mercredi 28 mai 2014

Ascension 2014

Ascension 2014
Homélie

Nous aurons bientôt le pont de la Poya. Nous avons déjà -et chaque année- le pont de l’Ascension. Au-delà de la plaisanterie d’un goût douteux, j’en conviens, il y a cette réalité  programmée et vécue : pour beaucoup de nos contemporains, l’Ascension est surtout l’occasion de « faire le pont » en terme de congé ou de voyage. Ainsi va la société sécularisée dans laquelle nous baignons, y compris chez nous, dans ces pays qu’on appelle « de vieille chrétienté ».

Mais finalement, à force de contempler depuis mon appartement le futur –et bientôt actuel- pont de la Poya, je pense qu’il n’est peut-être pas si faux de mettre en évidence quelques parentés entre ce fameux édifice et la fête que nous célébrons aujourd’hui : l’Ascension du Seigneur.

Pour bâtir ce pont jeté par dessus une vallée plutôt escarpée, il a fallu trois opérations complémentaires. D’abord creuser profond dans le sol, puis dresser de hauts piliers vers le ciel et enfin dérouler un tablier horizontal de solide portée.
Ne serait-ce pas, en symbole et en réalité, l’aventure de Jésus et de l’Eglise -et donc de nous aussi- dans notre destinée humaine ?

D’abord creuser profond. C’est ce que Jésus a expérimenté lors de sa venue en ce monde, « dans la chair », comme dit l’évangile. Issu des abîmes insondables de l’amour trinitaire, il est allé au plus profond de notre condition humaine, en commençant par le sein d’une femme devenue sa mère, en passant par une histoire de partages aux multiples facettes, au gré des rencontres sur le chemin, en allant jusqu’à la croix qui signe la conformité maximum avec nous, dans l’exclusion, la souffrance et la mort. Dans le sol de notre humanité, dans le terreau de notre histoire, il ne pouvait pas planter plus profondément les piliers de son amour. Il l’a fait.

A partir de cette solidarité toute intérieure, il a dressé les colonnes d’une remontée progressive jusqu’à Dieu et son Royaume des cieux, désormais ouvert aussi pour nous. Par ses paroles en forme de « bonne nouvelle », par ses gestes de miséricorde -surtout à l’égard des plus pauvres et même des plus pécheurs-, il a élevé sur notre horizon tragique un édifice d’espérance revenue, de réconciliation possible, et même de vie éternelle avec Dieu. Deux piliers sont là qui brillent au firmament de notre monde: la résurrection de Jésus et son ascension. Oui, la victoire totale sur la mort et tout mal, et l’entrée définitive dans le Royaume des cieux. Pour lui, mais aussi avec lui, pour nous, le moment venu.

Mais pour qu’il y ait un pont, il faut aussi, entre les pylônes qui pointent vers le ciel, un tablier horizontal qui permette la circulation, les rencontres, en un mot : la vraie vie. C’est ce que ces hommes en vêtements blancs sont venus rappeler aux disciples : « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » Et Jésus lui-même les avait avertis : « Allez, de toutes les nations, faites des disciples, leur apprenant à garder tous les commandements que je vous ai donnés. » Autrement dit : le pont de Jésus est fait, certes pour nous conduire au ciel dans la maison du Père, mais il est aussi là, en attendant l’entrée dans son Royaume, pour nous permettre de bien circuler en ce monde comme des chrétiens animés par l’évangile, guidés par l’Esprit Saint et champions de toutes les solidarités humaines, par amour.
Telle est la Poya de l’Ascension, cette rude et belle montée vers Dieu, avec le bon berger Jésus en tête du troupeau humain, avec les projecteurs de la Parole de Dieu pour nous indiquer les bons sentiers et nous éviter les précipices, avec l’Esprit Saint comme dynamisme intérieur et courage d’avancer, voire de recommencer.
Et nous sommes dans la communion de l’Eglise peuple de Dieu en marche, nous nous donnons la main, surtout dans les moments ou les passages difficiles, qui ne manquent pas de nos jours, nous ne le savons que trop.
Plus que jamais, c’est l’heure de l’unité œcuménique. Nous ne pouvons plus nous payer le mauvais luxe de nos divisions alors que nous sommes mis au défi de l’évangélisation dans une société plus païenne que chrétienne, alors que tant de pauvres et d’opprimés comptent sur nous pour trouver ou retrouver dignité et liberté.

C’est ce que l’apôtre Paul rappelle aux chrétiens d’Ephèse, et à nous aujourd’hui, dans cet impressionnant résumé : « Que Dieu le Père ouvre votre cœur à sa lumière pour vous faire comprendre l’espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les autres fidèles et la puissance infinie qu’il déploie pour nous, les croyants… parce qu’il est la tête de l’Eglise qui est son corps. »

Si vous regardez notre beau pont de la Poya, vous verrez que les piliers qui le portent finissent par se rejoindre dans le ciel comme deux mains qui prient. Que voilà encore une belle leçon ! Avant de nous quitter pour son ascension, Jésus nous a donné cette assurance : « Et moi, je suis avec vous tous les jours  jusqu’à la fin du monde. » Dans cette relative absence, la communion de la présence mystérieuse continue, surtout par l’eucharistie, mais aussi par la prière, avec nos mains levées vers le ciel, avec notre cœur recueilli dans le  silence, avec notre vie offerte quoi qu’il nous arrive.
Pour nous aider à marcher vaillamment sur le pont de cette vie, mais sans jamais perdre de vue la promesse du Royaume des cieux.

                                               Claude Ducarroz


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