Homélie
Commémoration de Morat
14 juin 2015
Franchement ! N’y a-t-il pas assez de
guerres réelles dans notre actualité pour que nous continuions de commémorer
une bataille qui s’est déroulée il y a 539 ans, sous prétexte qu’elle s’est passée
près de chez nous et que nous étions dans le camp des vainqueurs ?
Je comprends qu’on puisse se poser cette
question qui n’a rien d’iconoclaste.
Il y a plusieurs manières de répondre à cette
question. Avec bon sens, on peut évidemment arguer que l’évènement fait partie
de la réalité de notre histoire. Il faut l’assumer. On ne peut pas effacer ce
qui fut, quel que soit le jugement que l’on peut porter sur ce qui fut.
Or justement deux vitraux de notre cathédrale
donnent des commentaires contrastés de l’épopée qui fait l’objet de la
commémoration de ce jour.
Un vitrail, visiblement inspiré par les
vainqueurs, propose une interprétation théologique de l’évènement du 22 juin
1476. C’est le vitrail dit de « Notre-Dame des Victoires » placé en
1898.
Notre retentissante victoire est présentée
comme un don de Dieu, avec le soleil pour l’éclairer et saint Michel muni de
son épée pour l’assurer. Cette victoire est ensuite comme restituée à sa source
par l’offrande théâtrale des soldats à la Vierge Marie, précisément
« Notre-Dame des Victoires », la sienne et la nôtre.
Ce qui n’empêche pas ces fiers soldats de
piétiner les étendards des malheureux vaincus dont on sait que la plupart ont
fini au fond du lac de Morat tandis que le chef des troupes fribourgeoises,
Petermann de Faucigny, repose glorieusement dans notre cathédrale.
En 1919, après le drame sanglant de la première
guerre mondiale, on a placé un autre vitrail, celui-là consacré aux
conséquences de la victoire de Morat. Il tourne autour d’une figure toute
pacifique, frère Nicolas de Flüe. La douceur de la vie de famille est montrée
en exemple, ainsi que la spiritualité religieuse comme force très puissante
pour imposer la paix.
Les signes guerriers du premier vitrail ont
fait place au cercle de la
réconciliation et les va-t-en guerre sont
transformés en apôtres de la paix. Ils jurent une fidélité d’amitié
retrouvée, contre personne puisqu’ils acceptent même d’ouvrir leur cercle de « confédérés » à deux
nouveaux cantons, Soleure et Fribourg, ce qui introduisait dans le Bund de
culture germanique une minorité latine et francophone.
Sans oublier ce slogan tiré de la lettre de
Nicolas de Flüe aux Bernois : « La paix est toujours en Dieu parce
que Dieu est la paix. »
Deux vitraux. Est-ce
le même Dieu ? C’est certainement une autre théologie.
Je me permets de le
dire : nous sommes les héritiers de ces deux vitraux. Aujourd’hui, nous
sommes plutôt au pied du premier puisque nous ranimons, d’une certaine manière,
un passé qui eut des conséquences importantes sur ce que nous sommes devenus,
et nous ne le regrettons pas. Ce n’est certes pas une raison pour nier que
cette bataille, comme toutes les autres, eut aussi ses cotés tragiques. Des
chrétiens, encore dans la même Eglise, se sont affrontés avec bravoure certes,
mais aussi avec cruauté, sans pitié pour les vaincus. Aujourd’hui la présence
de notre armée nous rappelle opportunément que, par les temps qui courent, nous
devons éviter tout angélisme.
Mais comment ne pas souhaiter
ardemment que nos autorités et notre peuple se regroupent plutôt au pied de
l’autre vitrail pour se laisser inspirer par la figure de notre saint patron,
modèle de patriotisme ouvert et pacificateur ?
L’évangile de ce jour parle beaucoup de
semailles. Etre des semeurs ! Dans
le langage populaire ce mot a des sens contrastés, voire contradictoires. On
peut avoir des raisons de craindre les semeurs, suivant ce qu’ils sèment. Mais
ne craignons pas d’être des semeurs avec l’esprit de l’évangile, que ce soit dans
le petit jardin de notre quotidien ou dans le vaste champ du monde.
Nous ne visons pas une
récolte abondante et immédiate. Les bons paysans savent attendre. Ils
connaissent même le proverbe évangélique
« Autre est celui qui sème, autre est celui qui moissonne ».
Mais personne ne peut leur enlever leur ardente espérance, y compris quand
leurs semis doivent passer le rude hiver avant de montrer feuilles, fleurs et
fruits.
Dis-moi
ce que tu sèmes, et je te dirai qui tu es. Que ce soit dans tes relations
d’apparence banale ou dans tes responsabilités à la tête des entreprises
économiques, des institutions culturelles, des enjeux écologiques ou des
organes de l’Etat : qu’est-ce que tu sèmes ? Si c’est la justice, la
paix, la solidarité, tu as gagné la plus belle des batailles, celle qui permet
à l’homme –tous les hommes- de devenir plus proches, plus accueillants, plus
fraternels. Et peut-être même un peu plus heureux.
Alors toutes nos commémorations, au lieu de
réchauffer des sentiments de violence ou de clôture, peuvent servir à tirer de
bonnes leçons d’humanité. Si l’on doit recueillir avec gratitude les meilleurs
cadeaux du passé, même quand ils étaient mélangés d’autres choses, on peut
toujours faire mieux, avec la grâce de Dieu et l’exemple de nos saints et
saintes. Et aussi avec l’encouragement, par exemple, d’un pape comme François
qui a voulu porter un nom qui est tout un programme. Pour lui et pour nous
aussi.
Claude
Ducarroz
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