jeudi 21 avril 2011

Homélie du Jeudi-Saint

Jeudi Saint 2011

Un geste…un état d’esprit…un bonheur.

Vous ferez cela en mémoire de moi.

C’est tout cela que le Seigneur se propose de refaire en nous, pour nous, avec nous, ce soir.
Le geste d’abord, étonnant, bouleversant, scandaleux même. Pierre en sait quelque chose et il ne s’est pas gêné de le dire à Jésus.
Quoi ? Le maître dans le boulot de l’esclave ! Le Seigneur en tablier de cuisine ! Dieu par terre à nos pieds !

Et cette question pertinente : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? »
Oui, il l’a fait, ce qui est tellement mieux que de le dire. Il a mis le linge à sa ceinture, il a versé l’eau dans le bassin, il a lavé les pieds de ses disciples, il les a essuyés avec la délicatesse de l’amour.
Il l’a fait ! Il a fait cela ! Le Maître et le Seigneur nous a aimés jusqu’au bout, du fond de son cœur à lui, jusqu’au bout des pieds à nous. Ce soir-là, il ne pouvait pas aller plus loin dans l’amour montré et démontré.
Encore un jour, demain. Et ce sera la croix. Oui, encore plus loin : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Il le fera. Il l’a fait aussi.
Ah ! ce geste. Eloquent et spectaculaire parce que très simple, et finalement banal, celui de tant de personnes, tous les jours, aujourd’hui encore. La plus belle des prédications sur l’amour, le sacrement humain le plus proche du modèle de Jésus ce soir.
« Si je vous l’ai fait, faites-le aussi les uns aux autres. »


L’infirmière à l’hôpital, la maman avec ses enfants qui pleurent dans la nuit –peut-être aussi le papa-, le soignant de l’alzheimer, du cancer et du sida. Et tous ces humanitaires sur les champs de bataille de toutes les haines et de toutes les exclusions, qui sont simplement là où ne restent que celles et ceux qui ne peuvent pas faire autrement, trop pauvres ou trop seuls pour aller ailleurs, dans la favella, la maison en ruine ou le cloaque des ordures.
Bénis soient tous ces Jésus de tous les lavements des pieds !

Le geste. Et puis l’état d’esprit. Car il y a ce qu’on fait, et puis la manière de le faire, la musique de l’action et le ton du service. On appelle cela l’humilité, autrement dit ce qui se fait d’en bas au lieu de tomber d’en haut, ce qui se donne gratuitement dans la discrétion au lieu de se présenter dans l’ostentation.
« Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, car je le suis », dit Jésus. Quelle autorité ? quelle Seigneurie ? quelle divinité ? Traîner la cuvette, laver les pieds, et bien essuyer entre les orteils.
Voilà l’ami véritable parce que c’est ça l’amour vrai, celui qui se recommande par son humilité, celui qui aime justement sans humilier, celui qui rayonne par débordement de bonté et non par submersion de puissance ou abus de pouvoir.
Bénis soient celles et ceux qui servent dans cet esprit, au cœur des relations de couples, dans les familles, dans les communautés chrétiennes et dans la société. Sans faiblesse certes, mais avec la seule arme des désarmantes tendresses.
Et que nous puissions entendre un jour ce que Jésus a dit à la pauvre pécheresse qui lui lava ses pieds à lui en laissant couler sur lui ses larmes à elle, puis en les essuyant avec ses cheveux : « Il te sera beaucoup pardonné parce que tu as beaucoup aimé. »

Enfin le bonheur.
Il manquerait à cet évangile son point d’orgue de béatitude si l’on ne lisait pas : « Sachant cela, heureux serez-vous si vous le faites. »
Chaque fois que l’amour unit le geste à la parole, chaque fois que l’état d’esprit est pétri d’humilité et de tendresse, c’est Jésus lui-même qui active sa promesse, en nous et en ceux-là que nous servons en les aidant, en les aimant. Heureux serez-vous ! Plus encore : heureux êtes-vous !

Les grands aimants d’amour humble, simple, terre à terre, ne sont-ils pas les plus heureux du monde ? Pas ces bonheurs de pacotille, fardés d’insolence, maquillés de sourire pepsodent pour revues spécialisées en papier glacé.
Mais le bonheur d’une Mère Teresa ou d’une Sœur Emmanuelle, avec leurs rides sur leur peau tannée par le soleil de la charité en actes. Enfin des gens heureux dans les profondeurs de l’être, qui donnent envie d’être heureux, au moins un peu, comme eux, comme elles, par excès d’amour, sans chercher à recevoir, gratuitement. Comme Jésus le soir de ce jeudi-là, le nôtre, ce soir.

Le geste, l’état d’esprit, le bonheur.
Ce peut-il que tout cela nous soit offert à nous, qui marchons si souvent hors des chemins de cette joie-là, qui sait ? parfois même du côté de Judas Iscariote ?
Oui, on appelle cela l’eucharistie. Là, depuis ce même soir puisqu’il l’a fait aussi en nous demandant de le refaire en mémoire de lui, la rencontre s’opère, la communion se noue, il est grand le mystère de la foi.
Heureux les invités au repas du Seigneur.
Le Maître et le Seigneur en personne s’offre à nous entièrement sous les humbles signes d’un peu de pain, d’un peu de vin. Tout à fait dans l’ambiance du lavement des pieds, avec simplicité et humilité. Dans le dérisoire de ce partage entre amis autour de la même table, il faut recueillir le plus beau des cadeaux, Jésus lui-même, le Roi-Serviteur.
Faisons-le dans une humilité qui s’inspire de la sienne, nos mains vides mais tendues, comme celles des mendiants d’amour que nous sommes. Et ceux qui sont à votre service pour favoriser et provoquer cette divine rencontre -je veux parler des ministres de l’Eglise, à commencer par les évêques, les prêtres et les diacres- ne sont et ne doivent être que vos serviteurs pour l’amour de Jésus…et le vôtre. Tout cela, rien que cela.

Alors notre mémoire, ce soir, devient pleine action de grâces, et le mémorial s’étend à toutes les petites servantes –comme Marie- et tous les serviteurs -comme Joseph- qui constituent la vaste famille de Jésus, les heureux de tous les lavements des pieds, les bienheureux de toutes les eucharisties.

Claude Ducarroz

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