Homélie de Noël
« Toutes ces religions, je ne sais pas si
c’est le même Bon Dieu, mais c’est tout du même diable ! » Ainsi
s’exprimait un brave homme plutôt déconcerté par les nombreuses propositions
religieuses désormais disponibles dans le supermarché des religions, y compris
chez nous. Il y a deux semaines, on a inauguré à Berne une « maison des
religions » qui rassemble dans un même espace toutes sortes de chapelles
consacrées aux principales religions du monde. Tant mieux, si ça peut servir la
cause de la tolérance, du dialogue et finalement de la paix par la convivialité
des croyants.
Mais ce grand bazar des religions nous invite, surtout
au moment d’un Noël péniblement rescapé des déluges consuméristes, à nous poser
la question fondamentale : c’est quoi, le christianisme ? quelle est
son originalité qui définit son identité ?
La réponse est dans la fête liturgique de ce
jour.
Si la religion consiste pour l’homme à se
relier à Dieu, qui est le Dieu du christianisme ? Son secret tient en un
mot : Dieu est Amour, tout amour, rien que amour. Et déjà ça change tout.
Nous confessons même que ce Dieu-là est tellement amour en lui-même qu’il est
communion parfaite et éternelle entre le Père, le Fils et le Saint Esprit, un
seul Dieu en trois personnes. Premier mystère.
Quand il s’agit d’amour, celui qui aime le
plus, c’est celui qui se fait le plus proche de celui qu’il aime, jusqu’à faire
tout le chemin à sa rencontre, jusqu’à donner sa vie pour lui. Tout le
contraire d’une divinité lointaine qui croirait préserver sa majesté en
augmentant toujours plus la distance entre elle et nous.
Noël ! Il n’y a plus de séparation, il n’y
a plus d’obstacle : le Fils de Dieu s’est fait l’un de nous par amour.
L’amour infini a inventé le mystère de l’incarnation réaliste puisque le Verbe
s’est fait chair pour habiter vraiment au milieu de nous.
Divinement, mais aussi humainement, c’est-à-dire
en commençant dans le sein d’une femme, en naissant par un accouchement, en
grandissant grâce au lait maternel.
Il a un nom : Jésus de Nazareth. Il a un
visage, il aura bientôt un sourire. Toujours pour nous dire, et de plus en
plus, l’amour de Dieu son Père, pour lui et pour nous, inséparablement.
Les parents, surtout les mamans, savent cela.
Quand on aime vraiment, on s’adapte au plus petit, on donne priorité au plus
fragile, on veille sur le plus malheureux. Et pour faire son apprentissage dans
l’exercice de cet amour-là, Jésus de Nazareth a voulu expérimenter lui-même,
jusque dans sa chair et dans son cœur, la condition humaine des plus
nécessiteux parmi nous. Il nous a aimés d’en-bas pour nous chérir sans jamais
nous humilier, en prenant, lui, d’emblée la dernière place pour nous sauver
tous. Car telle est la puissance de l’amour qu’il se manifeste d’abord par la
solidarité avec les plus pauvres.
* Un déraciné entre Nazareth et Bethléem, avec
des parents en quête d’un gîte en urgence, qui ne trouvent pas d’accueil dans
les hôtelleries.
* Un pauvre gigotant dans une étable parmi des
bergers peu fréquentables, et bientôt un fuyard sur les routes menant à
l’Egypte pour échapper- déjà- aux cruautés d’un despote.
* Et puis il y aura un jour la croix, le prix à
payer sous nos coups de haine et de folie, pour faire triompher l’amour là où
il n’y en a plus, au point de pouvoir redonner la vie aux morts dans
l’expérience partagée de la résurrection glorieuse. Car jamais l’amour ne peut
se laisser vaincre par le mal et la mort.
* Le Dieu Amour aura le dernier mot en Jésus,
de la crèche au matin de Pâques. Finalement, c’est bel et bien pour ce matin-là
qu’il est venu dans la nuit de Noël, pour le jour où se réalisera
définitivement la promesse chantée par les anges : « Gloire à Dieu au
plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes que Dieu aime ! »
Oui, la petite graine de Noël n’a donné tout
son fruit qu’au moment de Pâques, ne l’oublions pas. Alors « s’est
manifestée la grâce de Dieu pour le salut de tous les hommes », rappellera
l’apôtre Paul, « dans la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et
sauveur Jésus-Christ qui s’est donné pour nous en faisant de nous un peuple
ardent à faire le bien ».
Et ce peuple, c’est nous, aujourd’hui.
Alors on peut se poser cette question : si
le christianisme part du Christ –c’est évident-, dans le meltingpot des
religions, qui va parfois jusqu’à la cacophonie, c’est à nous de signifier ce
qu’est vraiment ce christianisme aujourd’hui.
* C’est vivre au jour le jour sous le signe de
l’Amour majuscule irradiant nos amours les plus minuscules.
* Le chrétien de Noël apprécie les silences
priants au lieu de s’étourdir, jusqu’à se perdre, dans les rumeurs et les
fureurs des hauts parleurs tonitruants.
* C’est celui qui aime en priorité les petits
et les pauvres en épousant lui-même un style de vie simple, privilégiant les
qualités de l’être et la tendresse des relations plutôt que les vanités du
paraître et le nombre des connexions.
* Le chrétien de Noël aime les gens, tous les
gens, sans barrières ni frontières, en allant jusqu’au pardon pour construire
de nouveaux ponts et renouer des alliances.
En résumé : le chrétien de Noël ne sépare
jamais Dieu de notre humanité parce qu’ils se sont définitivement mariés en
Jésus de Nazareth, dans le creux de la crèche, sur le bois de la croix, dans la
lumière éternelle de Pâques. Dieu et nous : voilà les vrais intouchables,
les vrais inséparables !
* Se laisser aimer par l’Amour trinitaire, se
laisser toucher par l’Amour incarné, se laisser sauver par l’Amour crucifié, se
laisser transfigurer par l’Amour ressuscité : quel magnifique
programme !
* Et ensuite aimer, même les moins aimables, et
trouver sa joie dans ces amours en petite monnaie, au gré des évènements de la
vie ordinaire, selon cette promesse divine portée par les anges :
« Je vous annonce une bonne nouvelle qui sera une grande joie pour tout le
peuple ».
La bonne nouvelle que Dieu est Amour, la grande
joie de se avoir aimé par lui, le bonheur d’aimer à notre tour, ne serait-ce
qu’un peu, comme lui.
Claude
Ducarroz
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