Homélie
In
memoriam 2015
15 !
Non, je ne joue pas au loto, mais je parcours
avec vous certaines années 15 particulièrement significatives.
1215 : fondation de l’ordre des Frères
prêcheurs
1315 : la bataille de Morgarten
1415 : l’exécution par le feu du
pré-réformateur Jan Huss au concile de Constance
1515 : la bataille et défaite de Marignan
1715 : la mort de Louis XIV après 70 ans
de règne
1815 : l’entrée de Genève, Valais et
Neuchâtel dans la Confédération suisse à la faveur du congrès de Vienne
1915 : le génocide arménien
2015 : nous ici, dans cette cathédrale
pour la messe In memoriam, en souvenir des soldats et autres vaillants citoyens
et citoyennes morts pour la patrie.
Il y a de tout dans cette litanie. Des bonheurs,
des erreurs et des horreurs. Des générosités jusqu’au sacrifice suprême. Des
ruptures et des accueils. En résumé : l’humanité, notre humanité, avec le
pire et le meilleur. Ce que nous sommes en somme, dans la tragique et sublime
dignité de notre liberté.
Cette ambiguïté foncière est inscrite dans le
vitrail à gauche du chœur de notre cathédrale. Des petites fribourgeoises
dansent pour célébrer le retour de la paix en 1918, après les terribles
malheurs de celle qu’on avait appelé « la grande guerre », en
espérant qu’elle serait la dernière. Les autorités sont là, sous les drapeaux
suisses déployés dans le vent de la fête. Mais au dessous des images
d’un certain bonheur retrouvé veillent deux femmes chargées de symbole :
l’histoire qui file les évènements au rouet de la vie pleine d’incertitudes et
une veuve de guerre qui pleure le prix payé pour des victoires toujours
aléatoires, tant que l’homme ne sera que l’homme dans sa commune et inquiétante
humanité.
Une veuve, l’humanité.
Or il y a deux veuves dans les textes
liturgiques de ce dimanche, tels qu’ils sont proposés partout dans l’Eglise
catholique de rite latin.
La première habite
Sarepta, une ville païenne près de la côte méditerranéenne du Liban actuel.
Avant de s’apprêter à mourir de faim, elle rassemble encore ce qui lui reste de
farine et d’huile afin de nourrir une dernière fois son fils : « Nous
mangerons et nous mourrons », dit-elle. Le prophète Elie lui propose alors
une démarche un peu folle : Ce que tu as prévu pour toi et ton fils,
donne-le moi, et le Seigneur te libérera définitivement de la famine.
Alors que tant de
riches estiment n’avoir pas encore assez pour partager avec les autres, cette
femme -qui n’avait presque plus rien- accepte de tout donner dans un geste à la
fois d’amour et de confiance. Amour du prochain et confiance en Dieu.
Mais pas sans le coup
de pouce décisif du prophète juif qui accepte de parler à cette femme païenne
et de transformer sa générosité à elle en une source de bienfaits durables pour
d’autres encore : « Et la jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase
d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait annoncé par son prophète
Elie. »
Finalement, sur l’esplanade du temple de
Jérusalem, c’est une veuve semblable que Jésus repère et met en évidence.
Tandis que les disciples se laissent impressionner par la générosité
ostentatoire des riches, Jésus –et lui seul- remarque les deux piécettes de la
pauvre veuve jetées discrètement dans le tronc des offrandes.
Et le commentaire de Jésus devrait nous toucher,
nous encore : « Tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle
a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Je passe sur toutes les applications que l’on
peut faire de ces épisodes dans le contexte où nous sommes. Je pense au drame
plus immédiat des réfugiés qui fuient la violence institutionnelle ou la misère
endémique. Je fais aussi allusion à une économie mondialisée encore incapable
de relever le défi des disparités inadmissibles entre les pays dits développés
et ceux qui n’arrivent pas encore à décoller de l’extrême et surtout inhumaine
pauvreté.
Mais nous sommes ici d’abord pour faire mémoire
de nos soldats et des membres de leurs familles touchées par leur sacrifice. La
vie n’est pas un superflu. C’est le minimum nécessaire à respecter et à
protéger. Dans les batailles évoquées plus haut, pour de bonnes et de moins
bonnes causes au jugement postérieur de l’histoire, ces hommes ont donné aussi
de leur nécessaire : leur vie.
Par une grâce extraordinaire et comme
inexplicable, nos soldats suisses, depuis près de 170 ans, n’ont pas eu à faire
le sacrifice suprême sur des champs de bataille où se mélangent trop souvent
les erreurs et les horreurs. Mais ils étaient prêts à le faire. Leur courage
les honore, leur don de soi nous oblige.
Oui, il nous invite et
nous incite à travailler, là où nous sommes, de toutes nos forces et de toutes
nos compétences, pour bâtir un monde de justice et de paix.
Voilà les autres noms
de la fraternité possible, selon notre plus profonde vocation, y compris entre
croyants de toutes religions, entre citoyens de toutes origines et cultures,
finalement entre participants d’une seule et commune humanité. Celle qui a été
créée à l’image de Dieu, celle que –nous le croyons- le Christ est venu sauver
sans barrières et sans frontières, celle que l’Esprit de Dieu cherche sans
cesse à habiter et à inspirer.
Celle que les chrétiens, avec les autres
évidemment, doivent servir humblement et efficacement, à commencer par les plus
pauvres et les plus fragiles de ses enfants. Comme le prophète Elie. Comme
notre frère et seigneur Jésus de Nazareth.
Celle que le pape François, parmi d’autres,
veut humblement accueillir, réconcilier, rassembler parce qu’il mise non sur la
puissance ou la violence, mais sur l’amour et notamment celui qu’on nomme
miséricorde.
Oui, ouvrir son cœur sur les misères
–miséricorde-, comme l’a fait le Christ en croix, comme il l’a montré et
démontré au soir de Pâques.
Et les lendemains de cette Pâque, c’est nous
aujourd’hui.
Amen
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