Re-posez/pausez
vous !
C’est plus qu’un problème d’orthographe !
Est-ce la pose ou la pause ? Et si c’était les deux, à la faveur de
l’été ? Mais oui : reposons-nous et re-pausons-nous puisque la pause,
selon le dictionnaire, est « un temps de repos interrompant une activité
ou un travail. »
« Mon Père travaille toujours, et moi
aussi, je travaille » (Jn 5,17), disait Jésus aux Juifs qui le
contestaient parce qu’il avait guéri un infirme le jour du sabbat. Comment Dieu
pourrait-il cesser d’être à l’ouvrage, lui qui soutient continuellement
l’univers –et chacun de nous- dans « la vie, le mouvement et l’être ».
(Ac 17,28). Heureusement pour nous, le Créateur assure scrupuleusement le
« service après vente » de son œuvre d’amour et de vie, y compris
pour les réparations urgentes qui permettent au monde et à l’humanité de tenir
encore dans l’existence.
Mais le labeur de Dieu ne l’empêche pas de « chômer »
un peu et de promouvoir un juste repos. Tel est le sens du sabbat, entre
autres. La bible nous raconte comment Dieu, après avoir créé toutes choses,
plutôt satisfait de son œuvre, a décidé de « reprendre haleine » le
septième jour en conférant à cette divine pause une dimension de sanctification
et de bénédiction (Cf. Gn 2,1-4 ; Ex 31,17). Car il est dit que le ciel et
la terre eux-mêmes sont le lieu du repos de Dieu (Cf. Is 66,1). Avec l’ordre,
pour ses fidèles, de respecter ce sabbat sacré en se reposant durant ce temps
que le prophète Isaïe nomme « délices et vénérable ». (58,13).
Et pour quoi donc ? Pour que puissent
« reprendre souffle le bœuf et l’âne ainsi que le fils de la servante et
l’étranger » (Ex 23,12), mais aussi pour prendre le temps de se souvenir des
grâces reçues dans le passé proche ou lointain et consacrer ce loisir à la
louange du Seigneur, notamment à l’aide des psaumes qui chantent, par
exemple « En Dieu seul, repose-toi, mon âme ». (Ps 62,6). Le
repos, c’est bien, mais aussi la culture et le culte.
Dans l’alternance entre la dynamique du travail
et la sérénité du « repos complet », les Hébreux ont pris conscience
peu à peu d’une double promesse. Le vrai repos, ce sera dans la terre promise
où coulent le lait et le miel. Plus profondément, le repos durable est dans la
communion avec Dieu par une vie éternelle dans sa maison, selon la promesse rappelée
par le prophète Daniel : « Pour toi, va, prends ton repos, et tu
te lèveras pour ta part à la fin des jours. » (12,13) « Car le juste,
même s’il meurt avant l’âge, trouve le repos ». (Sg 4,7.)
Jésus de Nazareth est venu accomplir et nous offrir
toutes ces promesses. Lui « qui n’avait pas où reposer sa tête » (Mt
8,20), il a senti l’épuisement de ses disciples au terme d’une tournée
missionnaire harassante. C’est pourquoi il leur a dit : « Venez
vous-mêmes à l’écart dans un endroit désert et reposez-vous un peu. » (Mc 6,31).
Admirable humanité de Jésus !
Il a aussi invité les surchargés et les
fatigués à venir auprès de lui goûter le repos pour leurs âmes (Cf. Mt
11,28-29). Avec un peu de patience cependant, car le repos définitif et parfait
nous attend dans le Royaumes au-delà de la mort, avec la perspective de la
Pâque, selon cette béatitude de l’Apocalypse : « Heureux dès à
présent ceux qui sont morts dans le Seigneur ! Oui, dit l’Esprit, qu’ils
se reposent de leurs fatigues, car leurs œuvres les accompagnent ». (Ap 14,13)
Mais si le but ultime de notre vie consiste à
rejoindre Dieu pour nous reposer en lui, nous devons nous adonner ici-bas au
labeur de toutes les libérations, à la suite de Jésus qui ne cessa d’œuvrer
pour guérir les corps et les esprits, jusqu’à ce qu’il repose sur le bois de la
croix quand « inclinant la tête, il remit l’Esprit ». (Jn 19,30). Doux
repos, a commenté magnifiquement Jean-Sébastien Bach dans sa Passion selon S.
Jean.
Au rythme de leurs travaux et de leurs repos,
les chrétiens s’unissent dans la foi et dans l’amour à celui qui les accompagne
sur la route de leur vie, tantôt à l’œuvre avec eux sous le souffle courageux de
l’Esprit, tantôt à la pause auprès d’eux dans la douce méditation de la parole
et la savoureuse communion de l’eucharistie. Le dimanche par exemple, c’est –ça
devrait être- le repos bienfaisant, la pause heureuse, selon ce que dit le
psaume 11 : « Retourne à ton repos, mon âme, car le Seigneur t’a fait
du bien ».
Comment incarner tout cela dans le contexte de
la société en laquelle nous sommes immergés, de gré ou de force ?
L’efficacité économique, la vitesse des mouvements et des changements, le
tintamarre des divertissements et l’avalanche des informations nous stressent
au point de nous transformer parfois en robots pilotés de l’extérieur et voués
aux fatigues déshumanisantes des activismes quasi perpétuels. Même quand nous
croyons nous re-poser/pauser, ne sommes-nous pas envahis par les séquelles des
tâches accomplies ou obsédés par celles qui nous attendent et qu’il faut
planifier et organiser ? Oui, avouons-le, le repos devient un défi et la
pause un combat jamais gagné d’avance. Et pourtant, selon le psaume 127,
« Dieu comble son bien-aimé quand il dort » !
Mais peut-être, à la faveur de l’été avec son
offre de vacance normalement incontournable, pourrons-nous trouver un espace de
vrai repos, une île bienvenue pour faire la pause, à l’instar des Israélites
qui, sous le roi Salomon, appréciaient de vivre en sécurité « chacun sous
sa vigne et sous son figuier ». (IR 5,5).
Il y a des vides opportuns, plus encore :
nécessaires ! Ne rien faire, n’avoir rien à faire : ce n’est
peut-être pas du temps perdu, mais un espace gagné pour nous retrouver
nous-mêmes dans toute notre vérité enfin mise à nu. A condition de ne pas se
culpabiliser parce qu’il serait indécent de paresser un peu. Et puis certains creux
ne vont pas tarder à accueillir quelques visites impromptues. Laissons la vie
nous surprendre, y compris l’Esprit qui peut nous titiller de l’intérieur à la
faveur de nos siestes, de nos silences et de nos prières.
Nous avons tous fait ces expériences que nous
avons de la peine à réitérer, justement parce que le tourbillon du quotidien
nous en empêche trop souvent. Contempler longuement un paysage et le goûter à
pleine joie, quelle grâce puisque ceux dont il est le berger, Dieu « les
parque sur des prés d’herbe fraîche et les mène vers les eaux du repos afin de
refaire leur âme ». (Ps 23,2-3). Ecouter une belle musique, lire un
livre intéressant et même jouer aux cartes: ça repose. Prendre le temps
d’une méditation cool, faire une pause avec sa Bible ou un ouvrage de
spiritualité : ce peut être une bénédiction. Participer à une liturgie
comme à une pause bienvenue partagée avec d’autres, même inconnus : ne
serait-ce pas une fraternelle plongée ecclésiale qui redonne du punch
communautaire à notre foi ? S’accorder gratuitement de la durée –à
soi-même et à ceux et celles que l’on aime- pour savourer la joie simple d’être
ensemble, proches, intimes même : y a-t-il plus grand bonheur quand il est
vécu sous le signe de la tendresse ?
Et, pourquoi pas ? repenser à son
repos…éternel pour apprivoiser peu à peu ce moment inéluctable où nous
passerons dans la paix de Dieu, non pour nous y ennuyer sans fin mais pour
jouir de sa présence, avec les divines surprises qu’il saura nous offrir généreusement.
Alors se
réalisera pleinement ce verset du psaume 116 : « Retourne à ton
repos, mon âme, car le Seigneur t’a fait du bien. »
Quand nous aurons tout déposé en Dieu, alors
viendra le repos éternel. Quelles vacances !
Claude
Ducarroz
Article paru dans la revue
« Choisir » juillet-août 2015
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