vendredi 8 juin 2012

Homélie de la Fête-Dieu

Homélie de la Fête-Dieu


Avant de quitter ce monde, et à l’intention des êtres qui vous sont le plus chers, qu’aimeriez-vous laisser comme souvenir de vous ? Bien sûr, il y a l’exemple de votre vie, ce que vous avez partagé avec ces personnes et qui, d’une manière ou d’une autre, reste dans leur mémoire reconnaissante. Mais je pense plutôt à un objet, quelque chose qui rappelle votre personnalité, un signe tangible qui ranimerait la flamme de l’amour au-delà de la barrière de la mort. Pas facile, n’est-ce pas ?

Jésus s’est trouvé devant le même problème au moment de quitter ce monde, même si ce fut par la porte de la résurrection et de l’ascension. La veille de sa mort, comme c’est raconté dans les évangiles, il se trouvait réuni avec ses apôtres dans la salle du Cénacle à Jérusalem. Une atmosphère à la fois d’intimité et de gravité. Il fallait prendre congé de ses plus proches amis avant d’affronter le mystère de sa mort et de son retour au Père. Qu’allait-il leur laisser comme signe concret qui leur rappelât qui il était en lui-même, qui il fut avec eux et pour eux, et comment il demeurerait avec eux, mystérieusement, malgré l’absence apparente ?

Un peu comme nous, mais évidemment mieux que nous, il invente un geste qui soit beaucoup plus fort qu’un souvenir, encore plus riche qu’une simple mémoire : un mémorial qui allie des choses, des paroles et une action : « Du pain… prenez et mangez… c’est mon corps ; du vin… prenez et buvez… c’est mon sang… Vous referez cela en mémoire de moi. »

Et c’est là que réside toute la ressemblance et aussi toute la différence… avec nous. La ressemblance : il y a en cet évènement toute l’émotion et toute l’intensité des adieux humains entre personnes qui s’aiment. La différence aussi : dans le signe, Jésus est capable de cacher sa présence réelle. A la fois, l’eucharistie nous rappelle cette présence et nous la donne, ravive notre mémoire de lui et provoque la communion avec lui.
Tel est le mystère que nous célébrons en ce jour.

Retenons-en trois dimensions.

Présence réelle dans une relative absence : Jésus se camoufle sous les signes du pain et du vin. Il ne s’offre qu’à notre foi. C’est en même temps une pauvreté et une générosité. Rien de spectaculaire, certes, mais l’humilité nécessaire pour que cette actualité ne soit pas confisquée par quelques privilégiés en prise directe avec lui.
Le recul de Jésus dans ce pain et ce vin lui permet de servir sa présence à travers tout l’espace et tous les temps de l’histoire humaine. Comme recroquevillée dans cette discrète liturgie, la communion devient disponible à l’infini pour tous les affamés de sa personne. C’est tout petit, mais c’est universel. « Mangez-en tous… c’est pour vous et pour la multitude. »
Et aujourd’hui, c’est pour nous !

Une autre dimension : la modestie des moyens. Pas besoin de choses riches ou compliquées, pas des bijoux précieux ni des œuvres d’art sophistiquées. Seulement un peu de pain, un peu de vin, « fruits de la terre et du travail des hommes et des femmes ». Le minimum, normalement accessible aux plus pauvres, suffit pour réaliser devant nous et en nous la présence du Christ, le fils de Dieu, le Seigneur et le Sauveur du monde.
Le plus grand dans le plus petit : telle est bien la mentalité de Dieu lui-même quand il vient à notre rencontre pour nous combler de sa vie en attendant de nous submerger de sa gloire.

Enfin Jésus a inventé l’eucharistie dans un geste de partage, un repas convivial, si loin des pratiques individualistes ou égoïstes qui caractérisent trop souvent notre société. Il n’y a pas de messe qui ne soit en même temps un acte d’Eglise, un évènement communautaire. On ne peut retrouver la présence du Christ dans ce sacrement que dans une ambiance de fraternité, ou nos liturgies deviennent des caricatures de la sainte cène. L’eucharistie impose une vie fraternelle entre ses convives s’il s’agit bien de refaire ce que Jésus a fait pour nous au soir du jeudi saint.

Plus encore : les croyants et les participants de la messe ne peuvent qu’être des apôtres ardents du partage, de la justice, de la solidarité dans leurs relations de chaque jour et dans la gestion de la société en général. Ou alors ils nient par leur attitude de repli la communion qu’ils viennent célébrer et recevoir dans leurs eucharisties. C’est ce que l’apôtre Paul rappelait à des Corinthiens qui nous ressemblaient quand ils vivaient des liturgies sans impact sur leurs comportements quotidiens : « Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, à nous tous, nous ne formons qu’un seul corps, nous qui avons part à ce pain unique. »

La Fête-Dieu : tout un merveilleux mystère, tout un vaste programme aussi. Pour des chrétiens vraiment pratiquants, pas seulement les dimanches et fêtes, mais tous les autres jours aussi. C’est peut-être pour cela que le Saint-Sacrement est porté jusque dans nos rues, au milieu des nos habitations et commerces.
L’eucharistie : un divin ferment d’humanisation dans la pâte du monde.
Claude Ducarroz

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