samedi 10 mai 2014

Dimanche du Bon Pasteur

Homélie
Radio suisse romande
11 mai 2014

Je me souviens. Une fois l’hiver bien installé dans la plaine broyarde d’où je viens, nous guettions l’arrivée des moutons. Je veux dire le passage d’un troupeau emmené par un berger accompagné d’un chien très obéissant, et ses brebis qui cherchaient quelques brins d’herbe encore verte, parfois sous la neige. J’admirais la vigilance du berger qui n’abandonnait jamais ses bêtes, même la nuit, et le soin particulier qu’il apportait aux agneaux, nos préférés évidemment.

 Je l’ai découvert plus tard : ce spectacle touchant, c’était aussi une parabole de l’évangile, et précisément le récit d’aujourd’hui, « dimanche du bon Pasteur. »
Selon l’heureuse nouvelle de ce jour, Jésus a toutes les qualités du bon berger : il connaît ses brebis, c’est  pourquoi elles écoutent sa voix ; il marche à leur tête et elles le suivent volontiers ; il les appelle sur le ton de la tendresse, elles peuvent donc aller et venir en toute confiance: il les mène sur de bons pâturages, il les protège s’il le faut, il est au service de leur vie.

S’il est un mot qu’on utilise souvent dans les discours et les écrits de l’Eglise, c’est bien celui-là : la pastorale. Il y a 50 ans, le concile Vatican II se voulait « pastoral ». Les divers conseils qui se multiplient dans les organigrammes de l’Eglise se nomment « pastoraux », ou du moins leur but est d’organiser ou de soutenir la pastorale. Dans les Eglises de tradition réformée, les premiers responsables se nomment « pasteurs » et les communautés nouvelles ont à leur tête des bergers…ou bergères.

On pourrait donc en conclure, avec une certaine bonne conscience, que nous sommes tous « en plein dans le mille de l’Evangile » avec nos structures, nos planifications et nos initiatives…pastorales. Sauf que justement dans ce chapitre 10 de saint Jean, au verset suivant, Jésus dit : « Je suis le bon pasteur. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Le vrai berger, le seul pasteur, ce n’est donc pas nous, mais un autre, le Christ de la croix et de Pâques.

La preuve : Pierre, à qui le Seigneur Jésus avait dit au soir de la résurrection : « Sois le berger de mes agneaux, sois le berger de mes brebis », c’est le même qui écrit, sans doute depuis Rome : « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes revenus vers le berger qui veille sur vous. » Pas lui, Pierre, mais le Christ ressuscité évidemment. Pas ses brebis à lui Pierre, mais celles de Jésus.

Et voilà qui situe mieux tous nos efforts de pastorale. Pas pour les rendre suspects par principe, car finalement la pastorale est peut-être ce que nous pouvons faire de mieux dans l’esprit de l’évangile et dans la communion de l’Eglise et des Eglises. A une condition cependant : que nous nous mettions au service de l’unique bon pasteur et non pas à notre compte, dans la boutique de notre petit enclos personnel.

Donc oui à la pastorale, mais celle du pasteur que Dieu nous a envoyé, nous a révélé et finalement nous a donné dans un grand geste d’amour, jusqu’à la croix, jusqu’au cœur ouvert par la lance, jusqu’au tombeau vide parce qu’il est ressuscité, vivant, présent au milieu de nous et en nous. Qui dit mieux ?

Peut-on entrer dans quelque détail, sans avoir l’air d’être meilleur que les autres ni leur faire la leçon ?
* Entrer dans la bergerie par la porte, c’est frapper à la conscience de chaque humain avec la douceur de l’amour, et non pas la contrainte de la force ou de la propagande.
* Proposer la foi, l’offrir humblement, et non pas l’imposer.
* Ouvrir la porte en nous souvenant de ce que le pape François
 --qui a certes reçu une haute mission pastorale- vient de rappeler : « L’Eglise n’est pas une douane, mais la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile. » (La joie de l’évangile no 47).

Dans nos responsabilités pastorales, quelles qu’elles soient -depuis les évêques jusqu’aux laïcs, aux religieux et religieuses, en passant par les prêtres et pasteurs, sans oublier les diacres- nous mettons nos yeux, nos oreilles, notre voix, nos mains, nos pieds et tout le reste au service d’un évangile qui nous vient d’un autre, tellement plus important que nous.
Il nous adresse à tous une « bonne nouvelle » et non pas une volée de bois vert soit disant évangélique, même si nous avons tous à nous laisser convertir, dans le micro-onde de la miséricorde.
Les verts pâturages du psaume sont encore là, dans le jardin de Pâques, près de la fontaine du baptême. Il y a le pain savoureux de la parole de Dieu, il y a le festin gouteux de l’eucharistie, il y a le bon air de l’Esprit Saint qui souffle où il veut, pour nous faire gambader comme des agneaux dans l’ambiance libérée du Dieu-Amour.
Et si nous sommes un troupeau, dans la communion de l’Eglise, ce n’est pas pour devenir des moutons bêlants et dociles, mais des frères et sœurs solidaires, attentifs aux plus faibles et aux plus pauvres, dans le seul but de favoriser la vie et le bonheur partagé le plus largement possible, y compris avec celles et ceux qui sont différents de nous, qui ne sont peut-être même pas de notre bergerie.

Telle est la belle aventure de la transhumance chrétienne, avec le bon pasteur à notre tête, y compris dans l’hiver du monde, parce que nous nous savons sauvés, surtout lorsque nous nous égarons comme des brebis perdues, puisqu’il vient toujours à notre recherche afin « qu’il y ait un seul troupeau et un seul pasteur. »

Celui qui conclut ainsi : « Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance. »


Claude Ducarroz

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