Homélie
Radio suisse romande
11
mai 2014
Je me souviens. Une fois l’hiver bien installé
dans la plaine broyarde d’où je viens, nous guettions l’arrivée des moutons. Je
veux dire le passage d’un troupeau emmené par un berger accompagné d’un chien
très obéissant, et ses brebis qui cherchaient quelques brins d’herbe encore
verte, parfois sous la neige. J’admirais la vigilance du berger qui
n’abandonnait jamais ses bêtes, même la nuit, et le soin particulier qu’il
apportait aux agneaux, nos préférés évidemment.
Je l’ai
découvert plus tard : ce spectacle touchant, c’était aussi une parabole de
l’évangile, et précisément le récit d’aujourd’hui, « dimanche du bon Pasteur. »
Selon l’heureuse nouvelle de ce jour, Jésus a
toutes les qualités du bon berger : il connaît ses brebis, c’est pourquoi elles écoutent sa voix ; il
marche à leur tête et elles le suivent volontiers ; il les appelle sur le
ton de la tendresse, elles peuvent donc aller et venir en toute confiance: il
les mène sur de bons pâturages, il les protège s’il le faut, il est au service
de leur vie.
S’il est un mot qu’on utilise souvent dans les
discours et les écrits de l’Eglise, c’est bien celui-là : la pastorale. Il
y a 50 ans, le concile Vatican II se voulait « pastoral ». Les divers
conseils qui se multiplient dans les organigrammes de l’Eglise se nomment
« pastoraux », ou du moins leur but est d’organiser ou de soutenir la
pastorale. Dans les Eglises de tradition réformée, les premiers responsables se
nomment « pasteurs » et les communautés nouvelles ont à leur tête des
bergers…ou bergères.
On pourrait donc en conclure, avec une certaine
bonne conscience, que nous sommes tous « en plein dans le mille de
l’Evangile » avec nos structures, nos planifications et nos
initiatives…pastorales. Sauf que justement dans ce chapitre 10 de saint Jean,
au verset suivant, Jésus dit : « Je suis le bon pasteur. Le bon
pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Le vrai berger, le seul pasteur,
ce n’est donc pas nous, mais un autre, le Christ de la croix et de Pâques.
La preuve : Pierre, à qui le Seigneur
Jésus avait dit au soir de la résurrection : « Sois le berger de
mes agneaux, sois le berger de mes brebis », c’est le même qui écrit, sans
doute depuis Rome : « Vous étiez errants comme des brebis ;
mais à présent vous êtes revenus vers le berger qui veille sur vous. » Pas
lui, Pierre, mais le Christ ressuscité évidemment. Pas ses brebis à lui Pierre,
mais celles de Jésus.
Et voilà qui situe mieux tous nos efforts de
pastorale. Pas pour les rendre suspects par principe, car finalement la pastorale
est peut-être ce que nous pouvons faire de mieux dans l’esprit de l’évangile et
dans la communion de l’Eglise et des Eglises. A une condition cependant :
que nous nous mettions au service de l’unique bon pasteur et non pas à notre
compte, dans la boutique de notre petit enclos personnel.
Donc oui à la pastorale, mais celle du pasteur
que Dieu nous a envoyé, nous a révélé et finalement nous a donné dans un grand
geste d’amour, jusqu’à la croix, jusqu’au cœur ouvert par la lance, jusqu’au
tombeau vide parce qu’il est ressuscité, vivant, présent au milieu de nous et
en nous. Qui dit mieux ?
Peut-on entrer dans quelque détail, sans avoir
l’air d’être meilleur que les autres ni leur faire la leçon ?
* Entrer dans la bergerie par la porte, c’est
frapper à la conscience de chaque humain avec la douceur de l’amour, et non pas
la contrainte de la force ou de la propagande.
* Proposer la foi, l’offrir humblement, et non
pas l’imposer.
* Ouvrir la porte en nous souvenant de ce que
le pape François
--qui a certes
reçu une haute mission pastorale- vient de rappeler : « L’Eglise
n’est pas une douane, mais la maison paternelle où il y a de la place pour
chacun avec sa vie difficile. » (La joie de l’évangile no 47).
Dans nos responsabilités pastorales, quelles
qu’elles soient -depuis les évêques jusqu’aux laïcs, aux religieux et
religieuses, en passant par les prêtres et pasteurs, sans oublier les diacres- nous
mettons nos yeux, nos oreilles, notre voix, nos mains, nos pieds et tout le reste
au service d’un évangile qui nous vient d’un autre, tellement plus important
que nous.
Il nous adresse à tous une « bonne
nouvelle » et non pas une volée de bois vert soit disant évangélique, même
si nous avons tous à nous laisser convertir, dans le micro-onde de la
miséricorde.
Les verts pâturages du psaume sont encore là,
dans le jardin de Pâques, près de la fontaine du baptême. Il y a le pain savoureux
de la parole de Dieu, il y a le festin gouteux de l’eucharistie, il y a le bon
air de l’Esprit Saint qui souffle où il veut, pour nous faire gambader comme
des agneaux dans l’ambiance libérée du Dieu-Amour.
Et si nous sommes un troupeau, dans la
communion de l’Eglise, ce n’est pas pour devenir des moutons bêlants et dociles,
mais des frères et sœurs solidaires, attentifs aux plus faibles et aux plus
pauvres, dans le seul but de favoriser la vie et le bonheur partagé le plus
largement possible, y compris avec celles et ceux qui sont différents de nous,
qui ne sont peut-être même pas de notre bergerie.
Telle est la belle aventure de la transhumance
chrétienne, avec le bon pasteur à notre tête, y compris dans l’hiver du monde,
parce que nous nous savons sauvés, surtout lorsque nous nous égarons comme des
brebis perdues, puisqu’il vient toujours à notre recherche afin « qu’il y
ait un seul troupeau et un seul pasteur. »
Celui qui conclut ainsi : « Moi, je
suis venu pour que les hommes aient la vie, et qu’ils l’aient en
abondance. »
Claude Ducarroz
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