dimanche 15 avril 2012

Homélie pour le dimanche de la miséricorde

Homélie pour le dimanche de la miséricorde


Miséricorde. Un seul mot, et tout est dit. Il y a tout dans ce mot-là, et Dieu et nous. Et surtout la rencontre entre nous deux.
La miséricorde ou le cœur sur une misère. Le cœur de Dieu sur nos misères. Et tout est transfiguré.

La misère, les misères : on connaît ça.
* Il y a celles du corps, pas faciles à assumer, quand il s’agit de l’âge, du handicap, de la maladie. Il vaut mieux être jeune, beau et en bonne santé, n’est-ce pas ?, si l’on en croit les slogans des publicités à la mode. Savent-ils, ces top modèles, qu’un jour aussi, comme tout le monde, ils seront vieux, moches ou malades ?
* Il y a les misères du cœur, connues ou cachées, quand on se sent trahi, exclu ou ignoré, quand les liens affectifs se relâchent, jusqu’à la solitude, quand on finit par s’estimer « de trop » au milieu de la foule indifférente, parce qu’on est non rentable ou étranger, ou tout simplement différent.
* Et puis il y a ces misères de l’esprit, le non-sens d’une existence sans but ou sans perspective, le vertige philosophique, la détresse spirituelle de ceux qui se retrouvent sans foi ni loi, pauvres feuilles sèches ballottées sur le torrent des passions ou des cultures du néant.

Et il y aurait, en réserve quelque part, un cœur ouvert pour ceux-là, pour nous, pour chacun de nous ? Sur toutes ces misères, il y aurait encore un amour plus fort qui viendrait les collecter pour les digérer et les éliminer ?
Il y aurait donc encore une tendresse, un pardon, une rédemption ?
Ecoutons une parole, regardons un cœur, et laissons-nous enfin aimer, tels que nous sommes, y compris avec nos misères.

* La parole est brève, mais les effets sont immenses, explosifs. « Dieu est amour », et tout est dit. C’est sa carte d’identité, c’est sa définition, c’est son ADN. Dieu est Amour, rien que cela, tout cela. Celui qui nous a créés à son image et à sa ressemblance ne peut lâcher son portrait vivant, même quand nous l’avons abîmé par nos misères justement. Car Dieu ne peut cesser d’aimer, même ceux qui ne l’aiment pas. Sans les forcer évidemment –ou alors il cesserait de les aimer en piétinant leur liberté-, Dieu tient toujours en réserve, dans un recoin de son cœur de père, un rendez-vous pour le retour, la réconciliation, un baiser pour ses enfants prodigues.
* Une parole, mais aussi un cœur. Là, tout est dit dans le silence, à condition d’oser regarder une croix ou plutôt un crucifié. Après la mort de Jésus, c’est la grande mise en scène de la miséricorde, jusque dans le réalisme le plus violent.
Regarde. Il y a bel et bien un cœur. « Un soldat s’approcha et d’un coup de lance, il lui perça le côté. Aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. » Humaine et divine miséricorde à jamais exprimée parce que imprimée sur le corps du Christ.

Les misères, elles étaient toutes là, à ses pieds, toutes celles dont nous avons parlé auparavant. Des misères en personne, par cercles concentriques autour de la croix, qui nous représentaient comme les symboles vivants de toutes nos pauvretés de corps, de cœur et d’esprit.
C’est sur ces personnes, et donc sur nous, qu’ont coulé, à partir d’un certain cœur ouvert, l’eau qui noie les péchés, le sang qui purifie les âmes, l’Esprit qui refait du neuf avec toutes nos vieilleries. Dans la piscine du baptême, dans le calice de l’eucharistie, l’eau et le sang de Jésus en croix continuent de nous laver, de nous relever, de nous ressusciter.

Comment est-ce possible ? Il faut alors rejoindre les apôtres, et singulièrement le fameux Thomas qui nous ressemble tellement. Cette fois, c’est après Pâques. Le Christ est ressuscité. Qu’est-ce qu’il fait ? Il montre à nouveau son cœur, celui qui fut ouvert sur la croix, encore marqué des cicatrices de sa transfixion. « Avance ta main, lui dit Jésus, mets-la dans mon côté. Cesse d’être incrédule, sois croyant. »

Il n’y a pas en ce monde les bons d’un côté et les mauvais de l’autre, tant il est vrai que nous sommes tous des êtres mélangés. Il y a ceux qui osent encore croire à l’amour, et ceux qui n’y arrivent pas ou plus. Celui qui est venu par l’eau, le sang et l’Esprit veut nous faire tous entrer et nager dans l’océan de sa miséricorde. Il nous y invite sans cesse. Une invitation d’amour, pas une contrainte par la force, évidemment. Jusqu’à quand allons-nous résister à la divine attraction de sa tendresse ?

« Si je ne mets pas ma main dans son côté, disait le fier Thomas, non, je n’y croirai pas » Eh ! bien, nous redit Jésus aujourd’hui, avance ton doigt, avance ta main, ouvre ton cœur à mon coeur, toi qui as tant besoin d’être aimé pour être toi-même, croyant, meilleur, sauvé.
Mets le doigt dans le livre de la Parole de Dieu et lis les lettres d’amour que Dieu ne cesse de t’adresser. Avance ta main, en forme de creux pour recueillir en mendiant choyé le pain de l’eucharistie, élargis ton cœur pour que puisse souffler en toi l’Esprit qui veut faire toutes choses nouvelles, pour ton bonheur.
Et puis, la miséricorde, vois-tu, fait nécessairement des miséricordieux. Il y a une contagion de la grâce, il y a une fécondité du pardon.
Nous ne pouvons pas devenir les enfants de la miséricorde de Dieu sans devenir les frères et sœurs indulgents de tous ceux et celles qui ont besoin de miséricorde autour de nous. L’évangile de ce jour a commencé par le don réitéré de la paix du Christ. Il continue par le pouvoir de remettre les péchés dans le souffle décoiffant de l’Esprit.
Pardonnés par la miséricorde de Dieu, nous pouvons goûter cette joie délicate et profonde : pardonner à notre tour. Autrement dit participer ici-bas à la joie de Dieu dont Jésus disait « qu’il y avait plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur » qui revenait se mettre au chaud dans le cœur de Dieu « que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin » du pardon de leur Père céleste.

« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » : que voilà la promesse d’un bonheur original, qui fait vivre et revivre en même temps celui qui donne et celui qui reçoit.
A déguster sans modération. C’est la grâce que nous devons nous souhaiter ….miséricordieusement !

Claude Ducarroz

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