Homélie
2ème
dimanche de Carême
Dimanche passé, c’était le diable, Satan en
personne. Aujourd’hui, c’est le Bon Dieu, dans toute sa gloire. On est content
pour Jésus. Mais ça n’a pas empêché les apôtres de « tomber la face contre
terre, saisis d’une grande frayeur. » Décidément, on n’est jamais
tranquille avec notre religion. Mais ça mérite quelques explications.
* Le lieu : une haute montagne, comme pour
Moïse au Sinaï, là où Dieu donne rendez-vous à ses amis préférés, là où il veut
révéler ses secrets. Ce qu’on appelle en langage théologique une théophanie,
une manifestation du divin.
* Et qui est là ? « Jésus prend avec lui Pierre, Jacques
et Jean. » Pas pour en faire des privilégiés, comme s’il y avait des
apôtres de première classe qui pourraient dominer sur les autres. Non !
Parce que ces mêmes apôtres seront les témoins très proches de son agonie. Une
délicatesse de Jésus : quelques rayons anticipés de la gloire pascale pour
ceux qui verront bientôt la sueur de sang sur ce même visage aujourd’hui brillant
comme le soleil.
* Et la transfiguration, qu’est-ce que
c’est ? Durant sa vie mortelle, Jésus a comme retenu l’éclat de sa
divinité pour ne pas nous terrasser par un éblouissement que notre condition
mortelle ne pouvait pas supporter. Au contraire, il s’est manifesté par une
extrême humilité dans notre pauvre humanité pleinement embrassée, par
solidarité, par amour, de la crèche à la croix. Mais ce jour-là, n’y tenant
plus, il a laissé transparaître quelques rayons de cette gloire qui bientôt
gagnera toute sa personne, après l’épreuve de la passion et de la mort, dans le
resplendissement de la résurrection.
* Une véritable transfiguration, et même devant
témoins. Il y a là Moïse et Elie, les représentants les plus éminents de la
première alliance, deux grands prophètes qui semblent venus en reconnaissance
pour attester que ce Jésus de Nazareth est bel et bien le Messie d’Israël.
* Et puis il y a déjà l’Eglise, le nouvel
Israël en pleine gestation, à travers ces apôtres qui, d’une certaine façon, symbolisent
l’Eglise à venir, celle qui naîtra du côté ouvert du Christ sur la croix, de la
victoire de Pâques et de l’effusion de l’Esprit de Pentecôte.
* Mais le plus grand témoin, c’est encore un
autre, c’est Dieu lui-même, plus précisément la voix du Père qui présente le
Fils bien-aimé, en qui il a mis tout son amour. Avec cette divine
recommandation qui vaut pour tous les hommes de tous les temps :
« Ecoutez-le ! »
Pierre, ébloui par la luminosité de
l’évènement, exprime une réaction toute humaine. « Il est heureux que nous
soyons ici », en effet, dans la douce lumière et la chaleureuse ambiance
de la transfiguration. En homme pratique –il était un pêcheur et pas un
intello-, il propose de dresser trois tentes, d’ailleurs avec une belle
générosité puisqu’il les offre à Jésus, Moïse et Elie, sans penser à lui et à
ses deux compagnons. Devant un tel spectacle, ils sont sûrement prêts à dormir
à la belle étoile !
Mais Jésus ne l’entend pas de cette oreille. La
transfiguration est un apéritif fugace, pas encore le banquet du Royaume. Car
il faudra d’abord grimper sur une autre colline, près de Jérusalem, monter sur
la croix, avant de parvenir à la vraie gloire durable, celle de la
résurrection. C’est pourquoi Jésus les remet à leur place, avec tendresse, mais
aussi avec réalisme. Il s’approche, il les touche et les relève, en leur disant
de ne pas avoir peur. Et aussi en se montrant désormais tout seul devant eux,
sans les attributs de sa gloire encore éphémère, rendu à son humble humanité,
pour redescendre de la montagne et retrouver la plaine de la vie ordinaire.
D’ailleurs en descendant selon l’évangéliste
Matthieu, Jésus leur rappelle opportunément qu’il devra affronter prochainement
sa passion avant de ressusciter. Et ils rejoignent ensemble la foule, avec des
malades qui attendent d’être guéris et libérés. Il y a encore tant à faire au
milieu des gens, parmi les plus pauvres.
Et maintenant que retenir pour nous ?
Nous sommes toujours en route avec le Seigneur.
Il y a peut-être parfois dans la vie de l’Eglise et dans nos existences
personnelles des moments de transfiguration bienheureuse, des évènements de
grâces et de bonheur pour lesquels nous devons dire merci. Rien ne nous empêche
d’y revenir dans la mémoire, et ça nous fait du bien.
Mais l’Eglise en ce monde, et nous-mêmes en cette
vie, nous ne sommes pas faits pour nous installer sous la tente sur une
montagne pour déguster le bonheur d’être bien entre nous, même pas avec un
Jésus qu’on chercherait à retenir rien que pour nous parce que nous sommes heureux
avec lui.
Une fois appréciés les rares épisodes de transfiguration,
il nous faut d’abord écouter les paroles de la Parole faite chair, à savoir cet
évangile que l’Esprit nous rappelle sans cesse au fond de notre cœur. Et
actuellement, l’Eglise, à commencer par notre pape François, re-propose l’Evangile
avec plus de vigueur comme feuille de route pour notre pèlerinage sur cette
terre. Sans honte et sans peur. Humblement, mais surtout courageusement. Pas
tout seuls, mais en Eglise. Pas dans les abris du confort matériel ni même
spirituel, mais au cœur des foules humaines, avec les gens ordinaires, à
commencer par les plus pauvres, les plus souffrants, les plus nécessiteux.
Comme le faisait Jésus.
Comme des Abraham d’aujourd’hui à qui Dieu ne
cesse de redire : « Pars de ton pays, laisse la maison de ton père,
et va dans le pays que je te montrerai…. Et tu deviendras une
bénédiction. »
Et comme saint Paul, l’apôtre toujours
tellement moderne, qui écrivait à son disciple
Timothée : « Prends ta part de souffrance pour l’annonce de
l’Evangile…. Parce que Jésus s’est manifesté en détruisant la mort et en
faisant resplendir la vie par l’annonce de l’Evangile. »
Avec le compagnon Jésus de Nazareth -« ils
ne virent plus que Jésus seul »-,
avec le beau programme de voyage qu’il nous a donné, avec toute l’Eglise
sur la route de l’Evangile, poursuivons sereinement notre pèlerinage de carême.
Claude
Ducarroz
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