Homélie
Morat 2014
Je me permets de vous faire une proposition
qui, pour être étrange n’en est pas moins honnête : aimeriez-vous être ou
devenir « pontife » ? Rassurez-vous ! Il ne s’agit pas de
prendre la place de notre cher évêque, ni de pontifier dans l’exercice de votre
autorité. Etre pontifiant est d’ailleurs devenu un défaut que l’on traque, à
juste titre, jusque dans l’Eglise, surtout depuis l’entrée en fonction du pape
François.
Pontife ! Ce qui signifie littéralement
« faiseur de pont ». En ce sens, surtout à Fribourg, n’est-ce pas une
vocation récurrente pour nos
responsables de toutes sortes ? J’ai compté : depuis mon balcon côté
Sarine, je puis apercevoir rien moins que huit ponts, y compris le dernier et
le plus beau que nous allons inaugurer ensemble dans la joie le 10 octobre
prochain.
Je crois que c’est le devoir sacré, en même
temps que l’honneur et la noblesse des autorités, que de construire des ponts
entre les êtres humains, afin que la communauté civique s’établisse dans la
paix, tout en intégrant les légitimes diversités comme des richesses au lieu
d’en faire des occasions d’affrontements, de luttes, voire de guerres.
Car la guerre, c’est le contraire du
pontificat. Hélas ! On le voit encore de nos jours : la guerre, ça
casse les choses, ça détruit les relations, ça blesse et ça tue les personnes.
Même quand la cause est juste, même quand les sacrifices sont honorables, voire
admirables, tout reste à reconstruire, y compris après les plus glorieuses
victoires, comme ce fut le cas d’ailleurs après la bataille de Morat.
Car ne l’oublions pas ! Il a fallu
finalement un grand mais humble pontife pour que cette victoire n’entrainât
point une nouvelle guerre, cette fois entre nous, les fiers vainqueurs
confédérés et fribourgeois.
Dans le vitrail de Nicolas de Flue, un grand cercle multicolore entoure et embrasse la scène de
la réconciliation des Suisses qui valut l’entrée de Fribourg et Soleure dans la
Confédération helvétique. Souvenons-nous en pour le remercier. L’auteur de ce miracle, après Dieu évidemment,
est au centre du tableau. Il s’agit d’un père de famille en prière, un
magistrat devenu ermite en pleine intercession pour son peuple. Voilà un vrai
pontife !
Pour résumer : un saint
contemplactif ! Pas besoin de porter nécessairement la crosse ou la mitre.
Il suffit d’avoir dans le cœur un immense désir de paix et de puiser dans la
spiritualité chrétienne l’imagination pour trouver et le courage contagieux
pour partager cette bienheureuse utopie avec ceux qui nous entourent, à commencer
par les premiers responsables de la cité.
Finalement, tout est dit dans ce rappel de
Nicolas de Flue dans sa lettre aux Bernois en 1482: « La paix est toujours
en Dieu, car Dieu est la paix et la paix ne peut être détruite, mais la
discorde est détruite. Cherchez donc à garder la paix. »
Surtout après une guerre, fût-elle considérée
comme inévitable voire nécessaire, seule la paix a le bon goût de la victoire.
Comme on partage le pain, avec une saveur d’eucharistie. Oui, quand les ennemis
finissent par se réconcilier, par trouver les voies de nouvelles collaborations
positives, par se rapprocher au point de devenir fraternels au-delà des
barrières et des frontières désormais périmées.
Nous commémorons aussi actuellement le début de
la « grande guerre » , celle de 14-18
inscrite sur un vitrail du chœur de notre cathédrale, sans oublier celle
qui suivit, encore plus cruelle.
Quels que soient nos opinions ou nos penchants
politiques, il faut bien reconnaître que notre Europe est désormais, globalement
et nous l’espérons durablement, un continent de paix. Oui, enfin, les pontifes
l’ont emporté sur les va-t-en guerre. Ces faiseurs de pont, dont beaucoup
étaient des chrétiens affirmés, doivent continuer de nous inspirer, y compris
au jour où nous faisons mémoire d’une bataille, parce que la paix dans la
justice et la liberté en actes aujourd’hui valent encore plus que les souvenirs
des vaillances passées, fussent-elles inscrites dans notre ADN patriotique.
Notre canton et notre
ville vont inaugurer un nouveau pont. Pour le construire –pour faire œuvre de
pontificat-, il a fallu d’abord creuser profond. Illustration des valeurs
essentielles qu’il s’agit de trouver ou de retrouver au fond de nous, personnellement
et communautairement, dans notre conscience et dans notre foi.
Il a fallu ensuite
dresser vers le ciel des piliers audacieux qui prennent le risque des hauteurs
pour vaincre les obstacles d’un terrain escarpé et inhospitalier. Car les
vraies profondeurs humaines appellent les élans vers les verticalités
spirituelles ou transcendantes, et pourquoi pas ? divines.
Enfin il a fallu
construire un tablier qui permette les relations horizontales. Que voilà un bel
instrument de communications qui puisse déboucher, nous l’espérons, non
seulement vers la fluidité de la circulation, mais surtout vers la beauté de
nouvelles rencontres dans la riche communion des diversités humaines, qu’elles
soient religieuses, culturelles ou sociales.
Frères et sœurs, en
cette fête de la Sainte Trinité, dans le contexte où nous sommes, à savoir
entre une victoire à commémorer et un pont à inaugurer, comment ne pas appeler sur nous les vœux de la plus
belle fraternité que saint Paul décrivait ainsi aux Corinthiens :
« Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion
de l’Esprit Saint soient avec vous tous ! » ?
Claude
Ducarroz
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