Homélie
In memoriam 2014
Alors, la guerre,
comment ça va ?
Merci pour elle, elle
va très bien.
Et vous ? Comment
allez-vous ?
Ce petit dialogue, presque banal, pourrait
s’appliquer à la situation internationale, telle que les medias nous la
rapportent et nous la montrent. Ainsi vont les guerres, avec quelques
spécialités typiques de notre temps. Ici et là, la religion refait alliance
avec la violence, comme s’il fallait sacraliser les horreurs pour les rendre
non seulement excusables mais acceptables.
Les chrétiens -mais d’autres aussi- sont
devenus des cibles faciles pour certains « combattants de Dieu ». Sur
les routes de l’inhumanité, en ce moment-même, marchent, tombent et meurent des
milliers d’innocents pris au piège de la haine, du fanatisme, de l’intolérance
et de l’exclusion la plus radicale.
Et pendant ce
temps-là, ici, dans notre cathédrale, au cours d’une belle messe, nous évoquons
pieusement la mémoire de soldats qui, s’ils étaient prêts à se sacrifier pour
leur patrie, sont morts non pas dans les combats, mais simplement dans
l’accomplissement de leur devoir citoyen, comme on dit, « sous les
drapeaux ». Honneur à eux !
Dans notre célébration
grave mais pacifique, une fois de plus, sonne et résonne l’heure des martyrs,
celles et ceux qui paient de leur vie leur attachement à la dignité des
personnes, à la liberté de conscience et au droit d’exprimer et de vivre sa
foi.
Le saviez-vous ? Il y a dans notre belle
cathédrale un vitrail réservé aux martyrs. Celui-là, près de la chaire, sur
votre gauche. Ne manquez pas de le contempler une fois dans le silence d’une
méditation.
A gauche, il y a deux hommes, parmi lesquels
d’ailleurs un soldat, saint Maurice qui, tout en pratiquant son métier, fit
objection de conscience quand on le força à choisir entre son Dieu et
l’empereur. Il en mourut au fil de l’épée, avec ses compagnons.
Mais il y aussi deux femmes -à droite- reconnues
comme patronnes de Fribourg : Catherine d’Alexandrie et Barbe, que
certains situent à Antioche, deux martyres provenant de cet Orient qui fournit
encore le plus gros contingent des martyrs contemporains.
Les martyrs pourraient être beaux quand on les
place sur des vitraux réalisés par des artistes de génie, comme l’était le
polonais Joseph Mehoffer, lui-même d’ailleurs victime des conséquences de notre
dernière guerre à Cracovie en 1946. Mais au bas du vitrail, le peintre n’a rien
voulu cacher des horreurs qui sont le prix de la vaillance et de la fidélité,
tant féminines que masculines. Regardez : chaque personnage est représenté
nu, dans toute la cruauté de son destin, y compris les femmes, sans pudeur,
quand il s’agit de donner sa vie comme le Christ, nu sur la croix du sacrifice.
Mais je vous prie
d’observer encore de plus près les brutales scènes du martyre en acte. Dans chaque
représentation, l’artiste a inséré, près de l’horreur triomphante, un discret
visage de femme. Oui, toujours une femme, y compris du côté des hommes, un peu
comme Marie au pied de la croix du Christ, où il y avait plus de femmes que
d’apôtres, quand Jésus achevait d’offrir sa vie pour
le salut du monde, sous la violence de
ses bourreaux à la fois politiques, militaires et religieux.
Voyez ces visages de femmes, qui sont si
discrètes et pourtant nous disent l’essentiel, pour tout racheter, pour tout sauver.
A droite, une femme prie. Puis une autre pleure. La troisième embrasse et la
quatrième relève dans un admirable geste de soutien.
Tout est dit quand il n’y a plus que le
silence. Mais qu’est-ce qui est dit quand tout semble accompli, comme au
calvaire ?
Sûrement la mission de la femme et des femmes
dans un monde de bruts, si souvent masculins, pour ne pas dire « une
affaire de mecs »: la prière, la compassion, l’amour et le tendre
relèvement. L’espérance vient encore si souvent des femmes et de leurs enfants,
y compris de nos jours.
Mais il faut aller plus loin, je crois. Ne
serait-ce pas finalement la parabole incitative et invitatoire de la mission de
l’Eglise dans notre société, telle qu’elle est ? Autrement dit notre tâche
à tous, y compris aux soldats, avant, pendant et surtout après la bataille
quand celle-ci est peut-être inévitable.
* Ne jamais cesser de
prier.
* Continuer de compatir en écoutant son cœur et
pas seulement ses armes.
* Aimer, y compris celui qui ne nous aime pas,
car il faudra bien un jour ressusciter ensemble grâce au pardon échangé.
* Et finalement multiplier les gestes de
soutien, de solidarité et de guérison.
La croix rouge n’est-elle pas le symbole
inversé de la croix suisse ? Il y a un appel permanent pour nous, pour notre
pays, pour ses autorités et tous ses habitants, dans cette symétrie tellement
significative, qui flotte encore aux vents de toutes les tempêtes du monde.
C’est pour ces
valeurs-là -je veux dire celles qui sont illustrées sur ce vitrail- que nos
soldats sont morts. Nous qui avons la grâce de vivre dans un pays en paix, même
s’il n’est pas parfait, comment voyons-nous notre mission citoyenne, comment
vivons-nous notre engagement de chrétiens, dans le monde tel qu’il est,
fascinant et cruel à la fois ?
Avec cette parole de saint Paul encore plus
précieuse qu’un vitrail parce qu’elle est illuminée de l’intérieur par l’Esprit
de Dieu : « Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est
vous ! »
Vous. Nous. Tous les
humains.
Amen !
Claude
Ducarroz
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