Homélie
Pentecôte 2019
Un violent coup de vent… des langues de feu…
Pas facile de se représenter de manière un peu
humaine qui est le Saint Esprit. C’est pourquoi certains l’ont appelé le grand
méconnu de la Sainte Trinité, au point de devenir parfois l’oublié dans la vie
des chrétiens. Heureusement, la fête de Pentecôte est là pour nous rappeler
opportunément qui il est et surtout ce qu’il fait en chacun de nous, dans
l’Eglise et dans le monde.
Et puis j’ai redécouvert qu’une autre image
pouvait nous y aider. Dans les quatre évangiles, au moment du baptême de Jésus,
il est mentionné que l’Esprit Saint est descendu sur lui « sous la forme
d’une colombe ». Mais malheureusement, le commentaire de la Traduction
œcuménique de la Bible ajoute : « Aucune interprétation certaine n’a
pu être donnée de ce symbole ». Alors je me risque à un commentaire plus
personnel que je soumets à votre méditation de baptisés ayant reçu, vous aussi,
l’Esprit de Jésus. Ne sommes-nous pas tous des enfants de la Pentecôte ?
En bonne théologie trinitaire, l’Esprit Saint,
c’est le lien d’amour infini entre le Père et le Fils, leur parfaite communion
en personne, le fruit de leur éternel baiser. Précisément, lors du baptême de
Jésus, c’est toute la Trinité qui s’exprime au moment où Jésus de Nazareth
reçoit du Père par une voix céleste la révélation de ce qu’il est –« Tu es
mon fils, le bienaimé »- en même temps que le Souffle divin qui va lui
permettre d’accomplir sa mission de Sauveur comme Agneau de Dieu qui ôte le
péché de monde.
Et cet Esprit va demeurer sur le Christ
jusqu’au moment où Jésus le transmettra à ses disciples, et plus largement à
toute l’humanité. L’évangéliste Jean note que Jésus, au moment de sa mort en
croix, a transmis l’Esprit, première Pentecôte universelle. Et l’évangéliste
Luc parlera en quelque sorte du même évènement, sur l’Eglise d’abord réunie au
Cénacle lors de la Pentecôte, mais sans oublier le vaste monde puisque, sur la
place, des gens issus de toutes les cultures entendirent, chacun dans sa
langue, parler des merveilles de Dieu.
Et la colombe
alors ?
Pour voler, elle a besoin de deux ailes
inséparables et coordonnées. Et nous aussi, pour être de vrais chrétiens,
abreuvés du Saint Esprit, comme dit saint Paul (ICo 12,13), il nous faut voler
de deux ailes, sur le vent de ce même Esprit, si nous voulons bien nous laisser
conduire par lui. L’aile de la fidélité et l’aile de la liberté.
La fidélité d’abord, car l’inhabitation du
Saint Esprit, qui fait de nous des enfants de Dieu et des héritiers avec le Christ,
suscite en nous un profond attachement aux divers mystères révélés par
l’évangile de Jésus. L’Esprit nous rappelle tout cela.
Sa parole à méditer et à goûter, son repas
pascal à refaire en mémoire de lui, sa miséricorde à demander dans l’humilité
et à accueillir dans la reconnaissance. Et même son Eglise –si imparfaite
qu’elle soit- justement parce qu’elle
est le temple de l’Esprit et le Corps du Christ.
Face à toutes ces merveilles et à bien d’autres
encore, l’Esprit nous incite à tenir bon dans la solidité de la foi, dans le
courage de l’espérance, dans la vaillance de l’amour, dans la fidélité aux
valeurs de l’Evangile.
Et la
prière, murmure de l’Esprit de Dieu qui habite en nous, nous ramène toujours à
ce cri qui répète Abba, le balbutiement des enfants de Dieu bouleversés par la
tendre majesté de Dieu le Père.
Mais il y a aussi l’aile de la liberté,
puisque, nous l’a rappelé l’apôtre Paul, « nous n’avons pas reçu un Esprit
qui ferait de nous des esclaves qui ont peur », mais un Esprit de fils et
filles debout, un Esprit dont les fruits sont amour, paix et joie, sans oublier
la liberté, car nous avons été appelés à la liberté (Gal 5,13) et là où est
l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. (IICo 3,17).
Dans le contexte où nous vivons, dans une société
qui semble s’éloigner des valeurs de l’Evangile, dans une Eglise secouée par de
pénibles évènements, Dieu sait si nous avons besoin de voler de nos deux ailes.
Celle de la fidélité à tout l’essentiel venu du Christ mort et ressuscité, qui
nous fait vivre en promis au Royaume de Dieu, et celle de la liberté qui nous
permet de trouver des chemins - peut-être inédits- pour le renouveau de la vie
évangélique et ecclésiale dans notre monde.
Toujours revenir au Christ Jésus, témoigner
pour sa parole, vivre de sa présence, tenir fermement dans la communion de
l’Eglise. Mais aussi laisser l’Esprit, comme il est dit, souffler où il veut,
que ce soit dans des initiatives étonnantes pour exprimer ces témoignages, ou sur
des chemins de réformes –si nécessaires- pour la vie de l’Eglise, ou encore
dans des prises de positions qui peuvent parfois déranger nos habitudes, pourvu
que ce qui est écrit de manière critique dans les marges reste sur la page de
la fidélité au Christ et de la fraternité en Eglise.
On le sait bien : les chrétiens,
aujourd’hui comme hier, choisissent parfois leur aile. Tantôt certains veulent
d’abord persévérer jusqu’à l’obstination dans la voie des traditions qu’ils
jugent essentielles, tantôt d’autres veulent surtout explorer les chemins de
fascinantes libertés pour des renouveaux qu’ils souhaitent bénéfiques.
L’Eglise ne serait-elle pas le lieu où ces deux
ailes peuvent et même doivent battre ensemble, chacune avec ses priorités
respectables, mais jamais dans l’exclusion de l’autre, et plutôt dans la
collaboration de tous ?
Car nous avons un urgent besoin d’une nouvelle Pentecôte
de vent et de feu, qui puisse continuer à incendier le monde par l’amour,
réchauffer l’Eglise et l’éclairer du dedans, sans jamais oublier que le souffle
vital, c’est justement l’Esprit Saint, celui qui renouvelle sans cesse la face
de la terre.
« Puisque l’Esprit est notre vie, dit
saint Paul, que l’Esprit nous fasse aussi agir » (Gal 5,25).
Claude Ducarroz
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