samedi 16 janvier 2010

Année sacerdotale

Incantations, dénis, défis

Est-ce le début d’une tradition ? L’Eglise catholique cède à la mode des « années » thématiques. Après la commémoration des apparitions de Marie à Lourdes (2007-2008), après « l’année saint Paul » (2008-2009), voici « l’année sacerdotale » (2009-2010) promulguée par le pape Benoît XVI à l’occasion des 150 ans de la mort de saint Jean-Marie Vianney, patron de tous les curés du monde, en passe de devenir le patron de tous les prêtres.

Le but de cette commémoration est indiqué par le pape dans sa « lettre d’indiction » (16 juin 2009) : « Promouvoir un engagement de renouveau intérieur de tous les prêtres afin de rendre plus incisif et plus vigoureux leur témoignage évangélique dans le monde ». Il ajoute une prière à la Vierge Sainte afin qu’elle « suscite dans l’âme de chaque prêtre un renouveau généreux des idéaux de donation totale au Christ et à l’Eglise ».
En mettant en exergue la figure et le ministère du Curé d’Ars (1786-1859), le pape a rappelé des formules marquées par une spiritualité qui sent son temps, à savoir un certain cléricalisme sacramentel. Il suffit de citer, par exemple, ces mots dont Benoît XVI reconnaît qu’ils peuvent sembler excessifs, tout en les qualifiant de « points de référence significatifs » : « Après Dieu, le prêtre, c’est tout ! … Sans le prêtre, la mort et la passion du Christ ne serviraient à rien… Si nous n’avions pas le sacrement de l’ordre, nous n’aurions pas Notre-Seigneur…Le prêtre a la clef des trésors célestes, c’est lui qui ouvre la porte… »
Derrière ces pieuses exagérations, il y a évidemment toute une théologie du sacerdoce dont les théologiens, à la suite du concile Vatican II, remettent en question les ambiguïtés cachées sous ces formules édifiantes.

Quel sacerdoce ?
Le sacerdoce, c’est d’abord, en plénitude, celui du Christ-Prêtre, tel que le définit l’épître aux Hébreux pour démontrer que la filière sacerdotale de la première alliance s’épanouit –et en même temps s’évanouit- dans l’oblation du Christ sur la croix. Il est celui qui offre et celui qui est offert « une fois pour toutes ». Par ailleurs le peuple sacerdotal, en même temps que royal et prophétique, c’est l’ensemble des baptisés qui offrent leur vie en communion avec le sacrifice du Christ, ainsi que le soulignent à la fois Pierre (Cf. IP 2,5 et 9) et Paul (Cf. Rm 12,1-2). En rigueur de termes, on ne peut parler d’un sacerdoce ministériel, une expression attribuée aux presbytres seulement à la fin du 4ème siècle par un glissement de vocabulaire calqué sur les « sacerdotes « de l’Ancien Testament. (1) Benoît XVI utilise pourtant l’expression « sacrement du sacerdoce » en pensant à l’ordination presbytérale. Les théologiens actuels estiment plutôt qu’il y a une dimension « sacerdotale » dans le ministère pastoral des presbytres ou épiscopes, ces collaborateurs des apôtres placés à la tête des premières communautés. Ils exercent un certain « sacerdoce fonctionnel » lorsqu’ils président les sacrements –et surtout l’eucharistie- en devenant de simples instruments humains qui permettent au Christ d’agir pleinement par les énergies de l’Esprit. (2). On peut s’appuyer pour cela sur l’affirmation de Paul qui se définit comme « un officiant (liturge) de Jésus-Christ auprès des païens, consacré au ministère de l’Evangile de Dieu, afin que ces païens deviennent une offrande agréable à Dieu, sanctifiée par l’Esprit Saint » (Rm 15,16). Même après le concile Vatican II –qui ne cite le « sacerdoce ministériel » qu’une seule fois (Cf. Lumen gentium no 10)-, la « sacerdotalisation » des prêtres demeure dominante dans la conscience et la spiritualité de nombreux prêtres, dont Benoît XVI, d’autant plus que la préface consécratoire pour l’ordination des prêtres fait plusieurs allusions aux grands prêtres et lévites de l’Ancienne Alliance « qui annoncent les sacrements à venir. »

Ce n’est pas la vision théologique du saint Curé d’Ars qui va recentrer bibliquement la figure et la mission du prêtre aujourd’hui, lui qui disait : « Dieu obéit au prêtre. Il dit deux mots et Notre Seigneur descend du ciel à sa voix et se renferme dans une petite hostie. » Est-ce à dire que l’année sacerdotale va nous enfermer, nous aussi, dans un sacerdoce immuable jusque dans ses traductions les plus datées ?

Rappels et appels
Benoît XVI a le souci de rappeler la reconnaissance que l’Eglise tient à exprimer aux vaillants prêtres en exercice. Il est plein de compassion pour ceux qui traversent des situations de souffrance, qui sont peut-être « bafoués dans leur dignité ou empêchés d’accomplir leur mission, parfois même persécutés jusqu’au témoignage suprême du sang ». Il mentionne aussi l’infidélité de certains ministres qui provoquent « scandale et refus ». Positivement, il encourage deux fois les prêtres à inventer des espaces de collaboration qui s’ouvrent toujours davantage aux laïcs, selon un rappel opportun de Vatican II (Cf. Ministère et vie des prêtres no 9). Les prêtres « ne doivent jamais se résigner à voir les confessionnaux désertés », ils doivent « remettre le sacrement de Pénitence au centre de leurs préoccupations pastorales … comme une exigence intime de la Présence eucharistique ». De belles interrogations sur la fréquentation de la Parole de Dieu -« qui doit façonner réellement notre vie et informer notre pensée »- voisinent avec l’insistance sur une chasteté « nécessaire à celui qui doit habituellement toucher l’eucharistie ». Un appel est lancé, qui vise à accentuer la communion des prêtres avec leur évêque et entre eux. Dans ce contexte, il accueille comme un nouveau printemps la grâce des Mouvements ecclésiaux et nouvelles Communautés que l’Esprit suscite de nos jours dans l’Eglise.

Que dit l’Esprit aux Eglises ?
De toute évidence, Benoît XVI s’inscrit dans « un renouveau sacerdotal » de type traditionnel, adossé à l’exemple de sainteté fourni par le Curé d’Ars. Y a-t-il une « re-visitation » des données bibliques sur les ministères ? Y a-t-il prise en compte de la situation réelle -et critique- des prêtres d’aujourd’hui, du moins dans l’hémisphère Nord de notre Eglise ? Y a-t-il une analyse qui ressemblerait à une considération lucide des « signes des temps » dans la question des ministères et charismes ? Y a-t-il une écoute du peuple de Dieu, tel qu’il s’exprime depuis longtemps sur l’avenir du ministère presbytéral dans les synodes et autres assemblées ecclésiales ?
Il faut répondre non. Ou alors les solutions sont à chercher dans les « recettes » traditionnelles –une expression du Curé d’Ars - qui ont certes toujours leur pertinence et leur valeur, à savoir la prière, la messe quotidienne et la confession fréquente, la sainteté de vie de type monastique, les mortifications, le zèle apostolique et surtout l’amitié personnelle avec Jésus, comme un « amoureux ». Mais tout cela ne devrait pas nous empêcher, en Eglise, de voir les réalités en face et de tracer des chemins nouveaux pour actualiser un service évangélique toujours aussi utile et même nécessaire. Il nous faut passer des rappels incantatoires trop commodes à des réflexions plus audacieuses qui exorcisent les dénis et nous donnent le courage d’imaginer des formes peut-être inédites. En un mot : entendre ensemble ce que l’Esprit dit aux Eglises (Cf. Ap 2,29).

De nouvelles figures du prêtre ?
La raréfaction drastique et dramatique du nombre des prêtres, le vieillissement accéléré du corps presbytéral entraînent des conséquences douloureuses pour nos communautés chrétiennes, et d’abord pour leurs serviteurs prêtres qui sont encore en fonction, souvent jusqu’aux limites –inhumaines- de leurs forces. (3) L’assèchement spirituel, un déficit de formation permanente, un épuisement humain marquent beaucoup de prêtres restants. La requalification ministérielle et la collaboration des laïcs -bienvenues et généralement appréciées- ne peuvent pas compenser le manque de ministres ordonnés quand ceux-ci héritent de territoires immenses et de paroisses ou unités pastorales toujours plus nombreuses. Quel temps reste-t-il pour l’évangélisation de ceux qui sont au loin, alors que le premier service du prêtre, selon le concile Vatican II, consiste en « l’annonce de l’évangile de Dieu à tous les hommes » (Cf. Décret sur le ministère et la vie des prêtres no 4) ? Devant la précarité et même la misère -quantitatives et parfois aussi qualitatives- du ministère presbytéral chez nous, nous ne pouvons rester indifférents. Il ne suffit pas de répéter des appels angoissés à imiter le Curé d’Ars, si respectable et impressionnante que soit sa sainte personne. Il faut redéfinir l’identité et le « cahier des charges » du prêtre dans le contexte de notre société sécularisée. Comment traduire concrètement aujourd’hui les trois missions du prêtre : évangéliser, célébrer, animer la communion ? Il faut inventer de nouveaux chemins d’accès au ministère presbytéral. Il faut reconsidérer l’obligation universelle du célibat, qui d’ailleurs n’est absolue que dans l’Eglise latine et seulement depuis le 12ème siècle, (4) ce qui prouve que cette discipline peut être remise en question. On le fera avec prudence évidemment, autrement dit sans affecter le contenu essentiel et original du ministère des prêtres qui seront toujours présents et présidents pour rappeler, réellement et symboliquement, la priorité et la gratuité de la grâce christique dans l’être et l’action des chrétiens. (5) Peut-être faut-il se poser la question de la réinsertion de certains prêtres dispensés de l’obligation du célibat, qui seraient prêts à se remettre généreusement au service de communautés qui les accueilleraient volontiers. Peut-être faut-il lever le tabou de l’éventuelle ordination des femmes, ce qui aurait aussi l’avantage de détendre le dialogue avec les Eglises protestantes sur ce point. (6)
Bref, tout en gardant fidèlement le cœur biblique et sacramentel du service des prêtres comme collaborateurs des évêques au bénéfice évangélique des communautés chrétiennes « sacerdotales », il faut reconsidérer le modèle hérité du Moyen Age et confirmé au temps de la Contre-Réforme. Actuellement, il est parvenu en bout de course si l’on prend au sérieux la grave crise que nous traversons. Je veux parler justement du modèle sacerdotal « à l’ancienne » qui doit faire place à une figure de proximité, moins sacrale et plus pastorale, ce qui implique une articulation retrouvée avec les autres ministères et charismes, par exemple ceux du diaconat permanent et ceux des laïcs et religieux engagés en Eglise.

Le catéchisme romain issu de concile de Trente (en 1566) enseigne que « les prêtres sont appelés à juste titre non seulement anges mais même dieux parce qu’ils représentent auprès de nous la puissance et la majesté du Dieu immortel ».
Il est temps de revenir sur terre pour mieux servir aujourd’hui le Royaume de Dieu annoncé par le Christ de l’Evangile.

Claude Ducarroz

1) Malheureusement la langue française n’a qu’un seul mot –prêtre- pour exprimer deux réalités fort différentes : les « presbyteroi » (anciens) des premières communautés chrétiennes, calqués sur l’organisation de la synagogue, et les « hiereus » (sacrificateurs) qui renvoient à leur mise à part sacrée pour présider aux liturgies sanglantes du temple.
2) Cf. par exemple Hervé Legrand dans le Dictionnaire critique de théologie PUF p. 1027, qui note cependant que « le sacerdoce n’est jamais donné par le Nouveau Testament comme fondement d’un ministère ».
3) En France, il y avait 41.000 prêtres en 1965. Ils sont actuellement 22.000. Chaque année, une petite centaine de prêtres diocésains sont ordonnés. Il y en avait 10 fois plus en 1970. Au diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (700.000 catholiques), il y a actuellement 4 séminaristes, 86 prêtres ont moins de 50 ans et 203 plus de 60 ans.
4) Exactement depuis le concile Latran II (1139) qui, en son canon 7, rend invalide le mariage des prêtres.
5) C’est ce que veut mettre en évidence le concile Vatican II (Lumen gentium no 10) quand il dit qu’il y a « une différence essentielle et non seulement de degré » entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique.
6) Ces « recommandations » ont déjà été respectueusement formulées par les synodes 1972 aux numéros 106 à 112 et 412 et 413, ainsi que par l’assemblée diocésaine AD2000, document 7/III et IV.

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