Homélie
Jn 21,1-14
Comme il
y a plusieurs manières de bien faire, il y a aussi plusieurs façons de lire –ou
plutôt de recueillir et d’accueillir- ce texte de Jean dans cet appendice
ajouté à son évangile. L’important, c’est que cette parole finalement nous
éclaire, nous touche et nous fasse bouger, nous, là où nous sommes aujourd’hui.
Et pour vous, c’est au terme d’un pèlerinage en compagnie de Marie, mais on
sait combien Marie et le disciple bien-aimé étaient proches, et même ensemble,
au pied de la croix de Jésus. Cf. Jn 19,26-27.
Curieux et significatif, ce retour des
disciples au bord de leur lac familier, à la rude tâche du métier de pêcheur,
loin des évènements extra-ordinaires de Jérusalem. Oui, un certain retour à la « case
départ », dans la banalité de la vie quotidienne et sur le lieu qui fut
celui de la première rencontre avec Jésus et le témoin de leur vocation. La
boucle semble bouclée.
Et c’est justement là que le Seigneur
ressuscité les rejoint, car il nous rattrape toujours là où nous sommes, lui
qui fait tout le chemin à notre rencontre, tout en restant discret dans les
signes qu’il nous adresse. Une révélation progressive, toute de respect, toute
en douceur.
Et qui vient-il rejoindre, ce Jésus encore
anonyme mais déjà actif ? Une équipe d’amis sur une barque. Tout un
symbole sûrement. Jésus reprend contact avec l’Eglise, son Eglise. Avec ce
Simon devenu Pierre, et toute sa bande de Galiléens, réunis par la profession,
par une amitié pas toujours tranquille, par l’appel de jadis toujours fécond.
On reconnaît le type de rendez-vous à la façon
de nommer et de situer les personnes. Ce sont les apôtres, les 12, ceux qui peuvent
dire à Simon-Pierre : « Nous aussi, nous allons avec toi »
sur la même barque, à la pêche. Mais désormais, avait dit Jésus, « ce sont
des hommes que tu prendras ». Cf. Lc 5,10.
Mais justement, ils ne prirent rien ni personne
cette nuit-là. Car l’Eglise n’est pas une entreprise qui doit faire du chiffre
pour satisfaire l’appétit de rendement d’un conseil d’administration. Elle fait
ce qu’elle peut. Si souvent, elle travaille aussi dans la nuit du monde. Le
mieux, aujourd’hui comme hier, c’est qu’elle attende son Seigneur jusqu’au
lever du jour pour le reconnaître dans la foi et finalement accomplir humblement les gestes de l’espérance, à savoir
toujours recommencer à jeter les filets de l’évangile dans la mer de son temps.
Pas parce que nous sommes de meilleurs pêcheurs –nous qui sommes de pauvres
pécheurs-, mais parce que Jésus nous le commande et recommande, respectueusement,
inlassablement.
Et d’ailleurs il le fait en commençant par
demander quelque chose, comme un mendiant qui a faim, avec une simplicité
bouleversante. Il vient leur offrir la résurrection, lui le maître de la vie,
et il leur dit : « Les enfants, avez-vous quelque chose à manger ? »
Car il a son idée derrière la tête. Une fois
accompli le saut de la foi par le disciple bien-aimé -le plus perspicace en
amour –« c’est le Seigneur ! »-, Pierre seul se jette à l’eau.
Mais c’est dans la collégialité apostolique que tous traînent le filet et
tirent la barque sur le rivage. Une manoeuvre délicate qu’il faut réussir sans
rompre le filet, le regard fixé sur le divin reconnu de la plage qui les attend
avec le repas concocté par lui-même.
Il leur avait demandé à manger, et c’est lui
qui a tout préparé, le feu, le poisson et le pain. Ce n’est pas céder à
l’imagination pieuse que de reconnaître dans cet étrange pique-nique les symboles
de la cène : le feu pour signifier la chaleur de l’amour, des poissons
venus de la pêche humaine –« fruits de la mer et du travail des
hommes »- et le pain partagé sur invitation
eucharistique : « Venez manger. »
C’est Jésus en personne qui s’approche –il nous
aime toujours le premier-, c’est lui qui donne, c’est lui qui se donne. Leur
foi, comme la nôtre n’est-ce pas ?, demeure toujours balbutiante. Ils
n’osent lui demander « qui
es-tu ? », mais ils savent bien que c’est lui, le Seigneur.
Un pèlerinage, surtout en compagnie de Marie,
c’est refaire avec Jésus ressuscité cette expérience maritime, ou lacustre, si
Tibériade s’appelle Port Valais. Elle se vit toujours dans la communion de
l’Eglise apostolique dont l’évêque est le signe vivant. Elle prend le temps du
dialogue avec Jésus, par l’écoute de sa parole révélante et invitante, jusqu’à
l’eucharistie au bord du rivage de la vie ordinaire.
Car où que nous soyons, il est bel et bien là,
avec nous, tous les jours, comme il l’a promis. Y compris quand nous donnons la
main de la fraternité respectueuse à celles et ceux qui ne l’ont pas encore
reconnu ou hésitent à le nommer. Jésus vient, s’approche, dialogue par son
Esprit au cœur secret des consciences, tout en invitant chacun à faire Eglise
autour de la parole et du pain partagés.
A ceux qui acceptent de se jeter à l’eau de
l’évangélisation, comme à ceux qui peut-être traînent encore sur la grève, le
Seigneur peut faire signe comme ressuscité, parfois éblouissant, toujours
infiniment patient, jusqu’à la discrétion, mais toujours avec le rayonnement du
feu de braise de son amour, là, sur les divers rivage de nos vies.
Claude
Ducarroz
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