samedi 9 juin 2012

Homélie du 10ème dimanche ordinaire

Homélie du 10ème dimanche du temps ordinaire

Oui, Jésus a eu de sérieux problèmes avec sa famille.
On n’a pas l’habitude d’entendre cela parce que, dans l’imagerie populaire, la sainte famille est présentée comme un havre romantique d’affection sans nuage dans la pieuse ambiance d’une communauté modèle.

Or les relations de Jésus avec ses proches ne furent pas de tout repos. Après l’incident du temple, quand Jésus à douze ans a faussé compagnie à ses parents, qui ne comprirent pas ce qui leur arrivait, Jésus semble avoir mené une vie ordinaire dans sa maison et son village de Nazareth où « il grandit en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes. » Rien de spécial à signaler. D’ailleurs, disait-on, pouvait-il sortir quelque chose de bon de ce bled de Nazareth.

Et puis l’évangile de ce jour éclate à deux reprises comme un orage en été. Au début, il est dit que « sa famille vint pour se saisir de lui, car ils affirmaient : il a perdu la tête. » C’était en voyant le ministère de Jésus sur-occupé, au point qu’il n’avait même plus le temps de manger.

A la fin du même évangile, il est rappelé que sa mère –oui, même sa mère- et ses frères et sœurs, restant dehors, le cherchent et le font demander. Avec quelle intention ? On ne le sait pas exactement. Mais Jésus semble vouloir éviter ce contact imprévu puisqu’il oriente ses auditeurs sur son autre famille, celle des croyants ou plutôt celles et ceux qui font la volonté de Dieu.





Où est donc le problème, me direz-vous ? Dans le mystère de Jésus et dans sa mission. Autrement dit : qui il était et qu’est-ce qu’il avait à faire.

Son mystère personnel d’abord, à savoir sa relation d’origine et d’existence avec Dieu comme Père. N’avait-il pas dit à ses parents angoissés à Jérusalem : « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père », ce qu’ils ne comprirent pas parce qu’il parlait évidemment de Dieu lui-même.
Qui est Jésus dans les profondeurs de son être ? Ce fut et ce sera toujours un mystère devant lequel chacun doit se situer. Les apôtres en firent aussi l’expérience quand Jésus leur demandait régulièrement : « Qui dites-vous que je suis ? Pour vous, qui suis-je ? »
La question, toujours la même, reste aussi posée à nous aujourd’hui. Et nous savons bien que la réponse ne peut pas être que théorique. Elle implique notre existence, elle bouscule notre vie, elle illumine notre mort. Personne ne peut répondre à notre place. On appelle cela la foi !

Et puis, pour la famille de Jésus, il y a son ministère. En le voyant parler, agir et réagir, les sujets d’inquiétude et les motifs d’incompréhension ne manquèrent pas. Il suffit de penser aux fameuses béatitudes qui furent la feuille de route de sa vie. Donner la priorité aux pauvres, aux exclus, aux malades, aux pécheurs : ça ne garantit pas la réussite d’une vie, du moins telle que ses proches l’avaient sans doute imaginée. Etre un prophète itinérant, une sorte de va-nus-pieds de l’évangile, qui se plaisait davantage en Galilée, avec ses amis pécheurs et pêcheurs, que dans le temple et les palais de Jérusalem: voilà qui a de quoi décevoir les siens. Irriter les autorités religieuses et politiques par des attitudes provocantes et des propos…hors de propos : on sentait bien à Nazareth que ça ne pouvait le conduire qu’à la catastrophe. Et peut-être la démarche de le ramener à la raison provenait-elle de cette intention louable : lui éviter le pire. Mais justement : lui voulait prendre ce risque, par fidélité à son Père qui l’avait envoyé et par amour du petit peuple pour lequel il était venu en ce monde. C’est bien ce qui arriva.

Et nous dans tout cela, me direz-vous ? Mais on y est en toutes lettres. Dans son regard qui nous interpelle, dans sa déclaration qui nous conforte. Oui, ne sommes-nous pas dans ces gens assis autour de lui qu’il parcourut du regard -et quel regard ? -celui de Dieu lui-même ? Nous sentons-nous concernés et même impliqués dans cette phrase extraordinaire, quand on y réfléchit : «Voici ma mère et mes frères » ? Ce serait donc nous, oui, mais à une condition : faire comme lui la volonté de Dieu.

Jésus nous arrive donc avec trois familles.
*La famille trinitaire comme fils éternel du Père dans l’ineffable communion d’amour qui fonde sa personnalité et éclaire son identité.
*La famille de Nazareth dans le mystère de son incarnation la plus réaliste, lui qui est né d’une femme et qu’on disait fils du charpentier.
*Et la famille de l’Eglise, celle qu’il a fondée lui-même en l’engendrant dans le sang de la croix pour la conduire avec lui dans la maison du Père, à la gloire de la résurrection.
D’ailleurs ne retrouvons-nous pas cette triple famille justement au pied de la croix où elles semblent pleinement se réconcilier ? Il y a Marie, sa mère, il y a l’apôtre Jean avec toutes sortes de pauvres et de pécheurs qui sont l’Eglise tous ensemble. Et Jésus qui donne Jean à Marie et Marie à Jean : ses familles cohabitent enfin dans la paix pascale. Et puis ce centurion romain -un païen- qui a le mot de la fin : « Celui-ci était vraiment le fils de Dieu. » La signature trinitaire.

Quelle belle aventure que celle de Jésus de Nazareth ! Notre aventure avec lui.
*Si nous savons comme lui reconnaître notre filiation la plus profonde, en Dieu lui-même, dont nous sommes les enfants par adoption à la suite de Jésus. C’est le sens de notre baptême.
*Si nous savons certes, comme il est dit, honorer père et mère, c’est-à-dire aimer celles et ceux qui nous aiment dans les solidarités les plus terrestres qui font de nous des humains à part entière.
*Et surtout si nous avons le courage de suivre l’appel personnel de Dieu à travers les signes qu’il nous fait et la vocation qu’il nous indique, quitte, s’il le faut, à bousculer même nos familles, dans la priorité à donner sans cesse à la mise en pratique de l’évangile.

Car Jésus nous le répète, et encore aujourd’hui : « Voici ma mère, et mes frères et mes sœurs : celui qui fait la volonté de Dieu. »

Claude Ducarroz

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