In memoriam 2016
Homélie
Guerre et paix.
Plusieurs fois, en seulement 40 ans –soit de
1476 à 1516-, Fribourg a été associé de près à la grande Histoire européenne.
Quelques dates suffisent à le rappeler.
* 22 juin 1476. Les troupes fribourgeoises
contribuent à la victoire des Confédérés sur le duc de Bourgogne Charles le
Téméraire à Morat. Le commandant des soldats de Fribourg, Petermann de
Faucigny, repose encore ici dans notre cathédrale.
* 22 décembre 1481. In extremis, Nicolas de
Flue empêche la guerre civile entre Suisses. Dans le traité de réconciliation
de Stans, Fribourg est admis dans la Confédération. Un vitrail de notre
cathédrale rappelle cet évènement majeur de notre histoire.
* 20 décembre 1512. La fondation du Chapitre
collégial de Saint-Nicolas à Fribourg n’est pas sans lien avec la présence de
soldats fribourgeois sur les champs de bataille des guerres d’Italie. Peter
Falk, avoyer de Fribourg, sut tirer les bonnes ficelles au Vatican pour obtenir
ce privilège.
* 15 septembre 1515. Le jeune roi de France
François 1er bat les Suisses à Marignan, près de Milan.
* Et le 29 novembre 1516 –il y a exactement 500
ans-, une paix perpétuelle est signée entre le royaume de France et les
Suisses, précisément ici à Fribourg.
Vous pourriez me
dire : que viennent faire aujourd’hui ces rappels historiques dans une
messe dominicale à la cathédrale ?
Il y a le fait que
cette célébration veut justement faire mémoire des soldats et pompiers de chez
nous qui ont offert leur vie pour notre patrie, sans oublier leurs familles qui
ont assumé les douloureuses conséquences de ces deuils. Grâce à Dieu, depuis
1848, les soldats suisses n’ont plus
jamais été engagés dans des guerres sanglantes. Mais au cours de ce qu’on
appelle « le service actif », certains sont morts sur le front de la
paix. Ils ont droit à notre reconnaissance.
Et puis, si vous avez
bien écouté l’évangile de ce jour, Jésus parle de guerres, de tremblements de
terre, d’épidémies, de persécution : autant de « phénomènes
effrayants », comme il le dit lui-même, qui renvoient étrangement à notre
actualité la plus pénible.
Qu’est-ce à dire ?
Le bon sens devrait déjà nous amener à cette
conclusion. Puisque les guerres finissent toujours par des traités de paix,
voire des pratiques de réconciliation, pourquoi ne pas commencer par là, à
savoir travailler surtout à éviter les guerres, ce qui économiserait des dégâts
incommensurables aux humains et aux trésors de la culture et de la
nature ? C’est ce qu’avait compris l’apôtre de la paix Nicolas de Flue, en
empêchant les Suisses de se faire la guerre entre eux. Et Fribourg a largement
profité de cette non-guerre.
Et puis, si le tableau brossé par Jésus est en
effet effrayant au point d’être encore réaliste aujourd’hui, il faut préciser
certaines choses, toutes contenues dans cet évangile.
* A aucun moment, Jésus invite ses disciples à
faire la guerre. Il leur signale seulement les malheurs qu’ils auront à subir
–et non pas à provoquer-, justement à cause de leurs messages et leurs
pratiques de paix dans ce monde. Oui, « on portera la main sur vous et
l’on vous persécutera …parce que vous agirez à cause de mon nom ». Donc
comme artisans de justice, de fraternité et de paix. Et il ajoute : « Cela vous
amènera à rendre témoignage. »
Comment ne pas penser
à tous ces chrétiens qui, aujourd’hui, souffrent et meurent dans certains pays,
non pas en faisant la guerre, mais en subissant les guerres des autres, y
compris de ceux qui, hélas ! instrumentalisent leur religion pour
massacrer celles et ceux qui ne pensent pas ou ne vivent pas comme eux ?
Comment ne pas se
sentir solidaires, de bien des manières, de ces frères et sœurs qui sont
martyrisés à cause de leur fidélité au nom de Jésus, ce même nom sacré qui nous
rassemble ici ce matin ? Car nous sommes dans la même Eglise.
L’évangile de ce dimanche, dans sa couleur
tragique, n’aurait-il rien à nous dire, à nous qui avons le privilège de vivre
–encore- dans une société de liberté civique et de respect des droits
humains ? Pas du tout.
Souvenez-vous. Au départ, Jésus s’est adressé à
des disciples éblouis par la beauté et la majesté du temple de Jérusalem. Et
quelques années plus tard seulement, il n’en resta pas pierre sur pierre. Nos
institutions, même démocratiques, nos succès, même économiques, nos monuments de
culture demeurent des réalisations fragiles, si nous ne les transfigurons pas
du dedans par des valeurs humaines plus profondes, qui ont nom solidarité,
justice, générosité, sens de l’accueil, respect de la création.
Et puis il y a cet avertissement : « Prenez
garde de ne pas vous laisser égarer ». Les pires catastrophes peuvent
commencer par des slogans aguicheurs, des propagandes vicieuses, des
conditionnements perfides, si bien servis aujourd’hui par la puissance presque infinie
des médias modernes qui, comme vous le savez, peuvent être la meilleure ou la
pire des choses suivant l’usage qu’on en fait.
Alors, dans ce tohu-bohu de tous les
chambardements, comme nous avons besoin, plus que jamais, de temps pour
réfléchir, de repères pour discerner, de spiritualité pour approfondir, de
souffle intérieur pour réagir avec lucidité et courage.
Quelqu’un, une fois de plus, se propose comme
compagnon de notre humanité en pèlerinage risqué en ce monde. Il nous dit,
pourvu qu’on l’écoute et qu’on le fréquente : « Je vous donnerai un
langage et une sagesse à laquelle vos adversaires ne pourront pas
s’opposer. »
Mais comme disait aussi Jésus : « Le
Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la
terre ? »
Sur la terre. Et à Fribourg ?
Souvenez-vous de la dernière phrase de
l’évangile de ce jour : « C’est par votre persévérance que vous
garderez votre vie. »
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