Homélie
In
memoriam 2013
On vit une drôle d’époque ! Ou peut-être
faudrait-il l’appeler tragique.
Tandis qu’une armée envahit pacifiquement une
cathédrale pour y participer à une célébration religieuse en mémoire de ses
soldats morts -non pas au combat, mais sans avoir eu à combattre-, voici que
l’actualité de notre monde nous offre chaque jour les images insoutenables de
batailles cruelles qui massacrent surtout des civils innocents. La triste
galerie des horreurs humaines ou plutôt inhumaines.
Et voici que la liturgie de cette messe -celle
que l’Eglise catholique prévoit pour le 32ème dimanche du temps
ordinaire- en rajoute une couche : dans la torture –c’est la première
lecture-, dans la méchanceté –selon l’aveu de saint Paul- et dans sept mariages
successifs pour une pauvre veuve dont on dit que, finalement, elle mourut
aussi. On ne sera pas très étonné.
Y a-t-il un fil rouge positif entre ces textes
qui semblent nous parler des fatalités douloureuses de la mort plutôt que des
élans courageux vers la vie ?
Sans tomber dans le piège des rapprochements
artificiels, il me semble que l’on peut lire entre les lignes de ces récits
d’apparence pessimiste, des éclairs de valeurs et de promesses qui rejoignent
et le public et les circonstances qui nous rassemblent maintenant dans cette
cathédrale pour la célébration traditionnelle de l’In memoriam.
Les valeurs d’abord.
Dans la première lecture, il y a cette
déclaration de bravoure admirable : « Nous sommes prêts à mourir
plutôt que de transgresser les lois de nos pères. » Aujourd’hui encore, à
cause de Jésus et de l’Evangile, des hommes et des femmes de grande foi font
l’expérience de tels sacrifices à travers le monde. Sans compter le courage de
celles et ceux qui, chez nous, pour ces mêmes motifs, tiennent bon dans leur
fidélité chrétienne au cœur d’une société certes libérale, mais où les pressions de l’ironie,
de la publicité antireligieuse et de la déchristianisation rampante exigent
autant de vaillance pour continuer à croire et à témoigner pour sa foi.
Et nous n’oublions pas
celles et ceux qui, même sans religion, mais poussés par des idéaux humanistes,
s’engagent dans des fidélités coûteuses pour maintenir le cap élevé de leur bel
idéal humain. Celui qu’avaient sans doute les soldats et les patriotes que nous
évoquons avec respect et gratitude aujourd’hui.
Dans la deuxième
lecture, l’apôtre Paul demande de prier pour échapper à la méchanceté des gens
qui nous veulent du mal. Oui, prier pour eux. Voilà qui ouvre un champ infini
d’intercession et de charité pour faire face à l’hostilité de ceux qui ont
choisi la violence pour vaincre au lieu du dialogue pour convaincre. Que
peuvent faire les petits, les faibles, les pauvres qui sont victimes des
violents, des puissants, des injustes de notre temps ? Nous croyons que la
prière est aussi une arme, certes bien mystérieuse, mais efficace, à cause de
la protection de Dieu promise à ceux qui l’invoquent avec confiance en
préférant les fécondités du pardon aux fausses victoires de la vengeance.
Dans l’évangile, derrière cette étrange
histoire de la veuve mariée sept fois, c’est finalement la clef de voûte de tout
l’édifice qui nous est présentée. Il n’y a rien dans ce texte qui attaque le
mariage, comme si l’idéal, déjà en ce monde, était le célibat sans enfant.
Jésus se situe et nous situe dans le perspective du royaume de Dieu, à savoir
dans l’au-delà de la résurrection, là où le mariage, de toute évidence, ne
servira plus à rien, tant la communion parfaite avec le Dieu d’amour suffira à
notre plein bonheur.
Ce que Jésus veut nous dire, c’est que la
destinée humaine ne s’arrête pas avec la vie sur cette terre, toujours conclue
par la mort. A cause de sa Pâque à lui, une autre espérance est possible, une
autre promesse est certaine. Et cette trouée vers la vie éternelle change tout
dès ici-bas. Ces paroles –qui conviennent si bien aux soldats dont nous faisons
mémoire aujourd’hui- sont particulièrement importantes : « Puisque
nous mourons par fidélité, le Roi du
monde nous ressuscitera pour une
vie éternelle. » Et encore : « Mieux vaut mourir par la
main des hommes quand on attend la résurrection promise par Dieu. »
C’est cette même foi
pascale qui permet à l’apôtre Paul d’écrire aux chrétiens de Thessalonique
soumis à des persécutions : « Laissez-vous réconforter par le Christ
qui nous a toujours donné courage et joyeuse espérance. »
Car finalement, comme
dit Jésus lui-même, « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants,
car tous vivent par lui. »
Notre célébration évoque nos morts, avec
émotion et reconnaissance. Mais nous sommes ici dans un lieu de foi. Nous
prions pour et avec nos morts dans l’espérance de la résurrection. Nous voyons
le sacrifice de ces soldats et de leurs familles –ne les oublions pas !-
dans la lumière pascale. C’est pourquoi notre rassemblement est certes grave
mais pas désespéré.
Déjà ici-bas, nous récoltons, comme fruits de
leur sacrifice, les cadeaux de notre liberté, de notre prospérité et de notre
fraternité toujours plus universelle.
Si nous venons leur dire merci dans cette
cathédrale, selon une antique coutume, ce n’est pas pour céder à l’habitude
d’une pieuse tradition. C’est parce que nous croyons aussi, avec tous ceux et
toutes celles qui luttent, aujourd’hui encore, pour une humanité de justice, de
solidarité et de paix, que la destinée humaine dépasse les aléas souvent
tragiques de notre pauvre histoire pour accéder un jour aux splendeurs d’une
gloire éternelle.
Alors la mémoire, tournée vers le passé, se
retourne plutôt vers l’avenir, là où nous sommes attendus, mieux que dans le
souvenir : dans le bonheur d’une vie qui sera éternellement cadeau.
Enfin !
Claude
Ducarroz
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