Homélie
Anniversaire de la victoire de Morat 2012
Deux vitraux, dans notre cathédrale. Et tout est dit. Ou presque.
Puisque les 500 ans du Chapitre mettent spécialement en honneur les trésors de notre cathédrale, au risque de me répéter, je vous invite à la contemplation esthétique, religieuse et patriotique.
Le premier vitrail est là, à la portée de nos plus hautes autorités. Normal : il fut commandé par l’Etat de Fribourg. C’est le vitrail de la victoire, parce que, la plupart du temps, ce sont évidemment les vainqueurs qui racontent et rappellent l’heureux évènement. Leur victoire, mais aussi le coup de pouce du ciel. Ici –et c’est tant mieux- ce n’est pas le Gott mit uns, mais la porte à côté : saint Michel a fait pencher la balance pour nous avec son épée de feu.
Et nos glorieux ancêtres, enthousiastes, s’en donnent à cœur joie. D’abord dans un élan de foi pleine de reconnaissance : ils offrent la victoire à la Vierge Marie qui semble assez peu intéressée au milieu de ses anges.
Mais regardons les drapeaux. Les nôtres sont embrassés avec ferveur tandis que ceux des Bourguignons sont jetés à terre.
Et puis comment ne pas remarquer les deux dames
somptueusement vêtues ? Notre-Dame en haut, plutôt énigmatique. Et une autre, de dos, en bas à gauche : la patrie suisse qui tend les lauriers de la victoire à deux humbles Fribourgeois veillant sur notre écusson légendaire.
La messe est dite. On a gagné.
L’autre vitrail se trouve près de l’entrée de la chapelle du Saint Sépulcre. Une toute autre ambiance. Pas le triomphe de la force, mais la force de la prière. Pas l’arrogance de la victoire, mais la sagesse de la paix retrouvée. Nicolas de Flue : un simple ermite laïc qui intercède pour son peuple, au lieu du glaive archangélique.
Et nous croisons à nouveau les braves patriotes qui furent à Morat, une fois exorcisée la menace de la guerre civile, tant il est vrai que le butin des gagnants est souvent la cause de nouveaux conflits à répétition…entre eux. Cette fois, ils élèvent à nouveau leurs bras vers le ciel, sans trophées vengeurs, sans armes agressives, mais dans le faisceau pacifique de la réconciliation, sur le conseil désarmé d’un saint homme de foi.
Et nous voilà, Fribourgeois, cette fois intégrés dans le concert de la patrie suisse, désormais élargie à la culture latine. Fribourg entre dans la Confédération helvétique par la grande porte de la paix renforcée et de l’accueil pluraliste.
Deux vitraux d’après ce fameux 22 juin 1476. L’un à la gloire de la victoire par la supériorité de la vaillance, de la force et de la ruse. L’autre à l’honneur de la paix, de la spiritualité, de la réconciliation.
Il faut le reconnaître : nous sommes les enfants de ces deux vitraux. Nous en reflétons les lumières et les ombres. Dans nos gènes patriotiques sont mélangés le sang d’héroïsme de Petermann de Faucigny –notre général en chef à Morat, enterré là-bas dans notre cathédrale- et le souffle prophétique de l’autre Nicolas, celui du Ranft, dont nous avons une précieuse relique dans notre trésor, à côté du bras de celui de Myre.
Nous devons assumer notre histoire, avec ses victoires nobles mais ambigües, avec leurs conséquences qui faillirent être encore plus dangereuses que la défaite évitée, avec le sursaut de la prière, de la sagesse politique, du compromis déjà helvétique et surtout de l’ouverture à d’autres, aux autres, différents et bientôt frères. Ce fut nous. Voilà ce qui fit gagner la paix après avoir gagné la guerre.
Peut-être est-ce encore plus difficile, aujourd’hui comme hier, d’être les persévérants apôtres de la paix que d’être les flamboyants héros de la guerre, ainsi que le démontrent, hélas ! de tragiques actualités. Heureusement, c’est finalement frère Nicolas de Flue qui est devenu notre saint patron dans une Suisse qui n’a plus connu la guerre depuis 1848.
Nos autorités, qu’elles soient politiques, économiques, sociales, culturelles ou écologiques connaissent les chemins des vraies victoires, celles qui apportent la prospérité parce qu’il y a le partage, celles qui produisent la sécurité parce qu’il y a la justice, celles qui suscitent la qualité de vie parce qu’il y a le respect de notre belle nature et la fête démocratique de nos riches cultures.
Morat, oui, mais pas sans le Ranft. Petermann de Faucigny, oui, mais en donnant la main à Nicolas de Flue. Nos deux vitraux, conçus par un jeune artiste polonais, éclatent aujourd’hui de couleurs et de formes magnifiques. Ils sont le mémorial de notre histoire complexe. Ils indiquent le véritable chemin de notre avenir heureux.
A condition de ne pas oublier. Ni la bénédiction de Dieu, ni notre devoir de fidélité à nos meilleurs idéaux.
Comme Nicolas de Flue l’écrivait aux Bernois le 4 décembre 1482, une phrase citée sur son vitrail dans notre cathédrale : « La paix est toujours en Dieu, car Dieu est la paix. »
Claude Ducarroz, prévôt
samedi 16 juin 2012
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