accueil inconditionnel et de la solidarité
avec tous ceux qui peinent, notamment dans la pastorale des familles. C’est un
grand espoir.
* Et puis les rois-mages ne sont pas devenus
les apôtres. Ils sont repartis chez eux par un autre chemin. On peut voir dans
cette gratuité de la rencontre et dans le respect de leur conscience une
certaine indication pour le dialogue interreligieux.
Si nous
croyons que le Christ, par son Esprit, attire au vrai Dieu tous les hommes,
nous savons aussi que les chemins pour y parvenir sont multiples et tous très
mystérieux.
Pour être fidèle à sa vocation propre, l’Eglise
doit aussi reconnaître les valeurs qui se trouvent déjà dans les autres
religions. Elle doit renoncer à toute violence qui voudrait vaincre au lieu de
convaincre. Depuis le concile Vatican II surtout, sans déroger à sa mission de clair
témoignage pour le Christ, elle veut entrer en dialogue fraternel avec les
autres religions afin que jamais plus la diversité des croyances serve de
prétexte à des affrontements meurtriers qui ôtent toute crédibilité à ceux qui
s’y adonnent.
Les religions doivent servir la paix, la
liberté, le respect des droits humains et finalement la convivialité entre les
peuples, au lieu d’exacerber les oppositions et de provoquer des divisions
sources de guerres, comme on l’a trop vu dans le passé, y compris chez nous, et
comme certains essaient de le promouvoir encore aujourd’hui.
Attention au piège ! Les chrétiens ne
doivent pas se laisser entraîner dans l’escalade du choc des civilisations pour
des motifs religieux.
Que la venue de ces mystérieux rois-mages à la
crèche de Bethléem, que l’accueil de ces étranges croyants par Jésus et Marie
nous aident à élargir notre cœur de chrétiens. Nous sommes convaincus que Jésus
est le sauveur de tous les hommes, mais nous sommes aussi persuadés que son
Esprit travaille dans la conscience de chacun pour que, dans la variété des
chemins de vie et de foi, tous puissent parvenir dans la maison de l’unique
Dieu et Père de tout amour.
Claude Ducarroz
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