Homélie
27 septembre 2015
Des bâtons dans les
roues.
On n’aime pas beaucoup ça, mais c’est bien de
cela qu’il s’agit dans les trois lectures de la liturgie de ce dimanche.
*Moïse avait tout bien planifié. Il venait
d’adouber 72 prophètes en leur transmettant une part de son esprit. Et voici
que deux autres, des marginaux non estampillés, se mettent à prophétiser à leur
tour. On comprend la colère de Josué : « Moïse, mon maître,
arrête-les ! » Et la réaction de Moïse est plutôt cinglante :
« Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! si le Seigneur pouvait faire
de tout son peuple un peuple de prophètes ». Et vlan !
* Dans l’évangile, c’est un peu la même
situation. L’un des apôtres signale à Jésus qu’un inconnu -encore un marginal-
se met à expulser les démons en son nom sans appartenir au groupe des disciples
reconnus. Et la réaction de Jésus est tout aussi déconcertante : « Ne
l’en empêchez pas ! ... Celui qui n’est pas contre nous est pour
nous. »
Conclusion : Dieu est plus magnanime que
nos petites étiquettes. L’amour du Christ déborde infiniment nos rigides
barrières. L’Esprit du Seigneur, comme le disait déjà Jésus, souffle où il
veut, autrement dit au large de nos étroites catégories mentales et même
théologiques. Et l’évangile est une puissance de Dieu que personne ne peut
confisquer au titre d’un monopole strictement réservé à quelques uns, les
privilégiés de la foi ou de l’Eglise.
Mais celui qui met le plus ses bâtons dans nos
roues, compte tenu du contexte qui est le nôtre ici et maintenant, c’est
sûrement l’apôtre Jacques. Quel prédicateur aurait eu l’audace de parler comme
lui chez nous, surtout à la veille des élections, s’il n’avait pas été obligé
de lire ce que cet apôtre a écrit pour les paroissiens de son temps ?
On ose à peine le répéter : « Vous
les riches, eh ! bien vos richesses sont pourries, vos vêtements sont
mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Le salaire dont vous
avez frustré les ouvriers crie aux oreilles du Seigneur. Malheur à vous qui
avez mené sur terre une vie de luxe et de délices. » Et vlan !
Je vous signale que, même s’il y a aussi des
pauvres parmi nous, la Suisse est dans le peloton de tête des pays les plus
riches du monde.
Reconnaissons-le : ces textes nous gênent,
sauf si nous avons pris la précaution de fermer nos oreilles et d’endurcir
notre cœur. Devant les exigences de
l’évangile, on peut mettre sa tête –ou sa conscience- dans le sable, comme
l’autruche. Et voici que la photo d’un enfant mort, sa petite tête dans le
sable sur une plage de Turquie, vient nous réveiller. Comme l’actualité, comme
l’évangile.
« Puisse tout le peuple devenir
prophète ! », disait Moïse.
Dans ce monde tel qu’il est - qu’il ne faut ni
rejeter ni haïr, mais transformer-, comment pouvons-nous être des prophètes
d’autres valeurs, quant à l’avoir, quant au pouvoir, quant au savoir, quant au
jouir ?
Et si
nous nous mettions ensemble, dans la prière et dans la méditation, pour
chercher de nouvelles voies, y compris avec celles et ceux qui ne sont
peut-être pas de notre culture, de notre parti, de notre religion ou de notre
Eglise ? Il peut y avoir des prophètes partout.
Il ne s’agit pas de cracher sur nos richesses,
dans la mesure où elles ont été gagnées par un travail honnête, sans
exploitation injuste de quiconque et sans tricheries, y compris fiscales.
Ne sommes-nous pas tous plutôt heureux de notre
relatif confort ?
Mais on doit bien reconnaître que notre société
-ne serait-ce pas à cause de ces richesses justement ?- est devenue matérialiste et hédoniste en
asséchant les spiritualités et en éloignant des religions ? N’y a-t-il pas
dans de telles accumulations matérielles des risques d’égoïsmes qui peuvent
tourner en injustice à l’égard des pauvres de chez nous et d’ailleurs ?
Sans compter les dégâts à la création, si opportunément rappelés par notre pape
François dans sa dernière encyclique.
Je ne souhaite pas culpabiliser à bon marché.
Mais dans le contexte de crise où nous sommes, n’y aurait-il pas une
opportunité ? Ne serait-il pas venu, en urgence, le temps de la réflexion,
de la remise en question et d’une certaine conversion, personnelle et
collective, même si ça nous fait mal ?
Finalement dans l’évangile, le Seigneur nous
dit aussi qu’il vaut mieux avoir une main, un pied ou un œil en moins pour
entrer dans le royaume de Dieu que de s’en aller tout entier et bien dodu dans
la géhenne de feu.
On peut aussi le dire plus positivement, comme
Jésus : « Celui qui donnera à son prochain, au nom de son
appartenance au Christ, ne serait-ce qu’un seul verre d’eau, il ne restera pas
sans récompense. » Et je suis persuadé que, dans notre contexte, nous
pouvons partager bien plus qu’un seul verre d’eau.
Seigneur, mets en nous ton Esprit. Que nous
ayons assez de courage pour être des prophètes de ton évangile dans notre
monde, de sorte que, comme l’a dit l’oraison de tout à l’heure, « sous ta
conduite, en faisant un bon usage des biens qui passent, nous puissions déjà
nous attacher à ceux qui demeurent. »
Claude Ducarroz
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