dimanche 19 mars 2017

La Samaritaine

Homélie
3ème dimanche de Carême
Jean 4,5-42

Au camp de concentration d’Auschwitz. Primo Levi –un juif italien- se retrouve à côté de Lorenzo, un italien chrétien qui lui donne chaque jour une partie de sa maigre ration de pain afin qu’il puisse survivre. Et il a survécu. Primo Levi a raconté : « C’est grâce à Lorenzo que je suis en vie aujourd’hui. Pas tant à cause de son aide matérielle, mais par sa présence et sa manière simple d’être bon. Il m’a constamment rappelé qu’il existe encore un monde en dehors du nôtre, quelqu’un qui est encore pur et intègre, ni corrompu ni sauvage, comme une vague possibilité de bien pour laquelle il valait la peine de survivre. Grâce à Lorenzo, j’ai pu ne pas oublier que j’étais encore un homme. »

Un autre juif, Jésus de Nazareth.  Près de Sykar, en Samarie, il arrive fatigué, il est midi, il a soif. Une femme vient puiser de l’eau à la source. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. » Normalement, rien n’aurait dû se passer. Il est juif, elle est une hérétique samaritaine ; il est un homme, elle est une femme ; il a la réputation de la sainteté, elle en est à son sixième mari.

Et soudain, tout change, et pour lui, et surtout pour elle.
La source de la vraie vie et le feu du pur amour sont en lui. Et c’est lui qui a soif, qui a besoin d’elle, qui lui demande humblement à boire. Elle a tout à recevoir au creux de son existence bousculée, au fond du puits asséché de son désir d’aimer et d’être aimé. Quelqu’un qui a tout, qui est tout, lui fait l’honneur de se présenter à elle comme un mendiant, avant de se proposer délicatement comme la source vive dont elle a tant besoin, sans le savoir encore.

L’amour, c’est toujours deux pauvretés qui s’apprivoisent et se rencontrent pour faire une richesse partagée. On ne peut nouer une relation solide que si l’on s’offre dans le respect et l’humilité. Jésus l’a fait. Et par là, il rend sa dignité à cette femme, il inaugure un dialogue fraternel, il transfigure sa pauvre vie. Jusqu’à la foi, jusqu’à la mission, jusqu’à la joie.

Souvenez-vous. Un autre jour, Jésus a exprimé le même besoin, encore plus dévorant, plus proche de celui de son compatriote Primo Levi. Sur la croix, il a dit d’une voix forte : « J’ai soif ». Et l’un des soldats lui présenta une éponge remplie de vinaigre. Et quand il eut pris le vinaigre, il ajouta : « Tout est accompli ». Et il remit l’esprit. Attention : pas seulement « expirer », mais remettre, transmettre son Esprit, nous donner son Esprit.

Comme la femme anonyme de Samarie avait été ré-enfantée à une vie nouvelle dans l’échange autour du puits à partir de la soif de Jésus, nous aussi, nous sommes les enfants de sa soif sur la croix. Et il nous a remis son esprit dans notre baptême, comme il nous le redonne à chaque communion. Nous l’entendrons tout à l’heure : « Humblement, nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps. »

Cet Esprit, celui du puits et celui de la croix, c’est un cadeau gratuit, donc offert à tous, même aux hommes et femmes pas toujours conformes aux règlements de la société ou aux règles de l’Eglise.
Mais cet Esprit, une fois donné et une fois accueilli, ne nous laisse pas tranquilles. Tandis  qu’il vient combler nos faims et soifs les plus profondes, il ouvre aussi en nous de nouvelles faims et de nouvelles soifs.
Il nous comble en nous assurant que Dieu nous aime puisqu’il est amour, et rien qu’amour. Se savoir aimé de Dieu, malgré nos pauvretés et nos misères, n’est-ce pas encore mieux que le pain d’Auschwitz, celui qui a goût d’eucharistie, le pain de la vie éternelle ? Mais en même temps, des questions s’imposent à notre conscience et titillent nos quiétudes pour les transformer en salutaires inquiétudes.

Quelle ta soif essentielle ? Le confort, les richesses matérielles, la boulimie des plaisirs épidermiques, le pouvoir dominateur, les subtils parfums de l’orgueil ? Ou la recherche d’un sens ultime à la vie, qui puisse te faire goûter un bonheur simple en contribuant au bonheur des autres ? As-tu déjà été Lorenzo pour un Primo quelque part ?
 As-tu déjà expérimenté la joie de partager puisque, selon Jésus de Nazareth, « il y a plus de joie à donner qu’à recevoir » ?
Nous nous sentons tous des samaritaines en quête d’amour, en désir de salut. Et nous savons mieux maintenant, à partir de l’expérience de cette femme sans nom au bord du puits de Sycar, où se trouvent la vraie source, l’eau pure qui peut jaillir en nous en pardon, en renouveau, en résurrection. Un passage, un message, un visage à la margelle de notre puits : Jésus de Pâques, celui qui continue d’avoir soif…de nous.

Mais nous pouvons aussi, comme la petite porteuse d’eau de Samarie, faire déborder sur d’autres la surabondance de la bonne nouvelle, par la parole et par les actes, avec une présence à double effet. Beaucoup de Samaritains crurent en Jésus à cause de la parole de la femme. Mais un peu plus tard : « Ce n’est plus à cause de toi que nous croyons. Nous-mêmes, nous l’avons entendu et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »
Avec notre faim et avec son pain, avec notre soif et avec son Esprit, il y a toujours une belle aventure à vivre près de nos puits d’humanité.
Ah ! si nous savions le don de Dieu !
                                                                                                          Claude Ducarroz


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