dimanche 26 février 2012

Homélie du premier dimanche de Carême

Homélie 1er dimanche de Carême 2012


Il y a désert et désert !
Nous avons tous une expérience du désert.
Certains y sont allés physiquement, grâce à un voyage touristique ou à la faveur d’un séjour volontaire, peut-être un pèlerinage ou une retraite. On ne revient jamais d’un tel désert exactement comme à son arrivée dans ces immenses espaces arides.

Et puis, même si vous n’avez jamais mis les pieds au Sahara, qui peut dire qu’il n’a jamais eu sa « traversée du désert » dans sa vie physique, affective, professionnelle, sociale. Et religieuse bien sûr. Personne ne passe toute une existence sans expérimenter, au moins l’une ou l’autre fois, la solitude pesante, l’abandon affectif, le désarroi spirituel, le sentiment d’être perdu, voire même « de trop » en ce monde. Je peux avoir l’impression d’être un désert à moi tout seul, même au milieu d’une foule.

Il y a plusieurs formes de désert. Il y a ceux qui désorientent, angoissent, peut-être même détruisent. Mais il y en a aussi -heureusement- qui dépouillent, creusent en nous une bienheureuse soif, ramènent à un « essentiel » qui nous fait vivre en vérité au lieu d’errer dans le n’importe quoi.

La liturgie de ce premier dimanche de Carême nous conduit tous au désert. Celui de Jésus, qui nous invite avec lui.

C’est un désert particulier. Pas facile certes, mais il peut devenir si bienfaisant. Un désert où la tentation existe, mais aussi l’Esprit de Dieu. Autant dire cet espace intérieur où Dieu nous donne rendez-vous avec lui -et aussi chacun de nous avec soi-même- pour une fréquentation d’amour qui peut changer notre vie.

Baptisé, Jésus se laisse pousser au désert par l’Esprit.
Baptisés nous aussi, n’avons-nous pas reçu le même Esprit qui remue en nous si nous sommes attentifs à sa discrète présence au plus profond de nous-mêmes ? Nous sommes habités, nous abritons un hôte intérieur, il est le Souffle de notre souffle, la respiration de notre vraie vie. Et si souvent nous l’oublions. Nous pensons, nous réagissons comme s’il n’existait pas, lui qui est pourtant notre meilleur ami, justement à la source du meilleur en nous.

Le désert comme espace de ressourcement, ça commence quand nous faisons silence, quand nous prenons du recul, quand la méditation remplace le brouhaha de la vitesse, des agressions médiatiques ou publicitaires. Chacun de nous, même dans notre société bruyante et stressante, peut se concocter un espace ou un moment de désert vital pour respirer en Dieu, pour boire à la fontaine divine. Pour contempler -peut-être justement en fermant les yeux- combien le Seigneur est beau, pour goûter combien il est bon. Il n’est pas nécessaire d’être de grands mystiques pour se payer –d’ailleurs c’est gratuit- un petit dessert de bon désert. On peut aussi appeler cela la prière.

Ceux et celles qui ont fait une véritable expérience de désert nous le disent : ils reviennent avec un regard neuf sur eux-mêmes, sur les autres, sur la nature, en un mot : sur la vie.
Leur échelle des valeurs a changé. Au contact de l’essentiel, qui est Dieu lui-même pour les croyants, la nature se remplit de signes par milliers, qui nous racontent la gloire du créateur ; le visage retrouvé de nos prochains prend les couleurs de l’arc-en-ciel au lieu de se décliner en noir et blanc au gré de nos humeurs, bonnes ou mauvaises ; notre vie se pose et se repose sur de nouvelles bases qui donnent la préférence à la qualité des relations plutôt qu’à la quantité des avoirs ou aux feux d’artifice du paraître. On cesse d’exister en vitrine, on recommence à être soi-même, le vrai.

En un mot : le monde s’épanouit au soleil d’une vision renouvelée au lieu de flétrir dans les souterrains de nos instincts, et nos communions humaines, comme perce-neige au printemps, fleurissent sous les rayons d’un amour gratuit. Guetteurs au-delà des dunes, nous pouvons dire alors avec Jésus : « Le règne de Dieu est tout proche ! »

Encore faut-il prendre le risque de changer, de vouloir bouger, de se laisser transfigurer du dedans par l’irruption de l’étonnante nouveauté de Dieu en nous. Oui, nous dit encore Jésus, « Croyez à la bonne nouvelle », à une présence qui est à la fois bonne et nouvelle, toujours meilleure et toujours plus neuve. La présence de l’Amour majuscule.

Par exemple la présence qui nous est proposée dans la Parole durant ce temps béni du Carême, celle qui nous radiographie par la pénitence pour mieux nous guérir par le pardon, celle qui s’implante doucement en nous par l’eucharistie quand le corps du Christ, semé dans notre propre corps pour mieux toucher notre âme, inocule en nous l’ADN de l’amour trinitaire.
Un tendre secret nous attend dans notre désert. « Prenez, mangez… Prenez, buvez… » C’est si important, dans le désert !


C’est le début du Carême. Nous pouvons nous priver de dessert. Mais ne nous privons pas de désert, et surtout pas de celui que nous offre Jésus, notre compagnon de voyage dans les saveurs arides de notre foi.
Joyeux Carême !

Claude Ducarroz

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