Homélie du 3ème dimanche de Pâques 2012
Comme on les comprend, n’est-ce pas ? ces hommes frappés de stupeur et de crainte, qui croyaient voir un esprit. Parce que, aujourd’hui comme jadis, croire à la résurrection relève du défi. Que ce soit la résurrection de Jésus dans le passé ou notre résurrection à nous dans l’avenir.
Une enquête sérieuse, menée par un journal catholique en France avant la fête de Pâques, montre que seuls 10% des Français croient en la résurrection auprès de Dieu, tandis que 7% préfèrent la réincarnation, alors que 33% croient en quelque chose après la mort sans pouvoir le définir et 43% ne croient en rien. Il faut certes nuancer : chez les catholiques pratiquants réguliers, 57% s’attendent à la résurrection après la mort, mais les 43 autres % sont fort embarrassés dans leurs réponses, partagés entre quelque chose -29%- et même rien – 8%. Décidemment, la résurrection, qui est au cœur de la foi chrétienne, ne va pas de soi par les temps qui courent, même –semble-t-il - parmi de nombreux chrétiens.
Jésus lui-même parait étonné par la réaction de ses disciples, qui ont de la peine à se rendre à l’évidence de sa nouvelle présence au milieu d’eux après sa mort. « Pourquoi êtes-vous bouleversés ?, leur dit-il, et pourquoi ces pensées qui surgissent en vous ? »
Il leur montre alors ses mains et ses pieds, et leur propose de manger avec eux, avec cette remarque très réaliste : « C’est bien moi, touchez-moi, regardez ! » Jésus ne veut pas les laisser dans le doute ni les abandonner aux mirages du fantôme ou de l’illusion.
Mais ce qui suit est encore plus décisif, car c’est bien là que nous en sommes, nous, qui n’avons pas pu manger et boire avec Jésus après sa résurrection. Finalement, il les renvoie, eux aussi, à l’intelligence des Ecritures. Car « il fallait que s’accomplisse en lui ce qui était annoncé dans la loi de Moïse, les prophètes et les Psaumes. »
Autrement dit, personne –et pas même les Apôtres au soir de Pâques- ne peut faire l’économie du passage par la Bible. Plus précisément encore, personne ne peut éviter, quand il s’agit du mystère pascal de Jésus, le saut de la foi à partir de la confrontation aux Ecritures, proclamées, expliquées et comprises dans la communauté de l’Eglise. « Heureux plutôt ceux qui croient sans avoir vu », dit Jésus à Thomas, alors même qu’il était invité à toucher le corps du Ressuscité.
C’est notre situation à nous : nous avons le témoignage des prophètes et des apôtres tel qu’il nous est accessible dans les Ecritures. Après cela, il nous reste à faire le pas personnel de la foi, celui que personne ne peut faire à notre place. On peut alors comprendre –sans les juger évidemment- que beaucoup n’y parviennent pas, ou pas encore, tant cette démarche est intime, personnelle et finalement mystérieuse.
Après la foi pascale, Jésus propose une deuxième étape, ce qu’il appelle la conversion. On pourrait traduire cela ainsi : quand on croit à la résurrection, ça change, ça doit changer la vie. On ne peut plus vivre comme avant. Exister en ce monde comme des promis à la résurrection, c’est un sacré bouleversement dans notre destinée.
D’une part notre vie ne conduit pas à une mort qui aurait le dernier mot puisque celui qui a vaincu la mort nous offre sa résurrection, lui l’aîné d’une multitude de frères et sœurs, à savoir nous. Nous savons –ou du moins nous croyons- que notre existence transcende la fatalité de la mort pour déboucher sur une existence éternelle dans la maison de Dieu, là où il y a de la place pour beaucoup de monde.
Mais cette espérance, jaillie au matin de Pâques avec la résurrection de Jésus, a aussi une influence énorme sur la manière de conduire notre vie –tant personnelle que communautaire- dès ici-bas. De nouvelles valeurs s’imposent, ou alors le Christ est mort et ressuscité pour rien. Ce qui doit nous guider dans nos choix dorénavant, c’est l’amour de Dieu et du prochain, la recherche de la paix entre les hommes et les peuples, la justice sociale, et d’abord au bénéfice des plus faibles et des plus pauvres. C’est la construction d’une humanité nouvelle, plus solidaire, plus fraternelle, plus respectueuse de la vie, de la création, de la dimension spirituelle de tout être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Tout un programme concret pour les enfants de la Pâque, que nous sommes.
Enfin, Jésus ressuscité ne nous laisse pas tranquilles, car nous ne sommes pas ici-bas comme des voyageurs qui somnolent dans une salle d’attente dans l’espérance qu’arrive le train de l’éternité. Les promis à la résurrection sont des envoyés à toutes les nations. Vous l’avez entendu : « De tout cela, c’est vous qui en êtes les témoins. »
Ce noble devoir de témoigner pour le Christ, d’oeuvrer en Eglise, est d’autant plus urgent dans le contexte d’aujourd’hui. Nous avons la chance de vivre dans une société où la liberté de conscience, de religion et de culte est globalement assurée. Une telle liberté vaut évidemment pour tout le monde, dans le cadre du respect des lois démocratiques. Il me semble que d’autres religions et idéologies en profitent largement, parfois avec un certain zèle frisant la propagande, alors que les chrétiens sont devenus bien timides, souvent gênés, parfois honteux dans l’affirmation de leur foi. Il ne s’agit pas de mener de grandes démonstrations triomphalistes, mais d’exprimer, humblement mais sans mauvaise pudeur, quelle est notre foi, en rendant témoignage à celui qui donne un sens à notre vie et à notre mort. Pourquoi serions-nous les seuls à nous gêner de rendre compte devant les autres de notre foi religieuse ?
De cette foi, même si elle est devenue une parmi d’autres, c’est vous qui en êtes les témoins, nous répète Jésus. Il n’y a pas à en rougir, dans la mesure où elle nous invite à mieux servir Dieu et à mieux aimer nos frères et sœurs, quels qu’ils soient, y compris celles et ceux qui ne pensent pas comme nous ou pratiquent d’autres religions, à moins qu’ils n’en aient aucune, ce qui est de plus en plus fréquent chez nous.
« Devant tout le peuple, Pierre prit la parole », racontent les Actes des apôtres. Pierre, aujourd’hui, ce n’est pas seulement le pape. C’est chacun de nous.
Claude Ducarroz
samedi 21 avril 2012
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