Ascension 2014
Homélie
Nous aurons bientôt le pont de la Poya. Nous
avons déjà -et chaque année- le pont de l’Ascension. Au-delà de la plaisanterie
d’un goût douteux, j’en conviens, il y a cette réalité programmée et vécue : pour beaucoup de
nos contemporains, l’Ascension est surtout l’occasion de « faire le
pont » en terme de congé ou de voyage. Ainsi va la société sécularisée
dans laquelle nous baignons, y compris chez nous, dans ces pays qu’on appelle
« de vieille chrétienté ».
Mais finalement, à force de contempler depuis
mon appartement le futur –et bientôt actuel- pont de la Poya, je pense qu’il
n’est peut-être pas si faux de mettre en évidence quelques parentés entre ce
fameux édifice et la fête que nous célébrons aujourd’hui : l’Ascension du
Seigneur.
Pour bâtir ce pont jeté par dessus une vallée
plutôt escarpée, il a fallu trois opérations complémentaires. D’abord creuser
profond dans le sol, puis dresser de hauts piliers vers le ciel et enfin
dérouler un tablier horizontal de solide portée.
Ne serait-ce pas, en symbole et en réalité,
l’aventure de Jésus et de l’Eglise -et donc de nous aussi- dans notre destinée
humaine ?
D’abord creuser profond. C’est ce que Jésus a
expérimenté lors de sa venue en ce monde, « dans la chair », comme
dit l’évangile. Issu des abîmes insondables de l’amour trinitaire, il est allé
au plus profond de notre condition humaine, en commençant par le sein d’une
femme devenue sa mère, en passant par une histoire de partages aux multiples
facettes, au gré des rencontres sur le chemin, en allant jusqu’à la croix qui
signe la conformité maximum avec nous, dans l’exclusion, la souffrance et la
mort. Dans le sol de notre humanité, dans le terreau de notre histoire, il ne
pouvait pas planter plus profondément les piliers de son amour. Il l’a fait.
A partir de cette solidarité toute intérieure,
il a dressé les colonnes d’une remontée progressive jusqu’à Dieu et son Royaume
des cieux, désormais ouvert aussi pour nous. Par ses paroles en forme de
« bonne nouvelle », par ses gestes de miséricorde -surtout à l’égard
des plus pauvres et même des plus pécheurs-, il a élevé sur notre horizon
tragique un édifice d’espérance revenue, de réconciliation possible, et même de
vie éternelle avec Dieu. Deux piliers sont là qui brillent au firmament de
notre monde: la résurrection de Jésus et son ascension. Oui, la victoire totale
sur la mort et tout mal, et l’entrée définitive dans le Royaume des cieux. Pour
lui, mais aussi avec lui, pour nous, le moment venu.
Mais pour qu’il y ait un pont, il faut aussi,
entre les pylônes qui pointent vers le ciel, un tablier horizontal qui permette
la circulation, les rencontres, en un mot : la vraie vie. C’est ce que ces
hommes en vêtements blancs sont venus rappeler aux disciples :
« Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » Et Jésus
lui-même les avait avertis : « Allez, de toutes les nations, faites
des disciples, leur apprenant à garder tous les commandements que je vous ai
donnés. » Autrement dit : le pont de Jésus est fait, certes pour nous
conduire au ciel dans la maison du Père, mais il est aussi là, en attendant
l’entrée dans son Royaume, pour nous permettre de bien circuler en ce monde
comme des chrétiens animés par l’évangile, guidés par l’Esprit Saint et
champions de toutes les solidarités humaines, par amour.
Telle est la Poya de l’Ascension, cette rude et
belle montée vers Dieu, avec le bon berger Jésus en tête du troupeau humain,
avec les projecteurs de la Parole de Dieu pour nous indiquer les bons sentiers
et nous éviter les précipices, avec l’Esprit Saint comme dynamisme intérieur et
courage d’avancer, voire de recommencer.
Et nous sommes dans la communion de l’Eglise
peuple de Dieu en marche, nous nous donnons la main, surtout dans les moments
ou les passages difficiles, qui ne manquent pas de nos jours, nous ne le savons
que trop.
Plus que jamais, c’est l’heure de l’unité
œcuménique. Nous ne pouvons plus nous payer le mauvais luxe de nos divisions
alors que nous sommes mis au défi de l’évangélisation dans une société plus
païenne que chrétienne, alors que tant de pauvres et d’opprimés comptent sur
nous pour trouver ou retrouver dignité et liberté.
C’est ce que l’apôtre Paul rappelle aux
chrétiens d’Ephèse, et à nous aujourd’hui, dans cet impressionnant
résumé : « Que Dieu le Père ouvre votre cœur à sa lumière pour vous
faire comprendre l’espérance que donne son appel, la gloire sans prix de
l’héritage que vous partagez avec les autres fidèles et la puissance infinie
qu’il déploie pour nous, les croyants… parce qu’il est la tête de l’Eglise qui
est son corps. »
Si vous regardez notre beau pont de la Poya,
vous verrez que les piliers qui le portent finissent par se rejoindre dans le
ciel comme deux mains qui prient. Que voilà encore une belle leçon ! Avant
de nous quitter pour son ascension, Jésus nous a donné cette assurance :
« Et moi, je suis avec vous tous les jours
jusqu’à la fin du monde. » Dans cette relative absence, la
communion de la présence mystérieuse continue, surtout par l’eucharistie, mais
aussi par la prière, avec nos mains levées vers le ciel, avec notre cœur recueilli
dans le silence, avec notre vie offerte
quoi qu’il nous arrive.
Pour nous aider à marcher vaillamment sur le
pont de cette vie, mais sans jamais perdre de vue la promesse du Royaume des
cieux.
Claude
Ducarroz
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire