lundi 5 octobre 2015

Vous avez dit couple... mariage... famille?

Le couple…le mariage…la famille

"Ce mystère est grand". (Ep 5,32) 
Quel mystère?


C'est un peu mon "Ce que je crois", quelques convictions qui guident mon ministère. Je ne prétends à aucune infaillibilité, je ne veux donner aucun modèle qui pourrait être une recette ou semblerait un reproche à quiconque.

Raoul Follereau disait que, pour avancer dans la vie, il faut accrocher sa charrue à une étoile.

Sans décoller du réel, je voudrais désigner et explorer un peu l'étoile, celle qui brille dans le ciel de l'Evangile, parce je crois que toute notre pastorale - celle des laïcs, celle des diacres et des prêtres - consiste à atteler des vies à cette charrue pour que les couples et les familles, comme dit Jésus, "portent du fruit, et un fruit qui demeure… qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance… qu'ils aient cette joie que personne ne pourra ravir."  Ev. de Jean.

Ouvrons la géode, contemplons et décrivons un peu ce qu'elle recèle au dedans.
Ephésiens 5 appelle cela "un grand mystère" (Eph 5,32). L'intérieur de la géode n'est pas  une autre pierre, mais son secret, son mystère.


I. Une certaine anthropologie

Partons de l'être humain, de la personne humaine, simple, toute nue.

Beaucoup, dans notre pastorale, dépend de notre vision anthropologique, autrement dit de la réponse que nous donnons à l'interrogation du psaume 8,4-5 "Qu'est donc l'homme pour que tu t'en souviennes ? Le fils d'Adam, que tu veuilles le visiter."

L'être humain est un être à 4 dimensions :
•      pas 4 parties séparables ou démontables comme les éléments d'un lego,
•      mais 4 paramètres vivants qui constituent notre identité profonde,
•      au point que je me mutile ou je mutile l'autre si j'en oublie, ne serait-ce qu'un seul.

Nous sommes

1.  un corps sexué
Je suis mon corps. C'est ma richesse et ma pauvreté.
Déjà l'autre m'est nécessaire, pour exister et pour faire exister d'autres.

2.  un esprit qui parle
Je pense et je dialogue.
Je cherche.

C'est le langage,
la communication.
3.  un cœur qui aime
Les sentiments,
les émotions, les rires,
les larmes.

J'ai du coeur.
4.  une âme qui trouve ou donne un sens à sa vie
mes pourquoi, mes questions et réponses.
C'est la dimension métaphysique.

Merveilleuse alchimie humaine que nous sommes et qu'il nous faut aimer. C'était très bon (Gn 1,31). A peine le fis-tu moindre qu'un dieu. Tu le couronnes de gloire et de beauté (Ps 8,6). Tel est l'avis de Dieu lui-même.

Aujourd'hui, dans notre société, je crois que l'enjeu et le défi sont d'abord dans la façon dont on regarde et interprète la dimension corporelle en lien avec les autres dimensions.


II. La personne  comme chair

Et peut-être, changeons de vocabulaire, empruntons celui de la Bible : la chair d'une personne qui est bien plus que son corps dans le monde, dans ses relations.
C'est le mot " sarx".
Cf. A.T. (197 fois), par exemple en Gn 2,23 "Os de mes os, chair de ma chair; ou en Gn 2,24 "ils ne seront qu'une seule chair."
Cf. N.T. (133 fois) par exemple en Jn 1,14 "Le Verbe s'est fait chair"; Jn 6 "Celui qui mange ma chair..." Ou alors "la résurrection de la chair" du Credo.

La chair, qu'est-ce que c'est ?
•      c'est d'abord moi - je suis ma chair animée, vivante, dans la rencontre nodale de la matière et de l'esprit pour constituer la personne. Telle est mon identité unique, celle des autres aussi, ce que les sciences génétiques permettent de repérer maintenant.

•      C'est aussi mon lieu d'épiphanie : je me donne à voir, à connaître, c'est le lieu d'une révélation de la personne, surtout par le visage - je me laisse envisager et j'en-visage l'autre. Dans le visage, il y a voir, entendre, parler, sentir: tout ce qui me permet de franchir le fossé des êtres en respectant les autres.
       Dans ces communications et ces échanges, l'événement des rencontres par la chair et ses sens devient des avènements de l'autre à moi, de moi à l'autre, un partage mystérieux. En nous donnant par nos chairs, nous devenons chers l'un à l'autre, nous nous aimons, nous existons l'un pour l'autre.

•      C'est aussi le lieu de la fête, dans l'alliance du bonheur et des plaisirs, dans la vibration des personnes sous la transfiguration de l'amour (cf Cantique des cantiques ). Il y a un bel  érotisme humain.

•      C'est aussi le lieu d'une ouverture sur la communauté que je puis construire à partir de la chair sexuée. Mon identité et l'accueil de l'altérité donnent une fécondité extraordinaire dont l'enfant est le signe le plus fort parce qu'il est une chair habitée par  de l'éternel, en tant que promis à la Pâque.

Serait-ce impossible ? Trop beau ? Non, s'il y a l'amour de soi et des autres. On "fait l'amour" de multiples manières. Car l'amour est toujours à construire. Il est un vaste chantier permanent.




III. Un mystère à 7 faces

Sur ce panorama de beauté fragile, de grandeur humble, d'idéal toujours menacé, de chantier fait d'amour, mais aussi de pardon, de commencements en recommencements
•      pour être soi-même
•      pour entrer en communion avec l'autre, les autres,
•      pour augmenter le niveau d'amour, et par conséquent, de bonheur dans ce monde.

Que deviennent  les couples, le mariage, la famille?

Je vous dis ce que je crois, à la lumière de l'Evangile, parce que souvent les couples à qui je le disais - avec délicatesse - m'ont affirmé : pourquoi on ne nous a pas dit cela plus tôt ?

Ce mystère est grand (Eph 5,32) comme don (d'abord une grâce), comme promesse (toujours devant) et comme programme (éthique et mystique).


1.    "Faisons l'homme à notre image…" (Gn 1, 27-28).

L'homme (homme et femme) est une icône de Dieu, sa plus belle signature en ce
monde. Mais une icône de Dieu-Trinité, avec l'alliance de l'unité et de l'altérité en vue de la fécondité. Comme  Amour tripersonnel, Dieu constitue éternellement la première "famille". Et en conséquence, chaque  famille est  appelée à vivre quelque chose de ce divin mystère en ce monde.
C'est un grand défi à relever: mixer de multiples mixités dans l'amour, allier l'unité avec le respect de l'altérité et l'ouverture dérangeante de la fécondité (cf. les enfants).
Il y a des pièges, bien sûr: l'égoïsme, l'utopie de la fusion, le manque de respect (l'utilisation de l'autre comme objet), la domination par le chantage ou la violence, la stérilité du coeur.
Tout ce qui aide à équilibrer les éléments positifs dessine mieux l'image de Dieu en ce monde. Les sciences humaines nous y aident, ainsi que toutes les petites solidarités vécues au quotidien.


2. "Je conclurai pour eux une alliance, je te fiancerai à moi pour toujours dans la tendresse et la miséricorde" (Os 2, 20-21).

Ils échangent des alliances, les amis, les fiancés, les mariés.

Dieu s'est servi des paraboles conjugales et familiales pour exprimer l'alliance tumultueuse avec son peuple (cf. Osée, Isaïe, Jérémie).
On peut faire le chemin dans l'autre sens : il y a du divin, une parabole de l'amour de Dieu pour l'humanité, dans l'amour conjugal et familial... imparfaitement ! Il y a là un signe incarné, une sorte de sacrement de l'alliance.
Nous nous intégrons aux noces de Dieu avec nous :
            quand nous nous aimons en vérité,
            quand nous nous donnons pour montrer notre amour,
            quand nous pardonnons, comme dans l'aventure de l'Alliance sans cesse à reconstruire.


3. "Ils trouvèrent Marie, Joseph et l'enfant" (Lc 2,16)

Il est venu dans une famille, une vraie famille.
Le Verbe s'est fait chair dans le sein d'une femme, sans géniteur humain, mais en choisissant d'avoir un vrai père, Joseph, en partageant la vie d'une famille très ordinaire à Nazareth, avec ses joies, ses peines, ses drames, ses crises et même ses fugues.
Sans être parfaite, toute famille trouve sa place dans cette famille-là.
Tous ceux, toutes celles qui vivent comme le Christ suivent le chemin de Nazareth. Ils ne le savent peut-être pas (encore), mais Jésus est avec eux. Il établit des connivences avec nous, des complicités qui nous précèdent et nous accompagnent.


4.    "Qui est ma mère, qui sont mes frères...?" (Mt 12, 48-49)

Etait-ce une rupture ? un rejet ?
Ce fut plutôt une ouverture : la famille de Jésus s'ouvre sur d'autres familles. C'est l'embryon de l'Eglise. Les familles constituent une nouvelle famille : les disciples, puis la première communauté chrétienne (cf. la présence de Marie au Cénacle à la Pentecôte, avec les apôtres et la communauté des frères et sœurs). Ainsi nos familles sont-elles appelées à vivre des ouvertures sur la société (du voisinage jusqu'à l'humanité planétaire). C'est le sens du mariage civil. De même aussi pour les engagements dans l'Eglise, la famille des familles. Toute famille est  "catholique" par vocation.
      
Dans un contexte d'individualisme et de repli, tout ce qui va dans le sens de l'ouverture
sur le large est une bénédiction. On peut le faire redécouvrir à propos du mariage civil.
Et montrer comment le mariage à l'église est surtout un mariage en Eglise, qui fait Eglise.


5. Le sacrement "de l'alliance nouvelle et éternelle" (à chaque messe)

Il y a    2 sacrements de l'alliance : le mariage et l'eucharistie. Ils sont en communion l'un avec l'autre, ils s'appellent, ils s'attendent, ils cherchent à se marier, même s'ils ont parfois de la peine à se reconnaître et à se rencontrer.
Dans la communion comme dans le mariage, il y a union sans fusion, il y a respect et rencontre des altérités par le (mystère) signe de la chair donnée, du corps offert et reçu sous les espèces d'un partage, pour communier dans l'Amour qui est l'Esprit.
Pour moi, les plus beaux moments de la préparation au mariage consistent en ceci:
faire redécouvrir et le plus souvent découvrir ou au moins deviner cela, à savoir qu'il y a
de l'eucharistique dans le mariage et du conjugal dans l'eucharistie.

Ce mystère se ranime -comme on le fait pour une flamme- à la messe de mariage au  moment de la communion au corps et au sang du Christ. Il est ranimé lors de toutes les autres communions, et singulièrement lors des messes "en famille" et par la prière à la maison.

6.    A travers de multiples passages... la Pâque dans leurs vies

La famille est un nid de Pâques.
Que de passages pour faire ou refaire un couple !
Les conjoints sont toujours en exode, toujours des apprentis, toujours des passants.
Et on peut toujours recommencer.
On construit toujours avec des pauvretés partagées.
Ces jeunes mariés ont dû passer
1. de la possessivité anxieuse à l'oblativité libératrice,
    de l'Eros-Désir par la Philia-Amitié jusqu'à l'Agapè-Amour

2. à l'altérité en décrochant de la possession immédiate pour sceller une communion dans
    la différence, car aimer, c'est toujours deux pauvretés qui se rencontrent et se
    transfigurent, deux tendresses (= faiblesses) qui entrent en résonance;

3. du désir pulsionnel au choix libre,
    de l'autre imaginaire à l'autre réel;

4. de l'émotion momentanée à la relation stable;
    de la sensation fugace à la décision ferme

5. à travers de multiples passages, qui exigent tous du temps, celui d'un perpétuel apprentissage.

Car telle est la loi pascale de l'amour: je reçois mon être au moment où je le donne.

Et les étapes de la vie: que de passages, y compris à travers les crises et les pardons.
Et les enfants qui nous font tellement "pâquer".


7.    "Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père" (Jn 14,2)

"L'amour ne passera jamais" (I Co 13,8).
Il y a de l'éternel dans toute expérience d'amour vrai.
La visée amoureuse, conjugale et parentale pointe au-delà de la mort. La vague de
l'amour porte au-delà de la finitude.

La flamme ne s'éteindra jamais. Je t'aime, ça signifie: je ne veux pas que tu
meures.
A preuve:  les enfants allumés à la vie éternelle et  ces relations qui se retrouvent transfigurées, éternisées, comme on le discerne chez certains vieux amoureux.


IV. Une pastorale pour faire réussir l'amour et le bonheur

Elle suppose:

1.    Un accueil chaleureux avec joie, non avec soupçon ou cynisme.

2.    Un climat de confiance, de sincérité qui permette peu à peu les
       confidences, entre autres pour pouvoir exprimer les souffrances, certaines expériences d'Eglise, puis des questions de fond.

3.    Un regard positif sur l'événement qu'ils vivent, autrement dit: avoir un préjugé favorable.
       Ils ont franchi déjà beaucoup d'obstacles (en eux et autour d'eux)
       - les fréquentations
       - le mariage civil
       - la décision du mariage à l'église.
       Je sens très souvent que cette démarche religieuse correspond pour eux
       au sentiment de vivre un amour qui les dépasse, quelque chose de sacré, d'où la demande d'une bénédiction.

4.    Une image d'Eglise qui soit
             *une complice lucide et exigeante de leur projet de vie et non pas une instance       moralisatrice, culpabilisante et désespérante,
             *une amie de leur bonheur et non pas une marâtre jalouse ou chagrine.

5.    Une collaboration avec les laïcs dans les divers mouvements comme le CPM, les END, les E3A etc. Il n'est plus possible que des prêtres (célibataires) préparent seuls les fiancés au mariage. Nous sommes après Vatican II !

6.    Une remise en question personnelle et intérieure de nos relations avec les femmes, avec les enfants, avec notre sexualité, notre célibat, nos amitiés. Et ça ne peut nous faire que du bien.

7.    La recherche d'une meilleure pastorale
       *en amont, avec ce qu'il y a avant le mariage (cf. catéchèse, groupe de jeunes etc.)
       *en aval : quel "service après-vente" en Eglise et dans la société ?


Conclusion: la pastorale de Cana ( Jn 2,1-11).

Jésus est invité à cette noce villageoise.
Jésus s'invite à nos noces, même quand nous oublions de l'inviter !
Avec sa Mère, si possible avec ses disciples, qui représentent l'Eglise.
Il manque toujours quelque chose à la fête. Car tout mariage est imparfait.
Jésus prend l'eau de notre fontaine humaine, si complexe, si mélangée. Il en fait le vin d'un amour plus grand, plus beau que ce qu'on peut imaginer, un vin au goût de fête et de joie. Peut-être le goûteront-ils plus tard. Ce vin d'Evangile demeure là en réserve pour eux, pour leurs enfants. Et ça peut être le vin de l'Eucharistie.
Certains le savent... d'autres pas ! Mais le signe est là, pour la gloire gratuite de Dieu,  pour la foi en Jésus... peut-être.
Je suis pour la pastorale de Cana: "Puisez maintenant et allez l'apporter" (Jn 2,8)

Claude Ducarroz



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