Mon célibat : je fais avec…
Le mystère d’un multipack
Toute
vocation est un mystère, et le demeure, surtout si l’on estime que l’appel de
Dieu a quelque chose à voir avec ce choix. C’est le cas, j’en suis sûr, pour la
vocation au ministère de prêtre, d’autant plus que la réalisation de cet appel
ne peut être vécue que dans une perspective de foi.
Pour ma
part, j’ai ressenti cet appel très tôt, sans doute vers les 10 ans. Rien dans
ma famille, ni aucune tradition dans ma paroisse ne m’a poussé à aller dans ce
sens. Au départ, j’ai plutôt constaté une gêne et une réserve chez mes parents,
qui étaient des chrétiens convaincus mais plutôt traditionnels, comme tous les
autres dans mon village. Du côté des camarades, ce furent des moqueries et des méchancetés qui eussent
pu faire chavirer mon projet. Quel était-il ? Sans doute celui de « faire
comme mon curé » qui était un homme simple, proche des gens et aimés
d’eux. Finalement, c’est de l’intérieur que venait l’appel, sans que j’aie
ressenti quelque chose de particulier qui tiendrait du
« merveilleux ». A dire vrai, j’ai toujours cru que mon bonheur se
situerait là, dans cette belle « fonction », même s’il m’est arrivé
de craindre de n’y arriver jamais. Pour mon malheur, évidemment.
Et le
célibat dans tout cela ? J’avoue que, à mes yeux, il était ecclésialement
et socialement lié à la prêtrise, qu’il allait de soi, sans que je m’arrête
spécialement sur ses exigences. C’était un « multipack » évident, que
je ne remettais pas en question. Encore fallait-il être conséquent, ce que je
fus, sans trop de peine. Avec les filles, c’est vrai, j’étais un peu différent
des autres, plus réservé, plus prudent. Je savais pourquoi et les autres le
savaient aussi. Je me souviens par exemple que je me suis abstenu plusieurs fois
d’aller « à la bénichon », préférant rester sur le banc devant la
maison plutôt que de fréquenter les bals. Je crois que je n’ai jamais dansé en
ce temps-là. Mais ça ne m’a pas beaucoup coûté. Je protégeais un certain
trésor : devenir prêtre, et si possible un bon prêtre heureux.
J’ai gardé
cet « état d’esprit » durant ma formation, d’autant plus facilement
que mon entourage familial était désormais encourageant face au sérieux de ma
vocation. Et puis des prêtres veillaient sur nous. Ils « couvaient »
un peu ceux qui avaient de telles idées en tête. Y compris à l’internat du
collège où une vingtaine de prêtres
-certains excellents mais pas tous-
nous accompagnaient de près ou de loin dans notre cheminement vers le
séminaire. Avant d’entrer dans cette sainte maison, j’ai passé par l’école de
recrue. Les dires et les pratiques des copains m’ont souvent étonné, parfois
scandalisé. J’apprenais en pure théorie les exploits érotiques plus ou moins
drôles des autres camarades, mais sans remettre en cause mon ferme propos qui
continuait d’associer indissolublement prêtrise et célibat.
Durant le
séminaire, je me suis posé certaines questions, notamment en rencontrant des
filles lors de camps et colonies. Peut-être l’une ou l’autre est-elle tombée
amoureuse de moi. Je m’en apercevais à peine. Mais pour ma part, je ne crois
pas que mon cœur ait été sérieusement troublé à ce moment-là. Peu avant
l’ordination, j’ai passé une fois une nuit de profonde réflexion à la chapelle
du séminaire. C’était plutôt l’aspect « pour toujours » de
l’ordination qui me faisait peur, beaucoup moins le célibat comme tel.
A l’épreuve du réel
Le
ministère concret m’a plongé en pleine vie réelle. Je me suis rendu compte que
j’avais été passablement « protégé ». La rencontre des couples –mariés
ou non- m’a ouvert des horizons nouveaux et m’a fourni des renseignements
complémentaires bienvenus. Ce fut notamment le cas dans le ministère de
préparation au mariage qui me fut confié, aussitôt débarqué à Fribourg pour mon
premier poste. Je bénis le ciel d’avoir fréquenté là des hommes et des femmes
bien dans leur chair, dans leur cœur et dans leur foi. Ils m’ont fait deviner
les bonheurs de la vie de couple et de famille, mais aussi signalé les
difficultés, les épreuves et parfois les échecs qu’elle peut comporter. Tantôt
je me disais que ça devait être très beau et même désirable, tantôt je pouvais
estimer qu’il y avait aussi des pièges dans ce type de relations, notamment à
cause des ambiguïtés de la sexualité. Conclusion : je me trouvais bien
là où j’étais et comme j’étais, sans mépris de la condition des autres –bien au
contraire-, mais sans envie non plus de la partager à tout prix. Je me considérais
d’autant mieux à ma place que ces couples –je le sentais très fort- comptaient
beaucoup sur moi, à partir de mon service de prêtre fidèle, pour les aider à
vivre le bel amour qu’ils avaient à vivre, non sans contribuer pour ma part à
des réparations ou des réconciliations utiles et souvent appréciées.
Je le dis
sans forfanterie et sans me croire meilleur que d’autres pour autant : je
n’ai jamais eu de relation intime avec quiconque. Mais il m’est arrivé
d’éprouver cette abstinence comme un certain sacrifice, je dois le reconnaître.
Quand j’étais plus jeune, ce sont plutôt les enfants qui m’ont manqué.
Retourner à la cure et me retrouver seul après avoir visité une belle famille
avec enfants, ça me procurait un certain regret. Je mesurais combien devait
être épanouissante la belle responsabilité de donner et de faire grandir la
vie, surtout avec des enfants qui nous ressemblent et d’une certaine manière
nous prolongent. Plus tard, une fois passé l’âge d’engendrer, c’est plutôt
l’absence d’une « compagne » qui me faisait parfois « froid au
cœur ». Car il serait sans doute très agréable d’être attendu par
quelqu’un à la maison et de pouvoir tout partager –ou presque- avec elle. En conséquence
de cette relative « absence », pour moi la femme demeure entourée
d’un halo de mystère qui suscite mon admiration -que de beauté, que de
générosité ! En même temps je me trouve maladroit et un peu désemparé
devant elle, surtout lorsqu’elle pleure.
Je peux
dire en toute sincérité que je n’ai jamais songé sérieusement à passer de
l’autre côté de ma promesse. Et pour cela, dans une société hyper-érotisée, je
me protège, par exemple en évitant tout ce qui sent le pornographique ou
l’exploitation du sexe. Pas par héroïsme, mais par réalisme. D’une part, je prends
conscience chaque jour que le célibat, avec la disponibilité et la liberté
qu’il m’octroie, reste un bon serviteur de mon ministère toujours très occupé.
Où aurais-je pu placer un engagement responsable d’époux et de père dans une
vie déjà tellement débordante de rencontres et d’engagements ? D’autre
part, il me semble que je repère le sens de mon ministère dans l’attente de
tant de personnes à mon sujet, et aucune ne me demande de renoncer à ce que je
suis et à ce que je fais pour me concentrer sur une seule d’entre elles. Bien
au contraire, on me sollicite tellement que je trouve dans ces relations de
pastorale des raisons supplémentaires de demeurer dans un célibat tout
« donné aux autres ». Ce sont souvent des couples qui m’ont le
plus incité, sans le savoir, à continuer vaillamment la route choisie au départ
sans beaucoup de réflexion sans doute. Et puis l’amitié de certains confrères,
notamment dans une savoureuse équipe de co-pains, m’a aussi beaucoup aidé et
stimulé. On parle de nos vies réelles, y compris en rouspétant, dans un climat
de sincérité et d’entraide. C’est très précieux.
Tout cela
paraîtra à certains manquer de rayonnement mystique. Au début, j’y ai cru,
comme si le célibat, presque automatiquement, induisait une relation au Christ
de type privilégié, presque en amoureux. Mais j’ai vite compris que bien
d’autres chrétiens et surtout chrétiennes, mariés ou non, vivaient une
spiritualité magnifique, plus profonde que la mienne. Là n’était pas la question. La
communion au Christ n’est l’apanage ou le monopole de personne. Il est faux
d’opposer ou de comparer mariage et célibat sous cet aspect-là. Bien sûr, la
méditation de la parole de Dieu, la prière et les sacrements nourrissent la vie
intérieure, ce qui ne peut qu’influencer positivement la joyeuse fidélité à ce
que le Seigneur nous demande de vivre. Mais cette expérience n’est pas réservée
au prêtre célibataire. Je l’ai constaté en fréquentant des monastères, mais
aussi en étant le témoin ému et reconnaissant de mariés tout dévoués à leur
tâche d’époux et de parents chrétiens. L’amitié du Christ est une grâce offerte
à tous, mais elle prend les couleurs et les saveurs de la vocation propre de
chacun, sans se prêter à des comparaisons de degré qui nous feraient tomber dans l’orgueil d’être
les meilleurs.
Plusieurs types de prêtres
A la
lecture de ce témoignage, on pourrait estimer que j’ai toutes les données en
main pour défendre bec et ongles l’obligation universelle du célibat pour les
prêtres de l’Eglise, telle qu’elle s’est finalement imposée en Occident à partir du concile Latran II en 1139.
Eh ! bien pas du tout ! Une meilleure connaissance de l’histoire de l’Eglise me prouve que le
célibat « pour le royaume de Dieu » est une chose magnifique, mais
qu’il ne peut être imposé à tous puisqu’il est réservé à ceux à qui cette
grâce est accordée (Cf Mt 19,10-12). Donc pas à tous. Obliger tous les prêtres
à être célibataires, c’est se priver d’autres prêtres qui auraient reçu l’appel
du mariage, lequel est aussi une magnifique vocation d’ailleurs sanctionnée par
un beau sacrement dans notre Eglise. On sait mieux maintenant que la décision
d’imposer le célibat à tous les prêtres de l’Eglise latine obéissait à des
motivations fort ambiguës. Les unes étaient fort louables -imiter le Christ
sous cet aspect de sa vie-, mais
d’autres très contestables, comme la dépréciation de la sexualité dans son
rapport au sacré, quand ce ne sont pas des raisons bassement économiques
(récupérer les héritages pour l’Eglise). La vie monastique est un trésor dans
l’expérience de l’Eglise, mais les prêtres en pastorale n’ont pas tous cette
vocation. D’ailleurs les Eglises d’Orient -tant orthodoxes que catholiques-
laissent le libre choix du mariage ou du célibat à leurs candidats à la prêtrise. Je ne sache
pas qu’elles souhaitent changer leur pratique sur ce point. La discipline du
célibat obligatoire pour tous les prêtres est donc une décision tardive et
géographiquement limitée dans notre Eglise, même si elle a été étendue ensuite
à d’autres cultures à travers le monde à la faveur du dynamisme missionnaire
latin. Il faut être réaliste : cette discipline, aujourd’hui comme hier,
n’est pas partout respectée. J’ai cru longtemps qu’elle l’était presque
parfaitement chez nous. J’ai pris conscience que ce n’était pas aussi vrai que
je le pensais. L’histoire de l’Eglise le prouve aussi, y compris chez des
évêques et même des papes.
Je pense à
mes confrères. Nous étions 12 à être ordonnés pour notre diocèse en 1965.
Quatre ont quitté le ministère pour se marier, un autre vivait une relation
très « affective ». Certains m’ont dit qu’ils ne regrettaient pas le
ministère, car ils estiment qu’il n’était pas forcément fait pour eux. Il y
eut, en quelque sorte, une erreur d’aiguillage. Mais d’autres, excellents
confrères, souffrent de ne pouvoir être à la fois prêtres et mariés, non pas à
cause du célibat en soi, mais à cause de la loi implacable du célibat universel
qui plombe le ministère du prêtre dans une seule modalité de l’exercer. Je
regrette tellement que de tels confrères, pleins de qualités pastorales et
intellectuelles, aient été contraints de renoncer à leur service ecclésial, alors
que notre peuple chrétien souffre cruellement du manque de prêtres. D’ailleurs
ce peuple ne se trompe pas, qui demande souvent, à travers synodes et
déclarations, que notre Eglise revoie sa discipline sur ce point. Pas pour
dénigrer le célibat et ses immenses valeurs quand il est bien vécu, mais pour
ouvrir davantage les portes d’accès au ministère presbytéral, si utile et même
nécessaire à la pleine vitalité du peuple de Dieu, selon l’Evangile.
Bien sûr,
je ne vois pas dans le changement souhaité une panacée. Nos misères sont
complexes, comme nos grandeurs et nos bonheurs. Je sais que la condition de
mariés, surtout de nos jours, est soumise à bien des épreuves et aboutit
parfois à des échecs. Une évolution de la discipline, si souhaitable qu’elle
soit, ne fournit pas une baguette magique qui résoudrait par enchantement tous
nos problèmes. Les nombreux divorces que je constate chez nos collègues pasteurs
protestants me font réfléchir et m’incitent à une certaine prudence. Mais il
faut aussi le reconnaître : si le mariage comporte ses croix, le célibat
en génère aussi, surtout s’il est vécu de manière plus ou moins forcée,
autrement dit sans un certain bonheur humain et sans un certain épanouissement
spirituel auxquels chacun peut aspirer, avec la grâce de Dieu.
En
résumé : je suis pour mon célibat que j’ai la grâce de vivre dans un
certain bonheur, en le mettant au service de mon beau ministère de prêtre. Je
n’ai aucune envie de changer. Mais je ne vois pas pourquoi il continuerait
d’être imposé à tous les prêtres. Pourquoi n’y aurait-il pas une manière
« mariée » d’exercer la prêtrise, différente certes mais surtout
complémentaire du style célibataire ?
Il y a plusieurs
façons de servir le Christ et son Evangile dans la communion de l’Eglise. « Mais
c’est le même Dieu qui opère tout en tous, car à chacun la manifestation de
l’Esprit est donnée en vue du bien commun. » ICo 12, 6-7).
Claude
Ducarroz
Cet
article a paru dans le livre intitulé : Prêtres,
et après - L’avenir des paroisses et de l’eucharistie.
Ce
livre recueille des témoignages de prêtres qui ont quitté le ministère et
d’autres qui sont demeurés à leur poste. Pourquoi ?
Ce
livre fait aussi le point sur la question délicate du célibat obligatoire pour
tous les prêtres de l’Eglise latine.
Editions
SaintAugustin 2011
On
peut commander le livre auprès de moi (cl.ducarroz@bluewin.ch)
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