mercredi 18 juin 2014

Commémoration de la bataille de Morat

Homélie
Morat 2014


Je me permets de vous faire une proposition qui, pour être étrange n’en est pas moins honnête : aimeriez-vous être ou devenir « pontife » ? Rassurez-vous ! Il ne s’agit pas de prendre la place de notre cher évêque, ni de pontifier dans l’exercice de votre autorité. Etre pontifiant est d’ailleurs devenu un défaut que l’on traque, à juste titre, jusque dans l’Eglise, surtout depuis l’entrée en fonction du pape François.

Pontife ! Ce qui signifie littéralement « faiseur de pont ». En ce sens, surtout à Fribourg, n’est-ce pas une vocation récurrente  pour nos responsables de toutes sortes ? J’ai compté : depuis mon balcon côté Sarine, je puis apercevoir rien moins que huit ponts, y compris le dernier et le plus beau que nous allons inaugurer ensemble dans la joie le 10 octobre prochain.

Je crois que c’est le devoir sacré, en même temps que l’honneur et la noblesse des autorités, que de construire des ponts entre les êtres humains, afin que la communauté civique s’établisse dans la paix, tout en intégrant les légitimes diversités comme des richesses au lieu d’en faire des occasions d’affrontements, de luttes, voire de guerres.

Car la guerre, c’est le contraire du pontificat. Hélas ! On le voit encore de nos jours : la guerre, ça casse les choses, ça détruit les relations, ça blesse et ça tue les personnes. Même quand la cause est juste, même quand les sacrifices sont honorables, voire admirables, tout reste à reconstruire, y compris après les plus glorieuses victoires, comme ce fut le cas d’ailleurs après la bataille de Morat.

Car ne l’oublions pas ! Il a fallu finalement un grand mais humble pontife pour que cette victoire n’entrainât point une nouvelle guerre, cette fois entre nous, les fiers vainqueurs confédérés et fribourgeois.

Dans le vitrail de Nicolas de Flue, un grand cercle multicolore entoure et embrasse la scène de la réconciliation des Suisses qui valut l’entrée de Fribourg et Soleure dans la Confédération helvétique. Souvenons-nous en pour le remercier.  L’auteur de ce miracle, après Dieu évidemment, est au centre du tableau. Il s’agit d’un père de famille en prière, un magistrat devenu ermite en pleine intercession pour son peuple. Voilà un vrai pontife !

Pour résumer : un saint contemplactif ! Pas besoin de porter nécessairement la crosse ou la mitre. Il suffit d’avoir dans le cœur un immense désir de paix et de puiser dans la spiritualité chrétienne l’imagination pour trouver et le courage contagieux pour partager cette bienheureuse utopie avec ceux qui nous entourent, à commencer par les premiers responsables de la cité.

Finalement, tout est dit dans ce rappel de Nicolas de Flue dans sa lettre aux Bernois en 1482: « La paix est toujours en Dieu, car Dieu est la paix et la paix ne peut être détruite, mais la discorde est détruite. Cherchez donc à garder la paix. »

Surtout après une guerre, fût-elle considérée comme inévitable voire nécessaire, seule la paix a le bon goût de la victoire. Comme on partage le pain, avec une saveur d’eucharistie. Oui, quand les ennemis finissent par se réconcilier, par trouver les voies de nouvelles collaborations positives, par se rapprocher au point de devenir fraternels au-delà des barrières et des frontières désormais périmées.

Nous commémorons aussi actuellement le début de la « grande guerre » , celle de 14-18  inscrite sur un vitrail du chœur de notre cathédrale, sans oublier celle qui suivit, encore plus cruelle. 

Quels que soient nos opinions ou nos penchants politiques, il faut bien reconnaître que notre Europe est désormais, globalement et nous l’espérons durablement, un continent de paix. Oui, enfin, les pontifes l’ont emporté sur les va-t-en guerre. Ces faiseurs de pont, dont beaucoup étaient des chrétiens affirmés, doivent continuer de nous inspirer, y compris au jour où nous faisons mémoire d’une bataille, parce que la paix dans la justice et la liberté en actes aujourd’hui valent encore plus que les souvenirs des vaillances passées, fussent-elles inscrites dans notre ADN patriotique.

Notre canton et notre ville vont inaugurer un nouveau pont. Pour le construire –pour faire œuvre de pontificat-, il a fallu d’abord creuser profond. Illustration des valeurs essentielles qu’il s’agit de trouver ou de retrouver au fond de nous, personnellement et communautairement, dans notre conscience et dans notre foi.

Il a fallu ensuite dresser vers le ciel des piliers audacieux qui prennent le risque des hauteurs pour vaincre les obstacles d’un terrain escarpé et inhospitalier. Car les vraies profondeurs humaines appellent les élans vers les verticalités spirituelles ou transcendantes, et pourquoi pas ? divines.

Enfin il a fallu construire un tablier qui permette les relations horizontales. Que voilà un bel instrument de communications qui puisse déboucher, nous l’espérons, non seulement vers la fluidité de la circulation, mais surtout vers la beauté de nouvelles rencontres dans la riche communion des diversités humaines, qu’elles soient religieuses, culturelles ou sociales.

Frères et sœurs, en cette fête de la Sainte Trinité, dans le contexte où nous sommes, à savoir entre une victoire à commémorer et un pont à inaugurer, comment ne pas appeler sur nous les vœux de la plus belle fraternité que saint Paul décrivait ainsi aux Corinthiens : « Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit Saint soient avec vous tous ! » ?

                                               Claude Ducarroz




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