lundi 18 janvier 2010

Les tribulations d'un sacrement

Finies, les absolutions collectives !
Les tribulations d’un sacrement

Pauvre confession ! On l’avait rebaptisée « sacrement de la réconciliation ». Voici qu’elle redevient très « pénitentielle ». En effet, par un décret du 1er janvier 2009, les évêques suisses suppriment l’autorisation de donner l’absolution collective puisque seul le danger imminent de mort pourrait encore la justifier chez nous. Autant dire : jamais ! (1)

Que s’est-il passé ?
La manière de comprendre et de célébrer ce sacrement a beaucoup évolué au cours des siècles. Aucun sacrement n’a subi autant de variations, y compris dans l’impact concret qu’il eut dans la conscience, la piété et l’existence des chrétiens. (2) Jusqu’à l’époque du concile Vatican II où, selon un théologien, « le lieu (le confessionnal), la durée (quelques minutes), le style (chuchotant) en faisaient le degré zéro de ce que doit être une célébration liturgique ».(3) Sauf respect pour la grâce du pardon, évidemment !
Si les chrétiens –même les plus fervents- ont peu à peu délaissé ce sacrement, ce n’est pas d’abord parce qu’ils n’en voyaient plus la nécessité. C’est parce qu’il avait trop souvent péché lui-même par des pratiques inquisitoriales et angoissantes, dont peuvent témoigner encore de nombreux pénitents. Il y eut –et il y a encore- dans notre Eglise trop de « cabossés de la confession ». Car des hypertrophies malsaines focalisaient davantage l’attention sur le péché -en tous ses états- que sur la bonne nouvelle du pardon, sur l’individu isolé que sur la communauté, sur le Dieu vengeur que sur le Père des miséricordes. Il fallait donc que ce sacrement passe lui-même par une sérieuse cure de conversion.

Et puis vint le concile Vatican II
C’est ce que le concile Vatican II a initié quand il dit que « la célébration commune, avec participation active des fidèles, (…) doit l’emporter sur la célébration individuelle et quasi privée », en précisant que « ça vaut aussi pour l’administration des sacrements.» (Constitution sur la liturgie no 27).
Concernant le sacrement de pénitence, il a fallu attendre 1973 - puis 1978 pour la version en français (4)- avant de voir les premiers effets de la réforme annoncée. Et ils furent d’importance.
Le rituel promeut une célébration renouvelée qui comporte un accueil réciproque fraternel, une écoute de la Parole de Dieu, une confession de la miséricorde autant que du péché, le rite biblique de l’imposition des mains et un envoi dans le monde comme témoin de la réconciliation, etc…
C’est une toute autre ambiance, qui s’exprima jusque dans le mobilier. Des lieux d’accueil sympathiques remplacèrent les confessionnaux obscurs, poussiéreux et grillagés… une invention de 1565 seulement ! Bien sûr, les attitudes intérieures demeurent semblables parce qu’elles sont héritées de l’Evangile, à savoir la confiance en l’amour de Dieu, la reconnaissance et le regret de son péché, la volonté de conversion et de réparation. N’empêche que le pardon libérateur l’emporte désormais sur les efforts pénitentiels, comme la miséricorde de Dieu est heureusement plus forte que nos misères humaines.
Mais la nouveauté la plus visible surgit ailleurs. Le rituel, en effet, élargit les formes possibles du sacrement, en consacrant les célébrations communautaires avec confession et absolution individuelles, et surtout en autorisant des célébrations avec confession et absolution collectives. Une sorte de révolution, encore que ce terme ne soit pas adéquat pour qui connaît les nombreux virages déjà accomplis dans sa longue histoire par ce sacrement décidemment très élastique en ses rites.
L’absolution collective –qu’il vaudrait mieux appeler communautaire- est possible « lorsque, vu le nombre de pénitents, il n’y a pas suffisamment de confesseurs à leur disposition pour entendre comme il le faut la confession de chacun dans des limites de temps convenable, en sorte que les pénitents seraient contraints de demeurer privés -sans faute de leur part- de la grâce sacramentelle ou de la sainte communion. » (Rituel en français no 45). Il appartint aux évêques de décider quand il est permis de donner cette absolution sacramentelle collective. Ce que les évêques suisses ont fait par un décret de 1974. Mais, précisent les évêques, « il faut rappeler chaque fois l’obligation pour les pénitents ayant conscience de fautes graves de les accuser à un prêtre avant une autre absolution collective. » Non pas que de tels péchés ne soient pas pardonnés au moment de l’absolution collective, mais parce que de telles situations exigent l’appoint de conseils compétents pour favoriser le discernement et encourager l’authentique conversion du pécheur.
La diffusion de l’absolution collective dans plusieurs diocèses suisses a changé les habitudes des catholiques. Certains sont revenus à ce sacrement qu’ils avaient délaissé à cause des critiques (légitimes) que l’on sait. Mais le fait de le recevoir désormais uniquement sous sa forme communautaire a provoqué une désaffection dommageable de sa forme personnelle. N’allait-on pas vers des confessions trop faciles, vers un pardon au rabais ?
Il faut cependant le reconnaître : tant les fidèles que les pasteurs tirent de cette liturgie pénitentielle un bilan très positif. De telles célébrations sont devenues des moments forts de l’année liturgique, pour les personnes comme pour les communautés, notamment avant Noël et avant Pâques. L’impact de la Parole de Dieu, le renouveau de l’examen de conscience, l’image d’un peuple nombreux rassemblé pour accueillir le signe du pardon : tout cela, lorsque la liturgie est bien préparée et bien animée, constitue une expérience d’évangile profonde et féconde. C’est pourquoi les « pratiquants » de ces cérémonies restent très attachés à cette forme de réconciliation sacramentelle. Il faut les écouter.

Retour en arrière ?
Qu’en pensa-t-on à Rome ? Pas beaucoup de bien, il faut le remarquer, et les évêques suisses sont bien placés pour le savoir. De la part des dicastères du Vatican et de la part du pape lui-même, ont paru en rafale des mises en garde, des précisions en forme de restrictions, des pressions pour que cessent de telles anomalies jugées contraires à l’esprit –sinon à la lettre- des documents officiels. La liste de ces coups de frein est très longue.(5) Le Code de droit canon (1983) et le Catéchisme de l’Eglise catholique (1992) ont donné le coup de grâces à ces liturgies, tandis que les évêques suisses traînaient les pieds pour obtempérer aux ordres de Rome qui leur enjoignait de mettre fin à ces déplorables « spécialités suisses ». C’est ce que nos évêques ont fait par le décret du 1er janvier 2009, un écrit typiquement juridique puisqu’on y renvoie au droit canon et à d’autres documents romains à 12 reprises sans jamais citer une seule fois l’évangile explicitement. Avec un argument jugé imparable : l’aveu personnel verbal et l’absolution individuelle sont constitutifs de ce sacrement, même si, paradoxalement, les absolutions collectives reçues jusqu’à ce jour sont, malgré tout, considérées comme valides.
Soyons positifs. Nos évêques rappellent opportunément qu’il y a bien des manières d’obtenir le pardon divin, lequel demeure un cadeau gratuit. Il suffit de penser, en méditant les textes bibliques, au baptême d’abord –évidemment-, puis au partage entre frères, à l’engagement apostolique, à la prière sincère, à l’offrande de ses souffrances, à la participation à l’eucharistie « en rémission des péchés », etc… Nos évêques encouragent toujours les célébrations communautaires, mais avec absolution individuelle, ces cérémonies hybrides qui ne permettent pas toujours une vraie rencontre personnelle quand les fidèles doivent passer auprès d’un prêtre (pressé) pour recevoir une (rapide) absolution. Ils nous rappellent ensuite que les péchés dits « véniels » n’exigent pas une absolution sacramentelle. Mais encore faut-il savoir distinguer les diverses « sortes de péchés », un sujet que le Catéchisme de l’Eglise catholique tente d’expliquer en ….11 numéros (1854-1864). Ces célébrations non-sacramentelles, suffisantes pour le pardon des « petits péchés », peuvent être présidées par des laïcs (hommes et femmes), qui choisiront une « absolution déprécative » (« Que le Seigneur vous pardonne… »), ce qui fut la formule de l’absolution sacramentelle en Occident jusqu’au 13ème siècle et demeure telle dans les Eglises d’Orient. Bonjour les confusions !

Pour un vrai renouveau
Théologiquement, il faut redire que l’Eglise, dans le registre des sacrements, doit être fidèle à leurs contenus mystériques hérités de l’évangile, tels qu’ils se sont ritualisés dans les premières communautés chrétiennes. Mais quant aux formes, rites et conditions, l’Eglise a parfaitement le droit de trouver à chaque époque les meilleures expressions possibles, compte tenu des circonstances de temps et de lieux. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait, pratiquement pour tous les sacrements, au cours de son histoire fort complexe. Les différences, parfois très grandes et toujours significatives, entre l’Orient et l’Occident sont là pour en témoigner.
Dès lors recourir aux exemples du Nouveau Testament, en passant par les Pères de l’Eglise jusqu’à tous les développements ultérieurs, pour revenir en arrière en imposant à tout prix l’aveu personnel et le pardon individuel, c’est un peu court. Comme si ces témoignages étaient clairs et univoques alors qu’ils sont variés et contrastés.
Dans l’Evangile lui-même, toutes les formes de pardon sont repérables dans les rencontres de Jésus avec les pécheurs, depuis ceux qui ne dirent rien (par exemple le paralytique en Mc 2 et la femme adultère en Jn 8) jusqu’aux pardonnés « collectivement » par le Christ sur la croix en Lc 23,34. Tous avaient besoin du salut et il était offert à tous : là est l’essentiel. N’est-ce pas pour manifester cela qu’on trouve des serviteurs du pardon dans l’évangile (Cf. Jn 20,23) et des ministères de la réconciliation chez saint Paul (Cf. II Co 5,18-19), mais dans le cadre de communautés tout entières réconciliatrices (Cf. Mt 18 et Jc 5,16) ? Peut-on déjà en déduire une pratique sacramentelle précise et codifiée ?
Une théologie purement archéologique ne résout pas les questions d’aujourd’hui. Il faut avoir le courage de refonder ce sacrement sur les bases les plus solides de l’évangile, à savoir les rencontres du Seigneur avec les pécheurs et les exclus, mais en tenant compte des évolutions sociales et ecclésiales, par exemple le manque de prêtres et la prise de conscience de la responsabilité communautaire. C’est ce que le concile Vatican II a essayé de faire.
Sans doute chaque réforme, en insistant sur tel ou tel aspect, risque de laisser un peu dans l’ombre d’autres dimensions. Il appartient à nos pasteurs de les rappeler pour qu’elles ne soient pas oubliées. Nous sommes encore nombreux à avoir subi les graves dérives des pratiques pénitentielles anciennes. On peut faire mieux aujourd’hui, et on doit le faire.(6) C’est un beau chantier pour une Eglise enracinée dans l’Evangile, mais tournée vers l’avenir.
Il faut souhaiter qu’une nouvelle réflexion sur le fond, au-delà des interdits, suscite une certaine créativité liturgique afin que la pluralité des formes, heureusement permises après le concile, ne soit pas abandonnée. Car il est bon que les chrétiens, suivant les conditions dans lesquelles ils se trouvent, puissent avoir un certain choix dans l’approche liturgique d’un pardon qui, quelles que soient les formes qu’il endosse, restera toujours une merveilleuse grâce de libération et de paix dont nous avons tous besoin sur le chemin difficile de nos existences imparfaites.
Claude Ducarroz

1) Les documents de la Conférence des évêques suisses sont disponibles sur www.sbk-ces-cvs.ch
2) Pour en savoir davantage : Philippe Rouillard – Histoire de la pénitence des origines à nos jours - Cerf 1996
3) Cf. Louis-Marie Chauvet - Le Sacrement du Pardon entre hier et demain - Desclée 1993 p.74
4) On ne peut que recommander la lecture des orientations doctrinales et pastorales de ce nouveau rituel – Chalet-Tardy 1978 pp. 9-27
5) Cf. Bernard Rey – Pour des célébrations pénitentielles dans l’esprit de Vatican II - Cerf 1995 Le chapitre IX : Le Saint-Siège et les célébrations communautaires
6) L’abbé François-Xavier Amerdt a émis quelques bonnes suggestions dans un article en annexe du décret des évêques suisses du 1er janvier 2009.

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