Homélie
Premier dimanche de Carême 2017
Bataille d’eau bénite
autour de la tentation.
Vous vous souvenez. Jadis dans le Notre Père,
on disait : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation ».
Aujourd’hui nous disons : « Ne nous soumets pas à la tentation ».
Et bientôt nous dirons : « Ne nous laisse pas entrer en
tentation. »
Décidemment, on ne sait pas trop comment dire
au mieux ce que le Seigneur Jésus nous a appris sur la tentation dans sa prière
au Père.
Au-delà des formules, ce qui me paraît important
et ce qui nous rassure aussi, c’est que Jésus ait bel et bien été « conduit
au désert par l’Esprit pour y être tenté par le diable ». Le sauveur
lui-même n’a pas voulu échapper à cette expérience de la condition humaine :
la tentation.
On pourrait imaginer que Jésus de Nazareth
étant le Christ fils de Dieu, il ait seulement fait semblant d’être tenté, en
jouant devant le diable une sorte de comédie de la tentation. Ce serait ignorer
toute la vérité de son incarnation. Comme il eut vraiment faim après son jeûne
prolongé, de même il a été vraiment tenté dans son humanité en tout semblable à
la nôtre. Sauf le péché, c’est vrai, mais justement parce qu’il a résisté à la
tentation. Car les tentations sont là non pas comme des pièges tendus par Dieu
–ce que semble indiquer l’expression « Ne nous soumets pas à la
tentation »- mais comme des épreuves permises par le Seigneur, une mise à
l’épreuve qui nous donne l’occasion de « faire la preuve » de notre
fidélité, même dans la faiblesse.
Le chiffre quarante et la mention du désert
nous renvoient de toute évidence à l’aventure d’Israël qui mit 40 ans pour
traverser le désert, de la libération d’Egypte jusqu’à la terre promise, tant
la fidélité du peuple de l’alliance a été mise à l’épreuve dans cette longue
marche vers le salut. Moïse en sut quelque chose.
Dès lors Jésus rassemble en sa personne le
destin de son peuple messianique et la figure de Moïse. Et les tentations sont
toujours les mêmes, comme les nôtres en somme.
* Si la faim peut expliquer quelque chose, elle
ne justifie pas que nous nous vautrions dans le matérialisme de la consommation
à outrance qui risque tellement d’éteindre en nous les aspirations et les
inspirations de l’Esprit. Le remède ? Jésus nous le donne lui-même :
la parole de Dieu, nourriture pour notre âme puisque « l’homme ne vit pas
seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu »
*A se jeter du sommet du temple, c’est le faîte
de la gloire, y compris religieuse, surtout si des anges nous portent sur leurs
mains. Et il y a tant de temples modernes sur lesquels nous construisons nos
religions d’aujourd’hui, avec ses dieux de pacotille et ses idoles en carton
pâte. Que ce soit les richesses économiques, les succès médiatiques, les
performances érotiques, les dominations politiques ou militaires, l’écrasante
arrogance de certains savoirs.
Toutes choses, par ailleurs, qui peuvent être
bonnes si elles sont mises à l’humble service des êtres humains au lieu de les
asservir. Alors seulement, Dieu qui est au ciel est glorifié en ses enfants de
la terre, à commencer par les plus pauvres et les plus souffrants. Voilà qui
rejoint la troisième tentation, justement celle du pouvoir d’oppression au lieu
d’avoir l’autorité servante, sans jamais oublier celui qui doit toujours être le
premier servi, dans et hors du culte : le Seigneur notre Dieu.
Que voilà un beau programme, me direz-vous,
mais difficile à mettre en pratique. Comme vous le devinez, il sent le carême,
et c’est très bien ainsi. Pas un carême de tristesse sacrificielle, mais une
authentique expérience de libération par le haut et de vraie joie dans nos
profondeurs.
La
méditation de la parole de Dieu, la prière silencieuse ou communautaire, la
frugalité écologique, le partage généreux tous azimuts : voilà un chemin
d’humanisation sur le modèle de Jésus qui triompha des tentations au désert. Et
de plus l’Eglise nous invite à profiter des sacrements, celui du pardon et
celui de l’eucharistie, pour nous enraciner dans le renouveau spirituel et nous
nourrir du pain qui mène à la vie éternelle.
Sur cette route pascale, un étrange pèlerin
marche à nos côtés. Il nous donne la main. Lui aussi, lui plus que beaucoup
d’autres, nous montre la voie de la vraie liberté. C’est saint Nicolas de Flue,
le patron de notre pays, par ailleurs très lié à l’histoire de Fribourg.
Comme Jésus, en suivant les appels intérieurs
de l’Esprit –fussent-ils déconcertants- il a vécu une magnifique aventure personnelle, à savoir le bonheur de
l’austérité au lieu du gavage matérialiste, la priorité absolue de Dieu dans sa
vie au lieu des mirages de la frivolité, le régal de l’eucharistie au lieu des
nourritures terrestres si souvent avariées, et la joie de la prière et de la
contemplation en solitude au lieu des égarements dans le brouhaha des rumeurs
mondaines.
C’est le temps béni du carême. Avec Jésus et
son Esprit Saint, accompagnés par Nicolas de Flue et tant d’autres frères et
sœurs aînés, marchons vers Pâques en Eglise de foi, d’espérance et surtout d’amour.
Claude
Ducarroz
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