lundi 11 juin 2012

Pour une Eglise conciliaire

Pour une Eglise conciliaire

Le concile Vatican II fut un évènement extraordinaire. Un feu de paille ? Sûrement pas. A-t-il rendu l’Eglise catholique plus « conciliaire » ? Pas encore. Mais ça pourrait venir, pour la crédibilité de son témoignage évangélique dans le monde d’aujourd’hui.

Après avoir annoncé la convocation d’un nouveau concile œcuménique –c’était le 25 janvier 1959-, le pape Jean XXIII a proposé une prière à l’ensemble des fidèles. Elle implorait la venue d’une « nouvelle Pentecôte » sur l’Eglise. Vaste programme ! En plein dans le mille, si l’on revisite l’évènement décrit dans le livre des Actes des Apôtres (1).
Tout y est. Il y a la communauté rassemblée, avec Marie et d’autres femmes, ainsi que « les frères de Jésus ». Ils prient dans une ambiance d’unanimité, en espérance de l’Esprit. Les apôtres sont là avec eux, y compris Pierre évidemment, celui qui va se lever « au milieu des frères » pour faire mémoire du mystère pascal de Jésus et interpréter les récents évènements à la lumière des Ecritures. S’agissant du remplacement de Judas, Pierre rappelle la nécessité de trouver un nouveau « témoin de la résurrection ». La présentation des possibles est faite par la communauté. Le choix passe par la prière de toute l’assemblée et la remise entre les mains de Dieu par le biais du tirage au sort. Et le nouvel apôtre est accueilli par l’Eglise dans le rite de l’introduction au sein du groupe des Douze.
Que voilà un beau concile en somme, dans l’esprit de participation de tous, chacun à sa place, dans la confiance à l’Esprit. C’est cette Eglise-là qui va ensuite partir dans le monde pour évangéliser, célébrer le culte nouveau, poser les signes de la charité et démontrer le secret de son dynamisme missionnaire.


Nouvelle Pentecôte ! C’est ce que nous avons vécu il y a 50 ans, sous l’impulsion du pape Paul VI, quand il déclara que l’Eglise conciliaire devait se faire « parole… message…conversation », et cela jusque dans sa vie interne. « Nous désirons ardemment que le dialogue intérieur au sein de la communauté ecclésiale gagne en ferveur, s’enrichisse de nouveaux sujets, de nouveaux interlocuteurs, si bien que croisse la vitalité et la sanctification du Corps mystique terrestre du Christ. », précisait le pape. Il ajoutait avec une émotion palpable : « Finalement notre dialogue s’offre aux fils de la Maison de Dieu… Comme Nous voudrions le goûter en plénitude de foi, de charité, d’œuvres, ce dialogue de famille ! Combien nous le voudrions intense et familier ! »(2)

Le concile Vatican II a-t-il réalisé ce beau programme ? L’évènement lui-même avait quelque chose de pentecostal. C’était bel et bien une mobilisation générale sous la guidée de l’Esprit. Certes les évêques étaient aux commandes pour les choix de base et pour les décisions définitives. Mais il ne faudrait pas sous-estimer la prière et l’espérance suscitées chez les chrétiens de la base, ni l’apport décisif des théologiens et autres experts, sans compter l’influence réelle –quoique discrète – des invités des autres Eglises. Il y eut, durant ces 4 années extraordinaires, une convocation et une concentration des charismes autour du projet conciliaire, qui produisirent des fruits certes imparfaits mais assez nombreux et mûris pour marquer l’avenir de notre Eglise durant plusieurs décennies. Nous sommes encore les enfants du concile Vatican II !

Et pourtant, 50 ans plus tard, il faut bien constater que le soufflé conciliaire est passablement retombé. La collégialité des évêques, unis au pape dans le gouvernement de l’Eglise universelle, devait rééquilibrer les pouvoirs de décision au bénéfice des conférences épiscopales (3). Le synode des évêques, régulièrement convoqué à Rome, est rapidement devenu une assemblée de discussions qui finalement, après quelques vœux exprimés plus ou moins librement, remet les décisions entre les mains du pape (4). L’autonomie raisonnable des épiscopats, par région et par continents, ne fonctionne pas assez au service d’une authentique inculturation de l’évangile et de l’Eglise dans les diverses aires culturelles. Le centralisme romain a re-passé par là. Rien d’important qui ne doive passer par les filtres de la Curie romaine, que ce soit en liturgie ou en discipline ecclésiastique. Si l’œcuménisme et le dialogue interreligieux ont fait des progrès –notamment par quelques gestes prophétiques du pape Jean-Paul II (5)-, ils demeurent sous haute surveillance romaine. On peut multiplier les élans prometteurs de certaines réformes. Ils se brisent trop souvent sur le rocher du ministère de Pierre et la garde rapprochée de ses services.

Cette résistance aux changements, par exemple dans la question brûlante des ministères ordonnés, est d’autant plus ressentie que les Eglises locales ou régionales ont déclenché en leur sein, justement dans le prolongement du Concile, des processus participatifs qui ont soulevé de grands espoirs et mobilisé de très nombreux acteurs de la vie ecclésiale. La plupart des évêques revenus du concile ont provoqué des assemblées synodales dans lesquelles les forces vives des diocèses –et en particulier les laïcs- ont pu s’exprimer en liberté sans blesser l’indispensable communion. On se souvient, pour la Suisse, des synodes vécus partout dans les années 1972 à 1975, une expérience réchauffée dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg par l’Assemblée AD2000. Il faut reconnaître que ces évènements, au-delà des bienfaits de leur célébration elle-même, ont été souvent privés de leurs fruits les plus espérés par les freins actionnés à Rome, que nos évêques n’avaient pas d’autre choix que de répercuter, parfois avec des regrets dans la voix ou sous la plume. Même si, il faut l’ajouter pour être objectif, des motivations renforcées et des dynamismes résiduels ont continué de promouvoir une certaine vitalité évangélique dans le mémorial des partages vécus au cœur et au cours de ces célébrations ecclésiales décentralisées.

Faut-il un nouveau concile pour réactiver les ferments que Vatican II avait introduits dans la vie de notre Eglise en son temps ? Certains le pensent, voire le souhaitent. Quoi qu’il en soit, pour s’en tenir au fonctionnement interne de notre Eglise, à la circulation de son sang évangélique, à la qualité et à l’efficacité du partage des responsabilités entre tous les membres du Corps du Christ, il est urgent de relancer, avec la grâce de l’Esprit, une certaine dynamique de participation plus large, une nouvelle culture du dialogue. Elles devraient s’articuler autour de trois pôles, tous indispensables parce que tous solidaires, ainsi que le démontre l’exemple des premières communautés chrétiennes.

Il y a certes le pôle personnel, cher à l’Eglise catholique, parfois jusqu’à l’obsession : c’est le ministère de Pierre assumé par l’évêque de Rome. Mais comment ne pas aussitôt le mettre en relation organique avec le pôle collégial, à savoir le service des évêques qui, à l’heure des communications facilitées, doivent pouvoir exercer pleinement leur co-responsabilité universelle ? Pas seulement dans le sens de ce qui vient de Rome vers les périphéries, mais surtout dans le sens de ce qui remonte à Rome à partir du témoignage de foi et d’engagements de leurs Eglises particulières. Enfin, ce qu’on nomme le « sensus fidelium », le sens chrétien des fidèles, comme il est important qu’il puisse s’exprimer en liberté, être accueilli avec sympathie, être entendu jusque dans les sphères de décision, par un esprit de discernement certes, mais surtout par une volonté de reconnaissance, dans les deux sens du mot.

Dans cette correcte articulation vitale entre les dimensions personnelle, collégiale et communautaire (6), je vois le remède aux maladies de paralysie, de résignation et d’abandon qui frappent actuellement trop de nos chrétiens plus ou moins découragés ou fatigués. Si les vraies réformes viennent toujours des profondeurs, celles de l’humble confrontation à la parole de Dieu, de la prière et de la conversion, il me semble qu’elles doivent aussi aboutir à des changements institutionnels et fonctionnels, comme le prouve l’histoire de toutes nos Eglises. Car je perçois aussi un enjeu œcuménique dans cette thérapie évangélique dont nous avons besoin pour réanimer les énergies conciliaires au milieu de nous. Si le catholicisme jouit du précieux charisme de l’autorité personnelle, l’orthodoxie peut nous offrir une certaine expérience de la collégialité épiscopale, tandis que la réforme protestante a misé davantage sur l’expression respectée des communautés de baptisés à la base. Il demeure que « l’Eglise –toutes les Eglises- au cours de son pèlerinage est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre », comme le rappelle si opportunément le concile Vatican II (7).

Autant dire que nous devons ensemble, peut-être justement dans la célébration d’un prochain concile vraiment œcuménique, nous laisser « réformer » par l’Esprit du Christ, et aussi les uns par les autres, afin de présenter dans la vie de l’Eglise enfin réconciliée, le visage du Christ tel qu’il doit resplendir au cœur du monde, pour la gloire de Dieu et le salut de l’humanité.

Claude Ducarroz

1) Cf. Actes 1,12-2,47.
2) Encyclique « Ecclesiam suam » du 6 août 1964 nos 67, 120 et 117.
3) La mission des conférences épiscopales est largement définie dans 28 numéros des textes du concile.
4) « Du fait qu’il travaille au nom de tout l’épiscopat catholique, ce Synode est le signe que tous les évêques participent en une communion hiérarchique au souci de l’Eglise universelle. » La charge pastorale des évêques no 5.
5) On songe à la rencontre interreligieuse d’Assise en octobre 1986 et à l’encyclique « Ut unum sint » du 25 mai 1995.
6) Pour approfondir ce thème, se référer à « Le magistère à l’épreuve » de Bernard Sesboüé - Desclée de Brouwer, ainsi qu’au document du Groupe des Dombes intitulé « Un seul maître » L’autorité doctrinale dans l’Eglise – Bayard
7) Décret sur l’œcuménisme no 6.

Article paru dans la revue CHOISIR no 630 juin 2012

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