Homélie
Dédicace de la cathédrale
2016
Le 6 juin 1182, l’évêque de Lausanne, Roger de
Vico Pisano, consacrait la première église de la petite citée de Fribourg que
Berthold IV de Zaehringen avait fondée dans une boucle de la Sarine, 25 ans
auparavant, soit en 1157.
Depuis lors, malgré les vicissitudes de sa
longue histoire, sous cette forme ou sous une autre, le culte chrétien n’a
jamais été interrompu dans ce sanctuaire demeuré très cher au cœur des
Fribourgeois. Sans oublier évidemment celles et ceux qui, venus d’ailleurs ou
simplement de passage, apprécient ce qui se passe ici, ce qu’il y a à
contempler, à entendre, à célébrer.
Mais j’ose poser cette question, même en ce
jour de commémoration et de fête : jusqu’à quand tout cela ?
Naviguant confortablement sur la vague de ce
glorieux passé, installés dans le canapé de notre belle et longue histoire,
nous risquons toujours de croire que, quoi qu’il arrive, nous ne risquons rien,
bien protégés que nous sommes des soubresauts des évènements.
Et pourtant, nous devrions avoir appris, y
compris à l’abri de nos montagnes tutélaires, que toutes les civilisations sont
mortelles, y compris la nôtre, même si l’Eglise peut compter sur les promesses
du Christ qui l’assure qu’elle l’emportera finalement sur les puissances de
l’enfer.
* Au temps de sa splendeur chrétienne,
l’Afrique du Nord comptait des centaines de diocèses. Presque tout a disparu en
très peu de temps.
* Les pays qui virent éclore le christianisme,
au Proche Orient, ne comptent plus que de petites minorités chrétiennes,
souvent brimées, voire persécutées.
* Mais revenons chez nous. De toute évidence,
et de nombreuses constatations le prouvent chaque jour davantage, le
christianisme est en lente mais forte régression. Inexorable, disent certains. Combien
de familles, traditionnellement chrétiennes, voient leurs enfants abandonner la
communion avec l’Eglise, et leurs petits-enfants être non baptisés, non
catéchisés.
Dans cent ans, il y aura sûrement encore des
touristes pour visiter cette magnifique cathédrale. Mais y aura-t-il encore des
croyants pour participer aux célébrations religieuses ? D’ailleurs, y
aura-t-il encore des liturgies ici ? Il y a tant de belles églises vides
sous nos latitudes, et même certaines ont été transformées en salles de spectacle,
en bibliothèques ou en restaurants. Je vous passe sur des usages bien moins
dignes.
Pas de panique, évidemment. Personne, parmi
nous, ne doit se sentir la vocation de sauver l’Eglise. Notre humanité a été
sauvée par le Christ mort et ressuscité, et l’avenir de l’Eglise est d’abord
dans les mains de Jésus. Il ne cessera
jamais, chez nous et jusqu’au bout du monde, de présenter le trésor de son évangile,
d’offrir la grâce des sacrements, de rassembler la communauté des croyants. Ici
ou ailleurs, ici et ailleurs.
Cependant tout nous invite aujourd’hui à
prendre un peu de temps pour réfléchir à l’avenir de ce christianisme qui nous
tient à cœur puisque nous sommes là ce matin, même si nous sommes peu nombreux.
Oui, tout.
* Je veux dire le Christ lui-même qui ne cesse
de nous interpeler sur notre foi puisque celle-ci est un cadeau offert à notre
liberté. S’il y a son offre, il y a aussi notre réponse, toujours à approfondir
pour mieux l’exprimer. « Qui suis-je pour toi ? »
* Je veux dire les statistiques, car sans révéler
un quelconque mystère, elles sont un peu le thermomètre de notre situation
religieuse. Elles nous indiquent la température de notre civilisation qui est en
train de virer du christianisme vers un certain paganisme moderne.
* Je veux dire aussi un certain islam, et pas
seulement celui qui nous bouscule par ses violences et ses crimes. Oui, la
présence accrue chez nous de musulmans sincères et pacifiques nous incite à
réfléchir plus sérieusement sur le pourquoi et le comment de notre foi
chrétienne.
Il nous faut certes, conformément à nos valeurs
d’évangile, résister à la tentation de la contre-violence qui ne provoquerait
que conflits irrationnels et guerres inhumaines dans lesquelles nous aurions
tous à y perdre notre âme.
Mais il est grand temps que les chrétiens se
réveillent pour témoigner courageusement et humblement de leur foi, de leurs
valeurs, de leur civilisation, dans le concert cacophonique de nos sociétés
pluralistes.
Et je me permets
quelques suggestions plus concrètes.
* Il n’y a pas de christianisme sans le Christ.
Notre attachement au Christ, et notamment à sa parole et à ses sacrements, est
à la base de tout, de nos fidélités ancestrales et de nos renouveaux très
nécessaires.
* Ce ne sont pas les prêtres seuls qui vont
améliorer la situation religieuse. Nous sommes tous solidaires de cette belle
aventure chrétienne dans l’histoire. Tous les baptisés, et par conséquent vous
les laïcs autant que nous, doivent s’impliquer pour « faire Eglise »,
pour animer nos communautés, pour rayonner de l’Evangile dans le monde. Dans
une société, s’il n’y a plus que des membres passifs, on ne donne pas cher de
son avenir.
* La misère du christianisme, comme le montrent
bien des reculs dans l’histoire, c’est la division des chrétiens. Il est urgent
de progresser dans l’œcuménisme si nous voulons présenter un témoignage commun
face aux défis à relever, toujours plus urgents, toujours plus importants.
Cette cathédrale doit demeurer la vraie maison
du peuple, accueillante à tous dans la diversité des convictions humaines. Elle
doit aussi rassembler dans la ferveur les communautés chrétiennes qui viennent
y puiser des énergies nouvelles pour tenir bon et rayonner dans le difficile
contexte où nous sommes.
Repartons donc d’ici, non sans avoir admiré une
fois de plus la beauté des choses que les artistes ont édifiées d’abord pour la
gloire de Dieu, avec cette conviction rappelée par l’apôtre Paul en un temps où
il n’y avait encore ni églises ni cathédrales : « N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de
Dieu habite en vous…Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est
vous ! »
Quel honneur ! Quel
bonheur ! Quel programme !
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